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dimanche 20 mai 2018

On ne peut réformer la France sans les Français


19 mai 2018

On ne peut réformer la France sans les Français

Pour l'entrepreneur et essayiste Philippe Lemoine, il faut cesser de penser les mouvements citoyens comme des grands corps malades qu'il faudrait humilier pour satisfaire une partie de l'opinion

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LE CONTEXTE
Gouvernement
Les ministres du gouvernement d'Edouard Philippe sont allés jeudi 17  mai à la rencontre des Français pour expliquer la méthode mise en œuvre depuis un an pour " remettre la France en marche " dans un pays vite épinglé comme -" rétif aux réformes ".
mouvements alternatifs
Le choix du verticalisme éclairé pour contrer le statu quo des " avantages acquis " fait débat, au moment où le -mouvement social adopte des formes variées et inédites -au-delà des grèves syndicales traditionnelles, comme dans la ZAD de Notre-Dame-des Landes, aux franges de la contestation radicale.
Le conflit en cours sur la SNCF et la réforme du statut des cheminots va-t-il s'éteindre doucement  ? A l'image de ce qui s'était passé à l'automne avec la réforme du code du travail, le président de la République marquera-t-il à nouveau le point  ? Un tel scénario semblerait valider une stratégie bien éloignée du dialogue et de la coconstruction, mais directement inspirée du diagnostic selon lequel "  les Français détestent les réformes  ".
Au moment où la France célèbre le cinquantenaire de Mai 68, il est pourtant étrange d'entendre de tels raisonnements. Cette idée d'un peuple qui résisterait aux changements portés par une élite éclairée paraît si ancienne… N'est-ce pas ce genre de lieux communs qu'il faudrait "  réformer  " – au sens de mettre à la casse  ?
Les Français vivent une métamorphose culturelle, sociale, économique profonde, et il suffit de leur tendre un micro pour voir à quel point ils ont appris à relier des questionnements sur leur vie, leur pays et le monde. Le tsunami de la transformation numérique accroît encore le phénomène, puisque ce qui caractérise l'étape actuelle de disruption numérique, c'est que ce sont précisément les personnes qui font désormais la course en tête. Depuis la fin des années 2000, elles se sont saisies massivement des nouveaux outils interactifs et, surtout, ce sont elles qui inventent les nouveaux usages, tandis que les entreprises courent derrière elles pour capter ces innovations dans des modèles d'affaire.
Très souvent, les pouvoirs sont à la traîne et il devient indispensable de réinterroger le populisme et les réactions antisystème à la lumière de ce constat. Ce débordement des anciennes élites est si manifeste qu'un jeune pouvoir ne peut désormais plus le nier.
Emmanuel Macron aime rappeler que les équipes d'En marche  ! avaient sillonné le pays avant l'élection, et que sa démarche se fondait sur l'écoute de ce que les gens avaient à dire. Sur un sujet comme la SNCF, les réformes ont été précédées d'un échange direct entre le président et un groupe de cheminots. Quand il s'agit de préparer l'échéance des européennes, les marcheurs repartent à la rencontre des citoyens.
Convergence des aspirationsCes moments sont certes loin d'être inutiles, mais sont-ils suffisants si l'ambition est de vouloir réellement transformer la France  ? Ce serait une illusion de croire qu'ils instaurent à eux seuls une connexion entre le "  haut  " et le "  bas  ". Dans la période actuelle, il est possible d'en appeler à l'intelligence collective, mais à condition de ne pas voir la société comme une simple collection d'individualités, seulement reliées entre elles par des réseaux technologiques. Il faut cesser de penser les mouvements citoyens et les corps intermédiaires comme des grands corps malades qu'il faudrait humilier pour satisfaire une partie de l'opinion.
Certains croient que le chamboule-tout qui se produit depuis un an dans l'univers politique va se poursuivre dans le monde des syndicats, des associations et des ONG. Cela n'a pourtant rien à voir  ! Un syndicat comme la CFDT, par exemple, n'a pas 50  000  ou 60 000 cotisants comme en avait le Parti socialiste avant son éclatement  : il n'a cessé de croître et, avec 850  000 adhérents, est devenu récemment la première organisation syndicale du pays. Une multitude de groupements citoyens prolifère sur les enjeux écologiques ou urbains, sur les questions de genre, de sexe, de discriminations. La diversité de la société française renouvelle ces mouvements, qui ne sont plus systématiquement dominés par des mâles blancs et âgés. La société civile foisonne et ambitionne de s'ériger en société civique.
Transformer la France ne se fera pas sans appel à cette énergie. Trois chantiers supposent que soit reconnue et utilisée cette dynamique de la France des profondeurs.
D'abord, il faut s'attaquer au chantier des utopies et de la vision. Dans une période de mutation intense comme aujourd'hui, on ne peut pas se contenter de moderniser, au sens de s'aligner sur ce que font les autres. Il faut imaginer où on veut aller et construire un horizon désirable. Cela passe par une mobilisation des intellectuels et des artistes pour dégager des images et des mots du foisonnement des initiatives de terrain. Il faut penser à partir de ce qui bouge et retenir le meilleur de ce slogan oublié de 68  : "  Assez d'actes, des paroles  !  "
Ensuite, concernant le chantier de la cohésion, il n'est pas certain que l'heure soit à la convergence des luttes conçue comme une convergence des colères. Elle est plutôt à la convergence des désirs et des aspirations. Cela suppose un changement d'attitude des mouvements citoyens les uns envers les autres. Moins de poids devrait être donné aux questions de pouvoir et d'ego et plus de lien devrait être tissé entre des organisations où les personnes viennent tout entières, dans toutes leurs dimensions de travailleur et de citoyen, de femme ou d'homme, de croyant ou non, de parent ou de solitaire.
Le goût de la libertéEnfin, il faut s'attaquer au chantier de la liberté. A côté des traditions d'égalité et de solidarité qui caractérisent les mouvements citoyens, il est indispensable que ces mouvements suscitent un nouvel élan de liberté. Pour Alexis de Tocqueville (1805-1859), le peuple a été saisi par le goût de la liberté et la Révolution est née dans une France déstabilisée par des réformes en tous sens menées par l'Ancien Régime. Aujourd'hui, la -liberté est bridée dans une conception trop individualiste de "  propriété de soi  ". La société française a la capacité d'accoucher d'un projet plus fort et plus novateur, celui de la liberté de se transformer les uns les autres.
Le monde a aujourd'hui besoin d'un nouvel horizon, et nous rêvons tous que la France contribue à l'éclairer. Le talent de l'actuel président a été de créer une dynamique qui redonne à notre pays une crédibilité. Mais pouvons-nous nous transformer au point d'être à la hauteur de cette ambition  ? Avec les Français, peut-être. Sans eux, certainement pas.
Philippe Lemoine
© Le Monde

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