Syrie. Pourquoi le cessez-le-feu annonce une guerre totale
MARC DE MIRAMON
JEUDI, 25 FÉVRIER, 2016
HUMANITÉ DIMANCHE
Photo : Natalia Sancha
L’accord d’un cessez-le-feu conclu entre Russie et États-Unis doit ouvrir une nouvelle étape de la sanglante guerre syrienne : celle d’un affrontement entre le régime syrien, ses alliés russes et iraniens, et les djihadistes du Front al-Nosra et de l’« État islamique ». Malgré ce chaos, Bachar Al Assad a annoncé des élections législatives le 13 avril prochain.
«La République arabe syrienne annonce qu’elle accepte la cessation des hostilités », a indiqué, le 23 février, le ministère syrien des Affaires étrangères dans un communiqué. Quelques jours plus tôt, le président Bachar Al Assad estimait pourtant « difficile » d’envisager un cessez-le-feu, à l’occasion d’un discours prononcé devant un parterre d’avocats à Damas : « Jusqu’à présent, ils disent qu’ils veulent un cessez-le-feu d’ici une semaine. Qui est capable de réunir toutes ces conditions en une semaine ? Personne. Si une organisation terroriste refuse le cessez-le-feu, qui lui demandera des comptes ? Dans la pratique, c’est difficile. »
Le régime syrien, qui a toujours désigné tous ses opposants, des authentiques démocrates aux Frères musulmans, sous le vocable de « terroristes », manifestait là sa volonté de poursuivre l’offensive d’Alep et achever l’encerclement des dernières positions rebelles qualifiées en Occident de « modérées ».
au profit d’Assad
Les attentats commis à Homs et Damas (lire encadré), revendiqués par l’« État islamique », symbolisent le basculement de la guerre civile syrienne dans le sens de l’histoire voulu par le régime syrien et son parrain russe : les reliquats de l’opposition armée estampillée « ASL » souhaitant poursuivre les combats vont dans les semaines à venir se diluer dans les deux forces centrifuges du djihadisme syrien : l’« État islamique » et le Front al-Nosra.
En dépit des supplications d’une large frange de l’opposition syrienne représentée à Genève, la branche syrienne d’al-Qaida a été exclue de l’accord de cessez-le-feu. L’armée régulière, les supplétifs iraniens et ceux du Hezbollah auront donc les coudées franches pour accentuer les bombardements visant les positions de l’Armée de la conquête – conglomérat de groupes rebelles incluant le Front al-Nosra, les salafistes d’Ahrar al-Cham et quelques groupuscules se revendiquant de l’Armée syrienne libre –, notamment dans le gouvernorat d’Idlib, à proximité de la frontière turque.
Mais c’est bien l’entente entre la Russie et les États-Unis, formalisée par cet accord, qu’il s’agit d’analyser. Après cinq années de guerre, Washington s’est rendu à l’évidence : le dispositif militaire russe interdit dorénavant de parier sur une chute du régime, et l’intransigeance de l’opposition financée par la Turquie et l’Arabie saoudite ne peut que favoriser les groupes armés les plus radicaux, Front al-Nosra et « EI ».
toute la communauté mondiale responsable
Quant à la barbarie du régime syrien – et le sort funeste qu’il réservera à ceux qui ont pris les armes pour le renverser –, elle risque de renforcer à terme l’organisation de l’« État islamique ». En septembre 2015, le chef du service juridique de la Coalition nationale syrienne, Haytham Al Maleh, figure historique de la contestation du pouvoir baathiste, le résumait sans ambages : « Nous allons continuer notre chemin jusqu’au bout. Toute la communauté internationale devrait venir à notre aide dans ce combat. J’ai toujours signalé que, si la situation se dégrade encore en Syrie, Poutine, Obama et tout le monde en seront responsables. Car, à ce moment-là, la région du Moyen-Orient sera encore plus agitée qu’elle ne l’est aujourd’hui… Quant à moi, le jour où je serai appelé à choisir entre l’“État islamique” et Bachar Al Assad, je choisirai Daech. »
Avec les récents attentats le nombre de victimes du conflict augmente de manière exponentielle.
Si l’« État islamique » parvenait à s’emparer de la capitale syrienne et de ce que certains spécialistes appellent le « pays utile » (soit l’axe Damas, Homs, Hama, Lattaquié et Alep), nul doute que l’épuration ethnique à l’œuvre serait d’une ampleur inédite, comme vient encore de le démontrer la campagne de terreur menée à Homs et Damas. Un quartier alaouite (Homs) et un autre chiite, situé à proximité du mausolée de Sayyida Zaynab (banlieue de Damas), ont été pris pour cible le 21 février par des kamikazes de l’« EI ». Le bilan, près de 200 morts, est le pire depuis le début de la guerre civile. Et contrairement aux attaques similaires que Daech mène dans la Turquie voisine, la revendication a cette fois été rendue publique le jour même. La lutte à mort qui va s’engager entre l’« EI » et le pouvoir syrien risque de faire exploser le nombre de victimes du conflit. Dans un bilan actualisé le 23 février, l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) estime que plus de 370 000 personnes ont trouvé la mort depuis le mois de mars 2011, un bilan probablement sous-évalué du fait de la difficulté à accéder à certaines zones, et l’incertitude planant sur le sort de plusieurs dizaines de milliers de disparus.
http://www.humanite.fr/syrie-pourquoi-le-cessez-le-feu-annonce-une-guerre-totale-
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