Rien ne se passe jamais comme prévu, avait coutume de dire l'ancien président de la République François Hollande. Son successeur Emmanuel Macron l'a expérimenté à ses dépens, mercredi 18 avril dans les Vosges. Le déplacement était pourtant calibré au mieux sur le papier : avant de visiter une scierie et de se promener dans une forêt pour vanter la " filière bois " vosgienne, le président de la République devait se rendre à Saint-Dié-des-Vosges pour présenter le plan " Action cœur de ville " mis en place par le gouvernement pour redynamiser les centres-villes des communes en difficulté.
Saint-Dié-des-Vosges, 20 000 habitants, un taux de chômage supérieur à 12 %, un taux de pauvreté qui frôle les 26 %, un quart des commerces et des logements du centre vacants, et 24 % des voix pour Marine Le Pen arrivée en tête du premier tour de la présidentielle 2017… Une plongée in situ idéale pour Emmanuel Macron. L'occasion aussi pour lui, régulièrement accusé d'être
" le président des grandes métropoles ", de montrer qu'il n'oublie pas la France des sous-préfectures. Après son entretien au " 13 heures " de Jean-Pierre Pernaut le 12 avril, depuis un village de l'Orne, c'était la troisième fois depuis son élection que le chef de l'Etat se rendait dans la France rurale, après un déplacement en Auvergne en janvier et un autre en Indre-et-Loire en mars.
Mais, mercredi matin, à peine sorti de l'hôtel de ville, le président est pris à parti par quelques dizaines de cheminots opposés à la réforme de la SNCF. Les applaudissements de ses partisans, massés sous le soleil derrière des barrières, sont vite couverts par les huées.
" Cheminots en colère, on ne va pas se laisser faire ! ", hurlent les manifestants.
Fidèle à sa méthode, Emmanuel Macron décide d'affronter la contestation locale.
" Je vais toujours au contact, les yeux dans les yeux, lance-t-il à un groupe de cheminots.
On peut avoir des désaccords, mais on peut s'expliquer. Mais je n'accepte pas les sifflets dans mon dos. " La scène rappelle l'altercation entre le candidat Macron et les salariés de Whirlpool sur le parking de l'usine d'Amiens, entre les deux tours de l'élection présidentielle. Mais cette fois, l'échange ne tourne guère à l'avantage du chef de l'Etat.
" Vous parlez de la dette de la SNCF, mais les cheminots n'y sont pour rien ! Cette dette, c'est la vôtre, c'est celle de l'Etat, elle n'a rien à voir avec le statut des cheminots ", l'interpelle un syndicaliste de la CGT.
" Je n'ai jamais dit que votre statut était la cause de la dette, mais vous êtes plus protégés que les fonctionnaires, répond Emmanuel Macron.
Si on veut faire avancer la SNCF, on a besoin de réformer. " Il promet que l'Etat
" reprendra le maximum de la dette en fonction de l'accord qui sera signé " par les syndicats au terme des consultations du gouvernement.
" On réinvestira sur les petites lignes, j'en prends l'engagement ", ajoute-t-il, alors que l'inquiétude est grande dans le département sur l'avenir de la ligne entre Saint-Dié-des-Vosges et Epinal.
" Vous me virez les siffleurs ! "Le président de la République doit ensuite " déambuler " dans les rues voisines de la mairie, mais le dispositif imaginé par l'Elysée tourne court. Emmanuel Macron ne peut pas faire un pas sans être conspué. Le tout devant les caméras de télévision des chaînes d'information en continu. Agacé, il s'en prend à un autre groupe de manifestants.
" Ceux qui veulent le désordre et la violence, je n'ai rien à leur dire. Je vous demande d'accepter le changement, ne prenez pas tout le monde en otage ", lâche-t-il alors que les cheminots ont entamé mercredi leur quatrième épisode de grève depuis début avril. L'expression, mal choisie, provoque la colère des personnes présentes :
" Ne dites pas ça, on ne prend personne en otage ! On n'est pas en Syrie, on n'est pas des terroristes ! ", s'énervent des cheminots.
Le service d'ordre autour du chef de l'Etat peine à contenir les mécontents. En retrait, le chef de cabinet de l'Elysée s'adresse à un responsable :
" Vous me virez le groupe de siffleurs, c'est un ordre du président. On ne veut plus les voir ! ", lui dit-il. Les manifestants sont écartés du cortège présidentiel, repoussés par les CRS derrière des cordons de sécurité.
Mais les difficultés ne disparaissent pas pour autant pour le chef de l'Etat. Après les cheminots, Emmanuel Macron est interpellé par des retraités sur la hausse de la CSG, puis par des étudiants opposés à la réforme de l'accès à l'enseignement supérieur. Des riverains lui reprochent aussi la baisse de la vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires, d'autres la situation dans les Ehpad, d'autres encore l'évacuation musclée de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes… Des Déodatiens l'enjoignent bien à
" tenir bon face aux râleurs ", mais en l'espace de quelques mètres, le président est confronté in vivo à la coagulation des fronts catégoriels provoquée dans le pays par ses réformes.
Pour lui, ces contestations ne sont pas nouvelles et préexistaient à son élection.
" Je ne suis pas une machine à recevoir toutes les récriminations, s'écrie-t-il. (…)
Il y a une colère dans le pays, sinon il n'y aurait pas eu ce choc en mai dernier qui a fait justement que j'ai été élu. " Pas question donc pour lui de reculer :
" Si je cède sur les 80 km/h, si je cède aux cheminots qui râlent, puis sur Notre-Dame-des-Landes, alors demain c'est fini, on ne tient plus rien, on ne fait plus rien. "
Une fois le calme revenu, le chef de l'Etat termine sa visite par un détour dans quelques commerces. Devant les caméras, il court vers un groupe de riverains qui l'applaudissent. Il leur serre la main, enchaîne les selfies, espérant faire oublier avec ces images positives, celles plus agitées pour lui quelques minutes plus tôt.
" On a pris en France une habitude qui est l'habitude de la plainte. On ne propose plus, mais on est contre, on regarde son petit bout de lopin et on dit “voilà, moi on m'a enlevé ça” ", critique le président de la République avant de partir et d'ajouter :
" Je ne vais pas différer les réformes pour que je puisse me promener dans les rues tranquillement. Transformer un pays c'est ça. "
Bastien Bonnefous
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