C’est un de ces devis pour des travaux qu’on craint plus que tout. La somme à payer – à tous les coups, un chiffre à trois zéros –, les dégâts occasionnés, les coups de marteau de bon matin, la durée de l’intervention extensible à l’infini… Bref, c’est une affaire de plomberie, de celles qui ont fait dire un jour à l’écrivain Michel Houellebecq : « Je pense que si je me suicide un jour, ce sera pour un problème de tuyauterie. » Sauf que sous le devis reçu cette semaine par e-mail, il y avait la signature, que dis-je, les signatures de l’entreprise en question. Tout d’abord, une citation d’Albert Einstein : « La vie, c’est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre. » Pas faux, un peu inattendu mais après tout, le génie de celui qui a popularisé la théorie de la relativité restreinte et générale s’applique également dans les salles de bain puisqu’en l’absence de douche, le temps se dilate et l’espace se contracte vraiment. Dessous, il y a encore un « Belle journée », plus classique mais écrit en rouge. Puis encore en dessous, un « Vous souhaitant bonne réception ». Et plus bas, une nouvelle ligne avec « Cordialement », rédigé dans un corps beaucoup plus volumineux d’une fausse écriture manuscrite avec au bout de l’adverbe un stylo dessiné. Puis enfin, le logo de l’entreprise « PAC : Plomberie Arrosage Chauffage ». Et pour finir : « pour la SARL PAC » et une toute dernière ligne : « Sandrine ». Soit huit lignes de signature. Sur le moment, j’ai eu l’impression d’être à la fois témoin d’une extrême précision dans l’expression, d’une politesse à la limite de l’obséquiosité, voire d’une possible compensation du peu de considération, bien réel, auquel font face les artisans, à moins que ce soit une forme de storytelling avant-gardiste à la Julien Prévieux. Un non-événement ce message de Sandrine ? Vous croyez ? C’est peut-être au contraire, la preuve que nous avons atteint via la profusion d’e-mails – à cet égard, il faut lire le livre de « L’enfer numérique, voyage au bout d’un like » de Guillaume Pitron –, de formules toutes faites, de logos, d’emojis, tout ce langage de signes vides, un point de non-retour. Une forme presque sublime de non-langage performatif pour une civilisation qui n’a plus rien à dire ni écrire. Mais qui tant que des gens parmi elle sauront réparer les tuyaux des autres, pourra survivre au déluge, dans la salle du bain du moins. Bien cordialement vôtre. |
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