Après son inauguration houleuse, le Salon de l'Agriculture fait bloc derrière les éleveurs
Les noms d'oiseaux lancés au président, les bousculades, le démontage du stand du ministère, personne ne cautionne mais tout le monde "comprend". Dimanche, le Salon de l'agriculture faisait bloc derrière les éleveurs confrontés à une crise profonde et prolongée.
"Connard", "fumier", "bon à rien" ont lancé samedi des éleveurs au passage du chef de l'Etat François Hollande, en lui tournant le dos pour exhiber leurs tee-shirts en deuil "Je suis éleveur - Je meurs".
Dimanche matin, Xavier Beulin, président de la puissante FNSEA a présenté des "excuses" pour cette inauguration houleuse. "Ça n'est pas respectable, ni pour la fonction, ni pour la personne", a-t-il estimé. Ajoutant toutefois que ces incidents traduisaient "tout simplement l'expression d'une colère, d'un désespoir" et que d'autres "mouvements spontanés" étaient à prévoir durant le salon.
Peu après, des éleveurs bovins ont d'ailleurs aspergé avec un extincteur et de la farine le stand de Charal, marque du groupe Bigard, numéro un de l'abattage en France, pour dénoncer sa politique de prix.
M. Beulin a également assuré n'avoir pas été averti de l'intention des membres de la FNSEA d'Ile-de-France qui ont démonté samedi le stand du ministère de l'Agriculture, poussant les CRS à intervenir.
Mais dans les allées du Hall 1 où patientent dimanche les bovins candidats au concours agricole, les éleveurs font corps avec les agitateurs d'hier. "Je regrette même qu'on ne soit pas allé plus loin", lâche Philippe, 36 ans, éleveur laitier près de Lorient.
Comme Bruno, installé à une vingtaine de km du Golfe du Morbihan, il arbore le tee-shirt avec le macaron "Eleveurs - Etat d'urgence" sur la poitrine et côté dos le slogan "Je meurs". Celui qu'ils voulaient montrer au président samedi.
"Comme lui tourne le dos aux agriculteurs", souligne Bruno, "on avait prévu une simple haie d'honneur, dos tourné à son passage, mais le service d'ordre était tellement important, ils nous ont repoussés, on ne pouvait plus bouger" accuse-t-il.
"J'aurais voulu qu'on bloque Hollande, l'obliger à écouter ce que c'est de vivre avec moins que le smic. Il n'en a aucune idée" reprend Philippe.
Plus nuancé, Thierry Chombart, 45 ans, éleveur près de Valenciennes, "regrette" les débordements. "Le mot d'ordre était de rester calme et de respecter la personne du président. Mais le service d'ordre qui a foncé sur les gars a exacerbé leur frustration" explique-t-il. "Moi, les mots employés, je ne cautionne pas. Mais il faut comprendre: les éleveurs sont souvent endettés à 15 ans, alors qu'ils n'ont même pas de visibilité à six mois".
- Salon pédagogique -
Lui a pu "discuter trois minutes avec le président. On a pu lui dire qu'on perdait confiance, qu'on attend des actions à Bruxelles".
Les éleveurs laitiers, victimes de l'effondrement des cours payés plus de 30 euros sous le coût de production (pour mille litres) ont été en première ligne de la bousculade autour du président.
Croisée dans les allées, Nathalie Kosciusko-Morizet, ex-numéro 2 du parti Les Républicains, "condamne clairement" les injures lancées au président.
Mais l'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy convient aussi que "la sortie des quotas laitiers a été mal gérée". Décidée par les ministres européens depuis près de dix ans, la dérégulation effective depuis avril 2015 a contribué au plongeon des cours et au marasme actuel, avec l'embargo russe et la baisse de la demande mondiale.
En revanche, Dominique Barrau, secrétaire général de la FNSEA se montre moins diplomate que son président. "Les gars, je ne les condamne pas. Ils ont fait exactement ce qu'aurait voulu faire tout agriculteur qui n'a pas pu se rendre au Salon".
Beaucoup d'éleveurs confient avoir songé au boycott mais pour ceux dont les vaches avaient été sélectionnées au concours général, la punition aurait été trop sévère souligne Thierry Chombart. Du coup, ce Salon se veut aussi celui de la pédagogie envers le consommateur.
"Les gens nous soutiennent, ils viennent s'informer, ils ont envie de comprendre. On leur dit aussi que la balle est dans leur camp. A eux de demander des comptes à la grande distribution" expliquent en ch?ur Philippe et Bruno.
Derrière eux, une banderole rappelle que la brique de lait vendue 1 euro en rayon leur est payée 28 centimes.
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