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lundi 18 novembre 2024

LSDJ (La Sélection du Jour) - Société : Jérôme Fourquet dresse le portrait d'une France métamorphosée - Lundi 18 novembre 2024

 



La Sélection Du Jour
18 Novembre 2024 - N°2323

Société

Jérôme Fourquet dresse le portrait d'une France métamorphosée

Photo : MARTIN BUREAU / AFP
Après L'Archipel français, une nation multiple et divisée (2019, prix du livre politique), La France sous nos yeux (2021, prix du livre d'économie) et La France d'après (2023), Jérôme Fourquet publie Métamorphoses françaises, état de la France en infographies et en images (Seuil). Paradoxe : cet « album de famille collectif » montre un pays devenant de plus en plus étranger à lui-même.
Directeur du département Opinion de l'Ifop, Jérôme Fourquet est reconnu comme « l'un des meilleurs observateurs de notre société » (L'Express). Ses analyses sont écoutées par tous, récupérées par certains, surtout à droite. Mais l'instrumentalisation n'est-elle pas inévitable ? Après les Gilets jaunes, son concept d'archipel français dopa sa carrière de sondeur. Notre pays, pourtant si centralisé, ressemblerait à un « puzzle désarticulé ». L'idée exprimait l'inquiétude croissante de nos contemporains devant la déliquescence de la culture commune. Pourtant, l'archipélisation ne rendait pas compte d'autres réalités sous-jacentes ou structurantes, comme celles portées par ses confrères Stéphane Rozès, jaugeant l'imaginaire des peuples, et Jérôme Sainte-Marie, pointant les blocs élitaire et identitaire. Malgré leurs divergences, notons que ces trois politologues – dont deux sont issus de l'extrême-gauche (Rozès et Sainte-Marie) – partagent aujourd'hui une vision éloignée du progressisme ambiant.

Fourquet se distingue par sa présence médiatique. Il « court les plateaux télé assénant des vérités pas toujours agréables à entendre d'une voix toujours posée », note Jean-Michel Normand dans Le Monde. Il en devint « la coqueluche des médias en passant au gant de crin la société française avec une absolue placidité », ajoute-t-il. Empathique et parlant clair, le politologue affronte tranquillement les polémiques, comme celle sur les prénoms apparue dans le sillage de L'Archipel français : « Lorsque l'on a vu émerger les fameux 18 % (de prénoms d'origine arabo-musulmane, ndlr), on s'est dit que ce chiffre allait faire du bruit mais on n'allait quand même pas refermer le couvercle par crainte de la récupération politique », soupire-t-il. La réaffirmation identitaire islamique se conjugue à la désaffiliation chrétienne. Le nombre de filles prénommées Marie passa de 20 % en 1900 à moins de 0,3 % en 2015. Tout est à l'avenant : on est passé de 82 % de baptisés en 1961 à 27 % en 2018. En 2020, 17 % de nos concitoyens possédaient un crucifix à la maison contre 39 % en 1988. 14 % avaient du buis béni contre 36 % en 1988. 

Métamorphoses françaises n'est pas une compilation de données statistiques : le chapitrage est essentiel. Fourquet invite à une lecture dynamique au fil de doubles pages thématiques semblant s'enchaîner logiquement. Tout commence par « la dislocation de la matrice catholique » (1er chapitre) qui engendre « un basculement anthropologique » (2e chapitre). Le sondeur part du « déclin de la pratique religieuse », constate « un nouveau paysage spirituel » puis explore « la reconfiguration des structures familiales »« un nouveau rapport au corps » et « la montée en puissance de la cause animale ». Ce dernier phénomène « se développe dans les espaces où les vieux référentiels paysans et catholiques ont été le plus arasés ». Certains chiffres sont connus depuis belle lurette comme le nombre de mariages divisé par plus de deux entre 1955 et 2020 et le nombre de divorces multiplié par quatre depuis mai 1968. D'autres le sont moins, comme celui des naissances hors mariage (65,2 % en 2022), comme le nombre de crémation (43 % en 2023 contre 0,9 % en 1980) ou comme pour le tatouage, pratique naguère marginale, qui concerne désormais un tiers des 18-34 ans.

Trois autres métamorphoses touchent la France : la désindustrialisation, l'immigration et l'américanisation. Les trois sont liées mais la dernière est celle dont on parle le moins. C'est la plus sournoise, la moins visible, même si la photo double page d'un Buffalo Grill inaugure ce chapitre. L'américanisation « s'observe dans nos assiettes » au gré des 1560 McDo que compte la France et des 23 L de Coca-Cola bus par an et par habitant. Les familles Groseille du Rassemblement dit « national » ne luttent pas pour se dévêtir de cette « couche yankee très épaisse ». L'américanisation imprègne aussi le haut, jusqu'à la vie politique, comme l'illustre l'adoption du système des primaires par Les Républicains, nom tiré du grand-frère US. Cette « colonisation sans colons » (Régis Debray) fait de nous des « Gallo-ricains ».

Au bout du compte, la France se ramène toujours plus à une plateforme logistique (400 000 chauffeurs routiers en 2020), une zone de chalandise qui ne produit plus et à un parc de loisirs pour l'Europe et le monde. Dans un contexte inflationniste prospère le low-cost à la mode Ouigo et Flixbus. Selon Fourquet, cela « l'économie de la débrouille cartonne », à l'image d'Action qui disposait fin 2023 de 750 magasins contre un seul en 2012. Métamorphoses françaises montre une France sans âme, mutante, fracturée, déclassée, tiers-mondisée. L'ombre d'elle-même.
Louis Daufresne

Eugénie Bastié: «Déchristianisation, désindustrialisation, immigration, américanisation... Comment nous avons changé de France en quarante ans»

>>> Lire l'article sur Le Figaro
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