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vendredi 15 novembre 2024

L'actualité littéraire HEBDO avec BIBLIOBS - vendredi 14 novembre 2024

 

BibliObs

Vendredi 15 novembre 2024

Est-il bien normal de vouloir se remplir de café lorsqu’on vient de perdre son fils, c’est-à-dire qu’on l’a perdu le jour même ? C’est une des nombreuses questions que se pose Hélène Risser, journaliste, réalisatrice, écrivaine, dans « Après Arthaud » (L’Observatoire), où elle décrit minutieusement la période qui a suivi la mort de son fils de 21 ans, le 23 mars 2022. Hélène Risser est la femme de Sylvain Courage, qui travaille avec nous au « Nouvel Obs ».

Ce livre est un récit traumatique comme on n’en avait jamais lu avant. Hélène Risser, qui écrit depuis le continent du deuil, n’en fait pas un objet d’étude, mais nous le fait vivre comme ce que c’est, une longue apnée pleine de larmes et de pensées en boucle. L’écrivaine nous emporte avec elle dans la découverte un matin au réveil de son fils mort (passage sidérant qu’elle a écrit d’une traite et jamais relu) et dans les heures, les jours, les mois qui suivent la découverte de son corps inanimé dans sa chambre.

Dans les heures qui suivent, Hélène Risser nous fait voir les pompiers dans le salon, la réaction de ses parents psychiatres (« Perdre un enfant est le pire qui puisse nous arriver », dit son père), celle de son mari pétrifié sur le canapé crème du salon. Et la sienne, hurlant sa responsabilité, son crime. Puis faisant tout, démente et irrationnelle, pour maintenir le tournage d’un documentaire dont elle est la réalisatrice. Elle se montre tombant sur le lit la tête en avant, comme elle a vu son fils brutalement se coucher le soir de sa mort. Est-ce ça qui l’a tué ? Elle nous décrit ce sac de sport posé au milieu du salon, qu’Arthaud a posé là lorsqu’il était vivant, et que tout le monde enjambe sans oser le déplacer puisqu’il incarne désormais Arthaud lui-même.

Dans les jours qui suivent, Hélène Risser nous emporte dans l’organisation de funérailles majestueuses (parce qu’Isabelle, l’amie d’une amie, lui a dit que c’était l’une des trois conditions de survie parentale). Elle lutte contre la culpabilité, qui est comme un immense appel d’air menaçant de l’aspirer. Elle fait la liste des « Et si ». Et si je ne l’avais pas mis dans cette crèche, mais dans celle-ci ? Et s’il n’était pas allé en Irlande, quelques mois, en troisième ? Et si j’étais entrée dans sa chambre plus tôt ? Elle nous fait voir les amis d’Arthaud entassés dans le salon, la peine de Faustine, sa fille, qui les regarde et s’accroche à eux. Les billets de train, pris en avance, annulés pour ne pas voyager en face d’une place vide.

Puis viennent les mois et Hélène Risser apprend. Elle apprend à ne plus faire l’annonce brutale de la perte de son fils à des gens qui n’ont rien demandé, comme le plombier. Elle apprend à marcher dans le quartier en évitant le restaurant où son fils allait manger, le tabac où il achetait ses cigarettes. Elle se rapproche d’autres parents endeuillés, les seuls, vraiment, à trouver les bons mots. Elle apprend à supporter la mine déconfite de sa mère, qui demande que sa souffrance à elle soit aussi reconnue (les mères…). Elle apprend à vivre dans le présent puisque sa vie était faite de projets et que ces projets, à cette heure-ci, ne valent plus rien. Elle apprend, mais le chemin est long et l’écriture douloureuse. Le titre du livre d’Hélène Risser, « Après Arthaud », semble appeler un autre livre, « Arthaud », qui viendrait après le choc, le chagrin, la survie. Ces choses-là, indicibles, qu’elle arrive si bien à nous faire comprendre avec ce livre-ci.

Nolwenn Le Blevennec

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