Translate

vendredi 28 novembre 2025

L'actualité littéraire Hebdo avec BILIOS - Vendredi 28 novembre 2025

 



 
Vendredi 28 novembre 2025
Chaque vendredi, notre sélection d’articles pour suivre l’actualité littéraire et la vie des idées : romans, essais, polars et BD.
« Dans “le Cercle rouge” » : de l’importance des petites mains

Par  Arnaud Sagnard

Dans un métier où l’on scrute volontiers les yeux énamourés les grands de ce monde, il est bon de se voir rappeler qu’il faut également regarder à hauteur d’homme. Ainsi, une déité du cinéma apparaît enfin telle qu’en sa beauté éternelle et sa médiocrité passagère, humaine, terriblement humaine.

C’est un des précieux enseignements du livre étonnant de Bernard Stora (Denoël), réalisateur et scénariste de talent resté dans l’ombre, consacré au tournage d’un seul film, « le Cercle rouge » de Jean-Pierre Melville. Si le nom de l’auteur ne vous dit rien − ce fut notre cas −, sachez au moins qu’il a travaillé avec quelques-uns des plus grands cinéastes, qu’il a adapté au théâtre des œuvres de David Mamet, Sam Shepard, au cinéma « l’Inondation » d’Evgueni Zamiatine et « l’Inconnu dans la maison » de Simenon, avant d’être le confident, trois livres durant, de Line Renaud, un homme de goût donc.

Plutôt que de revenir sur une carrière bien remplie, il a préféré faire le récit des 66 jours de tournage du long-métrage réunissant dans un Paris crépusculaire Alain Delon, Gian Maria Volonté, Yves Montand avec à leurs trousses, dans son plus beau rôle, André Bourvil. Sur le papier, un classique film de bandits et de flics de 1970 mais surtout ; comme dans toute l’œuvre de Melville, un récit sur le courage et la trahison reliant les hommes entre eux et la mort qui les attend au bout du chemin.

Là où l’ouvrage de Stora se distingue de tous les autres, c’est qu’il prend comme unique matière les feuilles de service, aussi appelées « call sheets », ces papiers résumant les attendus de la journée de tournage : lieux, moyens de transport, scènes tournées, décor, accessoires, personnes convoquées… Autrement dit, le document que chaque membre de l’équipe jette une fois la journée achevée car un autre arrivera le lendemain matin et que Bernard Stora, alors premier assistant du maître, a conservé. Soit une accumulation de faits faussement insignifiants lui permettant de raconter par le menu comment Melville, esprit génial et tourmenté, bien aidé par une équipe qu’il martyrise, a organisé et inventé la mise en scène d’un de ses chefs-d’œuvre.

Nous voilà littéralement plongés dans le tournage, ses problématiques et guerres picrocholines − il faut absolument retourner une scène à cause de l’ombre d’un téléphone sur un mur −, son âpreté et la vision de l’artiste qui le porte. Comme dans un documentaire immersif tourné à l’époque et où Bernard Stora, stylo-caméra à la main, fait lui aussi preuve d’un style lucide et distancié de toute beauté. Ainsi, à l’instar de « Lézardes » (Verticales), le roman d’Hélène Frédérick sur le sublime autant qu’invisible métier de correcteur d’édition, le lecteur (re)découvre un regard transversal sur l’art qui, comme la balle tirée par Yves Montand/Jansen, dans la bijouterie Mauboussin en ouvre la porte et en libère les trésors.

Notre sélection
Informez-vous sans modération.
Abonnez-vous pour consulter tous nos articles en illimité et recevoir nos newsletters réservées à nos abonnés.
 
Découvrez l’application du Nouvel Obs
Suivez toute l’actualité décryptée par nos journalistes dans une expérience de lecture intuitive et immersive.
 
 
 
 
 
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire