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24.novembre.2018
[RussEurope-en-Exil] Le mouvement des Gilets Jaunes : de la protestation à la colère, de la colère à la crise politique, par Jacques Sapir
Deux sondages, qui viennent d’être publiés, nous disent l’impact de la colère des Gilets Jaunes, mais aussi le désarroi politique d’une grande partie des français. Ce désarroi est, aujourd’hui, la seule chose qui permet au pouvoir, et au Président de la République, de pouvoir surnager. Ce désarroi leur permet de maintenir une apparence de légitimité et d’autorité. Mais, rien ne dit qu’il se maintienne. Ce qui a été pris comme une « revendication catégorielle » est en train de devenir une véritable crise sociale et politique. A travers la question du pouvoir d’achat, elle est en train d’unifier différentes catégories de français. Par son enracinement symbolique dans les territoires périphériques, elle représente la colère des oubliés, colère à laquelle peuvent s’adjoindre de nombreuses catégories de la population, que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Mais, c’est une crise dont le rythme de développement reste encore relativement lent. Nul ne sait comment se passera la journée du 24 novembre. Elle peut être perturbée par des incidents qui ne seraient pas de la responsabilité des Gilets Jaunes. Néanmoins, ce qui est d’ores et déjà clair est que cette mobilisation ne sera qu’une étape dans le développement de cette crise politique.
Un mouvement largement soutenu
La première chose qui frappe, dans le sondage IFOP-Fiducial[1], est le soutien dont bénéficient les Gilets Jaunes dans la population, et ce en dépit de campagnes de presses systématiquement haineuses à leur égard. Il est symptomatique que même la mesure la plus controversée de ce mouvement, les actions de blocage des routes et des voies d’accès, rencontre 66% de sympathie et seulement 22% d’opposition.
Tableau 1
Source : sondage Ifop-Fiducial pour CNews et Sud Radio, Novembre 2018[2].
De manière assez caractéristique, les taux de sympathie sont les plus élevés chez les sympathisants des mouvements qui se sont opposés de la manière la plus ferme aux politiques du gouvernement et d’Emmanuel Macron, soit le Rassemblement National (ex-FN) avec 88% et la France Insoumise avec 83%. Dans les autres partis d’opposition comme les Républicains ou le PS, ces chiffres atteignent respectivement 66% et 57%, chiffres considérables mais qui sont de plus de 20% inférieurs à ceux de l’opposition la plus radicale. Le point est ici important. Ce mouvement fédère dans son soutien ceux qui sont le plus opposés à la politique d’Emmanuel Macron. Tel est, probablement, l’une des causes de son succès.
Cette sympathie est exprimée avant tout par la France « périphérique » et non celle des « grandes métropoles ». Mais, même au sein des agglomérations « métropolisées » le taux de sympathie apparaît proche de 60%. Il y a donc une dimension transverse dans ce mouvement qui, parti justement de la France « périphérique » semble avoir réussi à ne pas y rester cantonné.
Tableau 2
Répartition par zones géographiques
Sources : Idem Tableau 1
Un autre point intéressant du sondage est qu’il montre que les femmes sont plussympathisantes que les hommes (ce qui apparaît à priori contre-intuitif pour un mouvement déclenché par un projet de hausse des carburants) avec 67% d’opinion en sympathie contre 62%. Pourtant, si l’on y réfléchit bien, ce mouvement qui correspond à une révolte des pauvres devait logiquement toucher prioritairement les femmes. Ce fut d’ailleurs le cas dans de nombreux mouvements sociaux, de la Révolution de 1789 au prémices de la Révolution de février 1917.
Tableau 3
Répartition des opinions par sexe et par âge
Source : Idem tableau 1.
De la même manière, on constate que les jeunes actifs (entre 25 et 34 ans) fournissent les gros bataillons du soutien à ce mouvement.
Le sondage décrit donc un mouvement populaire, et dont la popularité trouve ses racines essentiellement dans une France qui travaille mais qui se sent de plus en plus marginalisée. La caractéristique cependant majeure est que ce mouvement a su élargir la base de confiance qui était initialement la sienne. C’est sans doute cela qui inquiète tant le gouvernement.
Quelle issue politique ?
Car, dans le même temps, l’issue politique de ce mouvement reste imprécise. Aucun dirigeant d’opposition n’est en mesure de prétendre qu’il « représenterait » ce mouvement avec un quelconque succès.
Bien entendu, ce mouvement a produit une nouvelle baisse de la côte de popularité du Président Emmanuel Macron, comme le montre un autre sondage[3]. Seuls 26% des français ont une bonne opinion du Président, et sur ce nombre seuls 5% ont une « très bonne » opinion de lui. Emmanuel Macron est en train d’être ramené par les événements au score qui était le sien au premier tour de l’élection présidentielle de 2017. Cela n’est pas étonnant. Il paye une politique qui a pris les masses populaires à rebrousse-poil, et un discours de privilégiés, arrogant et méprisant, qui a dressé contre lui même ceux qui auraient pu lui apporter leurs soutiens. Les réactions d’un Ministre en exercice (Le Driant[4]) ou de l’un de ses soutiens lors de l’élection (François Bayrou[5]), en témoignent.
Au-delà, ce que révèle aussi le premier sondage c’est que les préférences des français restent très éclatées. Personne n’émerge comme un adversaire immédiat d’Emmanuel Macron. Ainsi, les deux premiers noms à émerger, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ne sont crédités que de respectivement 26% et 21% d’opinions considérant que face à cette mobilisation ils feraient mieux qu’Emmanuel Macron.
Tableau 4
Source : Idem Tableau 1
Néanmoins, on constate que Nicolas Dupont-Aignan fait une percée relative puisqu’il se rapproche de Jean-Luc Mélenchon avec une troisième place et 18% d’opinions favorables.
D’une manière générale, si l’on considére que ce sondage indique des préférences et que, dans cet ordre de préférences, il implique non seulement d’être le meilleur dans son campmais aussi de ne pas être considéré comme le pire dans les autres camps, la situation s’éclaircit un peu.
Parmi les opposants de première ligne, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, c’est ce dernier qui apparaît en fait le mieux placé car il est relativement moins clivant que la dirigeante du Rassemblement National. On a transcrits les données du sondage en graphique, et la personne la mieux placée est celle dont la surface du quadrilatère est la plus faible et la plus proche du centre.
Il convient de noter, aussi, que les trois premières personnes citées (avec Nicolas Dupont-Aignan) ont visiblement des électorats différents.
Mais, si l’on pondère par le poids des électorats aux dernières élections présidentielles, il apparaît alors que l’écart entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon est bien plus faible. Rappelons que la forme du quadrilatère en ce qui le concerne vient d’une 2ème place chez les partisans du Parti Socialiste et que ce parti n’avait fait que 6% des voies lors du 1ertour. Il n’apparaît pas de bonne politique de continuer à courtiser un électorat qui est aussi réduit.
Il convient donc de le rappeler, la « force » d’Emmanuel Macron tient largement à l’éclatement et à la faiblesse de ses adversaires. Tant que ces derniers seront dans cet état la crise politique que connaît la France continuera de couver, nous aurons des bouffées de colère, mais elle ne pourra déboucher. Si Marine le Pen souffre encore d’un grave déficit de crédibilité à la suite de sa lamentable prestation lors du débat du deuxième tour de l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon souffre quant à lui de prises de positions parfois contradictoires qui entachent elles aussi sa crédibilité. La précocité du soutien qu’il a apporté au mouvement des Gilets Jaunes devrait lui permettre de rectifier le tir et d’assumer une ligne politique que l’on qualifiera sans doute de populiste mais qui serait avant tout une ligne visant à unir le peuple en reprenant ses diverses aspirations.
[1] Ifop-Fiducial pour CNews et Sud Radio, « Balises d’opinion », Le regard des Français sur le mouvement des « Gilets jaunes » et sur les alternatives à Emmanuel Macron, Novembre 2018
[2] Références des notes du tableau :
- 1 Sondage CSA pour Le Parisien – Aujourd’hui en France réalisé le 7 septembre par téléphone auprès d’un échantillon national représentatif de 800 personnes.
- 2 Sondage Ifop-Fiducial pour Cnews et Sud Radio réalisé du 6 au 7 novembre 2018 par questionnaire auto-administré en ligne auprès d’un échantillon de 1 000 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. L’intitulé exact de la question était alors : « Vous savez qu’une mobilisation s’organise autour du mouvement des « Gilets jaunes » qui appellent les automobilistes à bloquer les routes le 17 novembre pour protester contre la hausse des prix des carburants et demander une baisse des taxes. Quelle est votre attitude à l’égard de ce mouvement ? »
- 3 Sondage Ifop-Fiducial pour Cnews et Sud Radio réalisé du 13 au 14 novembre 2018 par questionnaire auto-administré en ligne auprès d’un échantillon de 1 006 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. L’intitulé exact de la question était alors le même que dans le sondage réalisé du 6 au 7 novembre 2018.
[3] https://gallery.mailchimp.com/9159d767cdbf427eb1c520474/files/b1249d2d-71f7-40b8-98a7-c1a976a9eb4b/Rapport_de_résultats_BVA_Orange_La_Tribune_RTL_Baromètre_politique_Vague_117_Novembre_2018.pdf
[4] http://www.lefigaro.fr/politique/2018/11/20/01002-20181120ARTFIG00318-gilets-jaunes-le-drian-fait-entendre-sa-petite-musique.php
[5] https://www.lejdd.fr/Politique/taxe-sur-les-carburants-bayrou-appelle-macron-a-reflechir-avant-la-hausse-de-janvier-3805457
joe billy // 24.11.2018 à 13h01
A quand l’occupation des lieux de pouvoirs encore non barricadés et pourvoyeurs de fake news tels BFM/LCI/CNews/FRanceInter.Info… et les autres ?
Très bientôt j’espère !
Très bientôt j’espère !