Ce jeudi soir-là, dans l’espoir d’acheter des ouvrages d’Hannah Arendt afin de comprendre le possible totalitarisme qui vient − trois pour le prix d’un hamburger en terrasse, merci le livre de poche d’avoir atténué la crise de la culture que vous exposez si bien, chère Hannah −, j’ai franchi la porte d’une librairie parisienne, une de mes préférées, celle des Acacias, boulevard du Temple. Celle-ci s’ouvrait mal d’ailleurs tant il y avait de monde à l’intérieur en raison du lancement du premier roman d’Ivan Butel, « Le silence et l’or » (éditions Globe) qui s’y déroulait. Le lendemain dans le même quartier, je passe une tête par celle de Publico, haut lieu de la pensée anarchiste et librairie où les clients ont toujours dialogué entre eux quand les autres établissements sont le plus souvent silencieux.
Et là, parmi les très nombreuses revues, fanzines et flyers plus ou moins révolutionnaires, je tombe sur un petit document de la BNF vantant les mérites d’« A voix haute », une série de lectures de manuscrits sortis des fameuses archives de la rue de Richelieu. Malheureusement, je venais de rater celle du « Voyage au bout de la nuit » de qui vous savez par Laurent Sauvage à laquelle succéderont une fois par mois jusqu’en mai « Ravages » de Barjavel par Catherine Hiegel suivis de textes de Marie-Hélène Lafon, Bernard-Marie Koltès et Claude Lévi-Strauss. Le tout se déroulant au cœur de la salle Ovale et de la salle des manuscrits et− de la Musique. Du nanan.
Ainsi, chez les débutants comme chez les plus que confirmés, on déploie un spectacle à partir de textes figés et la verticalité de la voix d’un(e) comédien(e) ou d’un(e) écrivain(e) donne vie aux lignes horizontalement posées entre les pages. A chaque fois, le public suit. Les uns prêts à payer 10 euros pour la performance à la BNF − moins cher qu’un séjour chez les sympathiques Tuche − tandis que les autres savent qu’ils peuvent à cette occasion acheter un exemplaire du livre célébré et même le faire dédicacer.
Bien qu’adepte des conclusions hâtives, je me suis dit qu’il n’y avait finalement là rien de vraiment neuf − Socrate n’agaçait-il pas déjà les Athéniens avec ses lectures-performances ? − quand j’ai vu les murs du métro couverts de publicités pour Audible, la filiale d’Amazon, mastodonte des livres audio capable de recruter Lambert Wilson et Laetitia Casta pour réincarner « 1984 » de George Orwell. Ainsi, l’écrit a, semble-t-il, de plus en plus de mal à se passer de l’oral − certains ados incapables de se concentrer ne lisent d’ailleurs plus qu’avec les oreilles − et ce faisant, les galériens du texte dont nous sommes trouvent là un moyen supplémentaire de promouvoir leurs travaux. Car, ne l’oublions pas, à notre piteuse époque, toute prise de parole cache de l’auto-promo, cette discipline honteuse dont vous pourrez, au hasard, vérifier la matérialité le 7 février à la Maison de la Poésie.
Arnaud Sagnard
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