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vendredi 19 janvier 2018

Le gouvernement enterre " l'aéroport dela division "


19 janvier 2018

Le gouvernement enterre " l'aéroport dela division "

Malgré les promesses du candidat Macron de réaliser un nouvel aéroport, le premier ministre a annoncé l'abandon du projet pour sortir de " l'impasse "

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LES DATES
1965-1970
Le projet d'un aéroport pour le Grand Ouest naît dans un contexte économique favorable.
2000
Le 26 octobre, le premier ministre, Lionel Jospin, relance le projet, en sommeil depuis un quart de siècle.
2008
Publication au Journal officiel, le 10 février, du décret déclarant le projet d'utilité publique. Début de l'occupation de la zone par des militants dès l'année suivante.
2015-2016
Annonce par la préfecture de la reprise des travaux sur le site. Consultation des électeurs de Loire-Atlantique, majoritairement favorables au projet.
2018
Abandon, le 17 janvier, du projet d'aéroport par le gouvernement d'Edouard Philippe.
Il était un peu plus de 13 h 30, mercredi, quand ils sont entrés sous la verrière du jardin d'hiver de l'Elysée, groupés autour d'Edouard Philippe comme un pack de rugby. Six membres du gouvernement pour annoncer la décision la plus délicate qu'a eu à prendre l'exécutif depuis le début du quinquennat : l'abandon du projet de construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), un dossier lancé il y a un demi-siècle et qui empoisonne les gouvernements successifs depuis une quinzaine d'années.
" Je constate aujourd'hui que les conditions ne sont pas réunies pour mener à bien le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ", devenu " l'aéroport de la division ", a indiqué le chef du gouvernement à l'issue du conseil des ministres, mettant fin à un suspense qui durait depuis des semaines. Ajoutant : " Un tel projet d'aménagement qui structure un territoire pour un siècle ne peut se faire dans un contexte d'opposition exacerbée entre deux parties presque égales de la population. "
" Cette décision est logique au regard de l'impasse dans laquelle se trouve ce dossier. Cinquante années d'hésitation n'ont jamais fait une évidence ", a plaidé M. Philippe dans une déclaration d'une quinzaine de minutes, fustigeant " l'indécision des gouvernements successifs - qui - a laissé les partisans du projet et ses opposants s'affronter, se dresser les uns contre les autres. On a parfois instrumentalisé ces oppositions à des fins politiciennes "" Il n'y avait pas de bonne décision mais il était temps de choisir ", explique-t-on dans l'entourage du premier ministre.
Plutôt que de construire un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes, petit bourg situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Nantes, l'exécutif choisit de réaménager celui de Nantes-Atlantique, en rallongeant sa piste et en augmentant sa capacité. C'est un moyen de répondre aux élus locaux qui estiment nécessaire d'améliorer la desserte de la région pour assurer son développement économique. L'aéroport de Rennes-Saint-Jacques verra également son aérogare agrandie et les dessertes ferroviaires seront " fluidifiées et multipliées " pour que les habitants du Grand Ouest puissent " rallier directement les grands aéroports parisiens ", a promis le premier ministre.
Lors de son intervention, M.  Philippe a également précisé que l'Etat ne conserverait pas la propriété des terrains expropriés il y a des années pour l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. " Les terres retrouveront leur vocation agricole, (…) elles ne seront pas conservées pour réaliser ultérieurement le projet ", a-t-il affirmé, assurant que la décision du gouvernement est " irrévocable ".
Recul annoncéSi l'abandon du projet a été salué sur le terrain par des cris de joie parmi les quelques centaines d'occupants de la " zone à défendre ", le chef du gouvernement s'est engagé à " rétablir rapidement l'état de droit sur la zone ". Dans l'immédiat, " les trois routes qui traversent le site doivent rapidement être rendues à la circulation publique ", a indiqué M.  Philippe sans préciser de délai, qui n'excédera pas quelques jours selon Matignon. Jeudi, Gérard Collomb, le ministre de l'intérieur, a annoncé que les routes seront libérées " d'ici à la fin de la semaine prochaine " et qu'il privilégiait " la discussion et la négociation " plutôt que l'emploi de la force. Les occupants ont déjà répondu positivement à cette demande et plusieurs compagnies de gendarmes mobiles ont été positionnées à proximité du site.
Concernant les terrains et les fermes, " les occupants illégaux devront partir d'eux-mêmes d'ici au printemps prochain " et la fin de la trêve hivernale fixée au 31  mars, a ajouté le premier ministre, faute de quoi les forces de l'ordre les délogeront. Ce propos plus martial est destiné à répondre aux accusations de faiblesse immédiatement lancées par l'opposition, qui estime que le gouvernement a reculé devant " une poignée de zadistes ". Mais la réallocation des parcelles agricoles s'annonce comme un casse-tête tant les situations sont complexes.
En laissant " jusqu'au printemps " aux zadistes pour évacuer, le gouvernement fait aussi le pari que le temps est son meilleur allié pour éviter un autre Sivens, où les affrontements avec les forces de l'ordre avaient provoqué la mort d'un jeune homme. " Les écologistes les moins radicaux vont partir d'eux-mêmes et il ne restera plus que les plus durs à déloger ", explique un proche d'Emmanuel Macron. Traduction : l'opinion publique sera moins rétive à l'usage de la manière forte si Notre-Dame-des-Landes n'est plus occupée que par quelques irréductibles. " Ceux qui pensent qu'ils vont pouvoir créer un deuxième Larzac à vie se trompent lourdement ", ajoute ce même proche.
Selon la version officielle, la décision de renoncer au projet d'aéroport aurait été prise formellement lundi soir, lors d'un ultime tête-à-tête entre M. Macron et M. Philippe à l'Elysée. En réalité, au sein de la majorité, beaucoup avaient compris dès la mi-décembre le recul annoncé : la publication du rapport des trois experts nommés par le gouvernement en juin  2017 ouvrait la voie à cette solution. " Mis à part quelques députés irréductibles attachés au projet, on a tous commencé à comprendre à la lecture du rapport que l'aéroport avait du plomb dans l'aile ", souriait mercredi un député La République en marche (LRM).
Plusieurs observateurs attentifs avaient également relevé, lors de l'inauguration des deux lignes du TGV Atlantique, en juillet  2017, que les ministres de la transition écologique, Nicolas Hulot, et des transports, Elisabeth Borne, avaient expliqué que les grands projets de transport n'étaient plus la priorité du gouvernement. Des mots passés inaperçus à l'époque, mais qui préfiguraient déjà pour certains l'enterrement programmé de Notre-Dame-des-Landes.
Reste que, jusqu'au dernier moment, rien n'a filtré ni de la décision ni des débats internes à l'exécutif, une façon de laisser entendre que la concertation était réelle. La plupart des membres du gouvernement n'avaient pas connaissance de la décision finale en arrivant au conseil des ministres mercredi. Ils ont d'ailleurs pu évoquer une dernière fois la question, pour la forme, dans le huis clos du conseil.
" Si tu plantes ta tente "…Autour de la table, des positions radicalement opposées, comme celles de Nicolas Hulot, qui a toujours été contre le projet, et de Jean-Yves Le Drian, ancien président de la région Bretagne et favorable à Notre-Dame-des-Landes comme la plupart des élus locaux, ont été exprimées. " Chacun a défendu son point de vue au cours des dernières semaines, après il y a une décision qu'il faut respecter ", indique un conseiller.
Le choix de l'exécutif est une victoire pour le ministre de l'écologie, qui a perdu plusieurs arbitrages sur des dossiers environnementaux depuis son entrée au gouvernement. Particulièrement soigné par le chef de l'Etat, M.  Hulot a toujours dit son opposition au projet d'aéroport, mais, prudent, il n'en a jamais fait, comme ministre, un motif de démission. " Nicolas Hulot a été très mesuré depuis le début et n'a jamais fait de Notre-Dame-des-Landes une cause de clash ", a souligné en privé M. Philippe mercredi.
L'entourage du ministre des affaires étrangères tentait lui aussi de faire bonne figure, assurant que M. Le Drian avait été " associé à toutes les réunions et phases de réflexion ". Même si, habile, l'ancien ministre de François Hollande s'est publiquement tenu éloigné de ce dossier piégé et a fait évoluer son discours après la remise du rapport des médiateurs en décembre. " Ma position, c'est que Notre-Dame-des-Landes est la meilleure solution. Maintenant, il apparaît une nouvelle solution, il faut l'étudier ",avait-il déclaré sur RTL avant Noël. Mercredi, il a fait part de sa déception dans un communiqué, assurant qu'il " regrette " mais " respecte " la décision gouvernementale.
En décidant de ne pas construire Notre-Dame-des-Landes, Emmanuel Macron et Edouard Philippe gagent que l'efficacité paiera davantage que la cohérence. Lors de la campagne présidentielle, le futur chef de l'Etat s'était en effet prononcé à plusieurs reprises pour le projet. " Le peuple s'est exprimé, je suis pour respecter cette décision ",avait-il notamment déclaré sur France Inter le 3  février 2017, dans une allusion à la consultation limitée au département de la Loire-Atlantique décidée par François Hollande. Le 26  juin 2016, elle avait donné la victoire aux partisans de l'aéroport, avec 55,17  % des voix.
En reniant l'un de ses engagements de campagne, le chef de l'Etat met à mal l'un des principes forts de son début de quinquennat : le respect de la parole donnée, ce fameux" je fais ce que j'ai dit " répété à l'envi et salué par une majorité de Français dans les études d'opinion. " Il y a un risque de dissonance, mais il est maîtrisé ", concède un conseiller ministériel. " C'est le mauvais “en même temps”, autrement dit la double peine : ils vont se taper le bazar de l'évacuation et ils donnent le sentiment que si tu plantes ta tente n'importe où, l'Etat cède ", met en garde un ancien de Matignon.
Effet immédiatConscient de la justesse de la critique et du danger, l'exécutif a décidé de se placer sur un autre terrain pour défendre sa décision : celui du " faire ". S'il n'y avait " pas de bonne décision ", comme l'a reconnu Edouard Philippe à l'Assemblée nationale mercredi après-midi, l'important était d'en prendre une, sans tergiverser, avec effet immédiat. " Même s'ils ne sont pas toujours d'accord avec nous, les Français nous sont redevables d'agir et de ne pas rester dans l'immobilisme qu'ils ont connu lors des quinquennats précédents ", analyse un proche du chef de l'Etat.
Preuve que le mot d'ordre avait été passé, les piliers de la macronie se sont empressés de communiquer sur ce thème après l'annonce de l'exécutif. " Prendre des décisions est la marque de ce gouvernement. Le courage politique est en marche ! ", a ainsi posté sur Twitter le député (LRM) Sylvain Maillard. " Aucune trahison, mais le courage de décider ", a ajouté Arnaud Leroy, membre du bureau exécutif de LRM et proche d'Emmanuel Macron.
" Quelle que soit la décision prise, elle était impopulaire pour une partie des acteurs, mais le fait de décider honore l'exécutif, estimait également le député (LRM) de la Vienne Sacha Houlié. La seule nouveauté, en réalité, c'est qu'enfin on décide alors que ça fait cinquante ans que le dossier traîne. " Un refrain entamé dès la veille, mardi, lors de la réunion du groupe LRM à l'Assemblée nationale, par Manuel Valls : devant son successeur à Matignon, l'ancien premier ministre socialiste avait lui aussi expliqué que" le plus important est de trancher et d'agir ". C'est désormais chose faite.
Rémi Barroux, Bastien Bonnefous, Cédric Pietralunga et Solenn de Royer
© Le Monde

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