Le slogan exhale un petit parfum soixante-huitard : " Convergence des luttes ! " Il sert de fil conducteur à la " journée d'action interprofessionnelle " organisée, jeudi 19 avril, par la CGT et par l'Union syndicale Solidaires. Quelque 133 mobilisations ont été annoncées dans tout le territoire pour s'opposer à la politique de" régression sociale " d'Emmanuel Macron. Avec l'espoir qu'elles préfigurent un front commun de plus en plus large. Officiellement, le gouvernement se montre " attentif à tous les signaux, cette journée en faisant partie ", comme le confie un conseiller. Mais d'autres sources au sein de l'exécutif ne masquent pas une forme d'indifférence : " La CGT ? On ne se pose pas la question de savoir ce qu'elle pense, elle ne fait plus peur du tout. "
Les temps ont bien changé. Il y a un peu plus de dix ans, au tout début de son quinquennat, Nicolas Sarkozy avait élevé la CGT au rang d'interlocutrice privilégiée. A l'époque, le président de la République avait su nouer des contacts étroits avec Bernard Thibault, le numéro un du syndicat, pour mettre fin au conflit provoqué par la réforme des régimes spéciaux de retraite.
Aujourd'hui, la donne n'est plus du tout la même. Bien sûr, le discours, à Matignon, consiste à assurer que la CGT n'est absolument pas déconsidérée ou mise au ban.
" Notre ligne de conduite depuis le début de la législature reste la même, dit un collaborateur d'Edouard Philippe.
Il s'agit d'être ouvert à tous et de répondre favorablement aux demandes d'entretien et d'échanges, ce que le premier ministre a d'ailleurs fait, encore récemment, en recevant, le 13 mars, Philippe Martinez pour que ce dernier présente ses contre-propositions sur la réforme ferroviaire. "
L'entourage du chef du gouvernement avance une autre preuve de son souci d'être à l'écoute : fin 2017,
" il avait été proposé à la CGT de participer à une mission sur la santé au travail ". Le poste devait revenir à Jean-François Naton, connu pour sa fine connaissance de ces dossiers. La confédération
" a finalement décidé de ne pas participer ".
" Nous sommes respectueux de cette organisation, qui figure parmi les deux premières dans le secteur privé en termes de représentativité, complète-t-on à Matignon.
Mais nous restons fermes sur nos orientations stratégiques. " Autrement dit, les réformes promises par M. Macron seront menées à leur terme, même si elles rencontrent l'hostilité des syndicats, en général, et de la CGT, en particulier.
" Il y a un mépris total des corps intermédiaires et une absence complète de dialogue,s'indigne Fabrice Angei, membre du bureau confédéral.
Nous nous sommes impliqués dans les réflexions engagées par les partenaires sociaux sur la formation professionnelle et l'assurance-chômage en vue d'aboutir à un accord national interprofessionnel - ANI -
. Mais sur ces deux sujets, le gouvernement a adopté une attitude qui revenait à dire : “Il faut que vous écriviez - dans l'ANI -
ce que je veux.” Nous ne sommes pas les seuls à le dénoncer : les organisations qui se réclament du réformisme en parlent aussi. "
L'exécutif s'est effectivement mis à dos toutes les confédérations représentatives sur le plan national. Mais la relation qu'il entretient avec les responsables de la CGT est plus dégradée si on la compare avec celle qu'il a nouée avec les autres organisations de salariés. Un indice, parmi d'autres : sur la refonte de la formation continue, il y a eu plusieurs réunions bilatérales informelles entre le cabinet de la ministre du travail, Muriel Pénicaud, et les syndicats – sauf la CGT :
" Nous n'avions jamais demandé à être reçus en catimini, raconte Catherine Perret, la numéro deux de la centrale.
Au contraire, nous avions porté l'idée d'une rencontre multilatérale, avec l'ensemble des organisations de salariés et d'employeurs. Il faut croire que certains aiment traiter en privé. "
" Ils sont toujours contre tout "Les propositions de la CGT semblent rarement entendues, encore moins prises en compte. Cela tient, bien sûr, en partie à des antagonismes idéologiques entre le pouvoir en place et l'organisation de Philippe Martinez. Mais les positions du syndicat jouent également, en raison de leur caractère jugé
" extravagant ".
" Ils sont toujours contre tout, on finit par ne plus les écouter ", regrette un cadre de FO.
" Ce qui est excessif est insignifiant ", fustige Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT.
" Formellement, le gouvernement entend maintenir la relation avec tous les syndicats, y compris la CGT, décrypte Raymond Soubie, président de la société de conseil Alixio et ex-conseiller social de Nicolas Sarkozy à l'Elysée.
Mais il ne doit pas se faire d'illusion sur la possibilité d'avoir un “vrai dialogue” avec elle – c'est-à-dire d'aboutir à des solutions concrètes : ce n'est pas vraiment à l'ordre du jour et ça tient en grande partie à la volonté de la confédération d'apparaître comme le ferment de toutes les luttes sociales en France. " A ses yeux, elle
" fait feu de tout bois, dans une sorte de fuite en avant, synonyme de gauchissement qui tranche avec l'époque où Bernard Thibault était à la tête de la confédération ".
" Lui et son équipe n'étaient pas forcément des interlocuteurs commodes mais ils acceptaient parfois de trouver des accords avec le pouvoir en place – par exemple la réforme de la représentativité syndicales en 2008 ", se souvient M. Soubie.
" La CGT a un côté jusqu'au-boutiste, sautant sur tout ce qui bouge pour affirmer encore et toujours son opposition, analyse un conseiller qui a officié sous le précédent quinquennat.
Parfois, elle recueille de l'écho comme avec la loi El Khomri, parfois pas. Il semble que ce soit la manière qu'ait trouvée Philippe Martinez de maintenir une unité de façade au sein de son organisation. "" Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans la même démarche syndicale qu'il y a quelques années, constate une figure de la CGT, critique sur la ligne tenue par sa direction.
C'est une approche un peu plus dure, un peu plus fermée. Nous sommes plus tournés vers la contestation que sur la volonté de construire des alternatives. "
Ce qui conduit un conseiller de l'exécutif à la conclusion suivante :
" La CGT n'est pas sérieuse dans ses analyses, dans ses propositions. Elle est dogmatique. " Un avis partagé par Mme Descacq, qui a la dent encore plus dure :
" Ils n'ont pas de propositions, pas d'idées. "
Entre le gouvernement et la CGT, on assiste au
" choc de deux mondes ", juge Dominique Andolfatto, professeur à l'université de Bourgogne-Franche-Comté :
" L'un et l'autre sont bardés de certitudes, n'acceptant guère de discuter, se montrant sûrs de leurs faits. Ce qui transparaît dans cette non-relation, c'est finalement l'absence de culture de la négociation, de l'échange, de la construction de diagnostics partagés, voire une sorte de mépris de classe, de part et d'autre. Chacun semble enfermé dans sa logique et ne sait plus faire de politique, au sens de la médiation. Dès lors, l'ignorance réciproque et les rapports de force prévalent. "
Dans cet affrontement, la CGT n'a pas pris l'ascendant, à ce stade.
" Mais à la place du gouvernement, je me méfierais, dit un cadre de la centrale, en désaccord avec sa direction.
Avec les mobilisations actuelles dans plusieurs secteurs professionnels, l'opinion prend conscience petit à petit que les droits des salariés sont attaqués. "
Sarah Belouezzane, et Bertrand Bissuel
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