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lundi 14 octobre 2019

En Syrie, « l’urgence pousse les Kurdes à se tourner vers Assad et la Russie » - le 14.10.2019




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En Syrie, « l’urgence pousse les Kurdes à se tourner vers Assad et la Russie »


La Turquie a déclenché, le 9 octobre, une offensive militaire visant à éliminer l’influence des forces à dominante kurde dans le nord-est syrien. Dans un tchat, notre envoyé spécial, Allan Kaval, a répondu à vos questions sur le conflit et ses implications.

Publié aujourd’hui à 17h08, mis à jour à 21h02

Des forces pro-Turques lors des combats dans la ville de Ras al-Ain, au nord-est de la Syrie.


Des forces pro-Turques lors des combats dans la ville de Ras al-Ain, au nord-est de la Syrie. NAZEER AL-KHATIB / AFP

La Turquie a lancé une offensive dans le nord-est de la Syrie, mercredi 9 octobre, après le retrait américain et malgré de vives critiques internationales. Un premier bilan fait état, lundi 14 octobre, de 104 combattants kurdes et plus de 60 civils tués, selon les Nations unies. Plus de 130 000 personnes ont déjà été déplacées. Les Kurdes de Syrie, lâchés par les Etats-Unis, ont annoncé, dimanche 13 octobre, avoir conclu un accord avec le régime de Bachar Al-Assad pour le déploiement de l’armée syrienne dans le nord du pays, afin de s’opposer à l’avancée rapide des troupes turques et de leurs alliés. Notre journaliste Allan Kaval, qui a passé plusieurs jours dans le nord-est syrien, a répondu à vos questions lors d’un tchat.

Yoann : Les forces kurdes annoncent que l’armée turque est renforcée par d’anciens soldats djihadistes. Quelles relations la Turquie entretient-elle avec Daech et les islamistes ?

Ankara soutient, depuis le début de la guerre civile syrienne, plusieurs groupes d’opposition très divers mais qui sont tous marqués par une certaine coloration islamiste. Ces groupes ont pris les armes en vue de renverser Bachar Al-Assad. Avec le renforcement du régime et l’éloignement de l’horizon révolutionnaire, elles sont maintenant des milices supplétives servant l’obsession stratégique de la Turquie depuis au moins quatre ans : affaiblir, voire éliminer toute influence des forces à dominante kurde dans le nord-est du pays.

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KipeufRkoi ? : Suite à l’inaction américaine et du fait des incapacités européennes, quel pourrait être le rôle de la Russie ?

La Russie n’a jamais totalement coupé les ponts avec les autorités kurdes syriennes, qui ont elles-mêmes toujours entretenu des lignes de communication et de négociation avec le régime de Damas, protégé par Moscou. On ne peut douter que la Russie joue un rôle central dans la construction de la relation à venir entre les autorités à dominante kurde et le régime de Bachar Al-Assad. Toutefois, la Russie ne peut se mettre totalement Ankara à dos. Conserver de bonnes relations avec la Turquie, ne pas la contraindre dans ses plans de manière trop forte, permet à Moscou d’enfoncer encore davantage un coin entre Ankara et ses partenaires de l’OTAN.

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GN : En combien de temps la Turquie peut-elle conquérir le nord de la Syrie ? Quelle serait ensuite l’administration de cette zone ?

Le problème, c’est que les alliés occidentaux des YPG (unités de protection du peuple), qui sont la composante kurde dominante des Forces démocratiques syriennes (FDS), ont renoncé à les défendre depuis le début de l’offensive. Au contraire, ils se retirent. L’opération turque en cours n’aurait pas pu avoir lieu sans le blanc-seing donné à M. Erdogan par M. Trump.
« C’est une guerre asymétrique qui illustre un rapport de force très déséquilibré entre les belligérants et qui est favorable à la Turquie et à ses alliés. »
Malgré une frappe turque contre une implantation militaire de la coalition internationale où étaient présents des militaires français et américains – frappe qui n’a pas fait de victimes –, il n’est pas envisageable pour les principales nations membres de la coalition – qui font, comme la Turquie, partie de l’OTAN – d’avoir une posture agressive à l’égard d’Ankara. Contrairement aux milices islamistes déployées par la Turquie qui sèment la terreur dans le nord-est syrien avec l’appui de l’artillerie, de l’aviation et des moyens techniques des forces armées turques, les FDS sont parfaitement démunies. Une haute responsable kurde de Syrie me confiait encore, samedi, que les FDS avaient dû passer en « mode guérilla ». C’est une guerre asymétrique qui illustre un rapport de force très déséquilibré entre les belligérants et qui est favorable à la Turquie et à ses alliés. Reste maintenant à voir comment les forces du régime Assad, qui se déploient dans le nord du pays à l’appel des FDS, vont transformer les termes de l’équation…

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Travailleur acharné : Cette offensive ne sacre-t-elle pas la victoire totale de Bachar Al-Assad dans cette guerre civile ?

Bachar Al-Assad boit du petit-lait. Si l’on observe la situation d’un œil cynique, on comprend qu’il a profité de l’intervention de la coalition contre l’Etat islamique avec les Forces démocratiques syriennes (FDS) pour voir le territoire syrien débarrassé de toute emprise territoriale djihadiste. Et qu’il a ensuite profité des obsessions stratégiques turques et des flottements au sein du pouvoir à Washington pour qu’une opération lancée par Ankara se traduise, en définitive, par le retrait de cette même coalition.
Avec son parrain russe, il devient alors le seul recours des FDS et investit des territoires dont il n’aurait pu reprendre le contrôle dans d’autres circonstances. L’objectif de Bachar Al-Assad est d’imposer de nouveau son autorité sur l’ensemble du territoire syrien. Prises dans leurs intérêts stratégiques irréconciliables et par l’impossibilité d’une confrontation directe entre elles, les grandes puissances qui gravitent autour de la crise syrienne font le travail pour lui.

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Qwinmore : Quels sont les différents moyens de pression dont la France peut faire usage contre la Turquie pour l’inciter à renoncer à cette opération militaire ?

Paris se veut en pointe de l’opposition internationale à l’intervention turque. Face à Ankara, la France entend utiliser son influence au niveau de l’Union européenne pour pousser des prises de position fortes ou la mise en place de régimes de sanction. Elle œuvre aussi au niveau du Conseil de sécurité de l’ONU pour accroître le niveau de pression internationale sur la Turquie, imposer un cessez-le-feu, une zone de non survol…

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Mais ces efforts diplomatiques se déploient dans une temporalité qui n’est pas celle des évolutions sur le terrain qui, elles-mêmes, créent des situations de fait accompli sur lesquelles il sera impossible de revenir. Ankara pousse son avantage en profitant de l’incapacité des alliés des Forces démocratiques syriennes (FDS) à agir. Et ce, d’autant plus que c’est le dirigeant premier de ces alliés, le président américain Donald Trump, qui, contre l’avis de son administration, a rendu possible cette opération…
Quoi qu’il en soit, la forme que pourrait prendre une quelconque solution politique ou diplomatique portée par de tels efforts reste extrêmement floue. Il semble qu’il soit désormais trop tard et que l’urgence de la situation a poussé les FDS à cesser d’attendre quoi que ce soit de ses partenaires les plus proches pour se tourner vers la Russie et le régime syrien, quitte à perdre un large partie de leur autonomie

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A Kamechliyé, un homme gravement brûlé se fait soigner à l’hôpital, le 13 octobre. Il était dans le convoi de civils bombardé par l’armée turque.
A Kamechliyé, un homme gravement brûlé se fait soigner à l’hôpital, le 13 octobre. Il était dans le convoi de civils bombardé par l’armée turque. LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE »
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Dr. Folamour : Quelle est l’intensité des combats en cours ?

Au cours des dernières heures, et d’après des sources ouvertes, les tensions montent autour de la ville de Manbij, véritable nœud entre les zones tenues par les Forces démocratiques syriennes (FDS), celles tenues par le régime syrien et celles dominées de longue date par la Turquie dans le nord de la Syrie. La reprise de Manbij est un objectif formulé par Ankara depuis 2016 et la victoire que les FDS ont obtenue face à l’Etat islamique (EI) avec le soutien de la coalition.
« Manbij qui pourrait être le théâtre d’un face-à-face dangereux entre la Turquie et le régime syrien où les FDS à dominante kurde seraient un acteur de deuxième plan. »
Or, face à la menace turque, ces dernières ont invité le régime syrien à investir la ville et ses environs. D’après les déclarations de l’exécutif turc, c’est Manbij qui pourrait être le théâtre d’un face-à-face dangereux entre la Turquie et le régime syrien où les FDS à dominante kurde seraient un acteur de deuxième plan. Par ailleurs, la ville de Ras Al-Aïn, historiquement mixte avec des populations arabe et kurde, est toujours disputée entre les supplétifs d’Ankara et les FDS. Après la frappe turque contre un convoi civil, dimanche 13 octobre, de nouveaux tirs d’artillerie ont été relevés ce lundi après-midi. Près de Tal Abyad, les forces supplétives turques accroissent leur emprise. Outre Manbij, les forces du régime syrien poursuivent leur déploiement dans le nord-est à l’invitation des FDS. Elles ont repris le contrôle de leur base d’Aïn Issa, au nord de Rakka où les unités des forces kurdes ont levé le drapeau syrien. Pour un suivi régulier des évolutions de terrain, je vous conseille de consulter ce site qui agrège les derniers développements sur une carte interactive.

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