Au moment de faire son -entrée au congrès d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), samedi 7 avril, Olivier Faure, le nouveau premier secrétaire du Parti socialiste, tiendra serrée dans sa poche la lettre de Nassima, une militante de sa circonscription de Seine-et-Marne : " M. Faure, certains disent que vous êtes un “bébé-Hollande”, une “rose sans épine”, que vous êtes sur des décombres, que le parti finira comme le Parti communiste… Je préfère croire que vous nous surprendrez. "
Le parti a compté 37 000
votants lors du scrutin de la mi-mars pour l'élection de son nouveau patron. Quatre fois moins qu'il y a dix ans. Les socialistes ont failli mourir. Pris en tenaille entre Jean-Luc Mélenchon et -Emmanuel Macron, minés de l'intérieur, -ratatinés comme une vieille noix. Et pourtant, ils sont encore debout. Leur exploit ? Avoir sauvé la boutique. C'est peu et c'est déjà beaucoup. Souvenez-vous…
Lorsque la foudre s'abat sur eux, au soir du premier tour de l'élection présidentielle, -dimanche 23 avril 2017, ils ont comme disparu des radars. A la Mutualité, où Benoît -Hamon, le candidat du PS, avait prévu de faire la fête, les lampions se sont éteints -depuis longtemps. Rue de Solférino, une -lumière jaune filtre du premier étage. Le -premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, " Camba " comme on l'appelle, est en -conclave avec sa garde rapprochée. Le score d'Hamon, 6,4 % des suffrages exprimés, est presque aussi mauvais que celui de Gaston Defferre en 1969, avec ses 5 %. L'opération survie est lancée.
" Aux législatives, ça va être un raz-de-marée macroniste, pronostique, mine défaite, Christophe Borgel, l'expert électoral du parti.
–
Attendons ce que va dire Jean-Luc, lance “Camba”.
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Toujours cette vieille complicité entre trotskistes, ironise une voix, faisant allusion au passé lambertiste des deux hommes.
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Non, non, se défend le premier secrétaire,
on va juste voir si les dieux sont avec nous. "
Enfin, le leadeur de La France insoumise (LFI) apparaît sur les écrans de télévision. -Mélenchon a la tête des mauvais jours, celle du joueur qui vient de rater de peu le -podium :
" Le résultat annoncé depuis le début de la soirée n'est pas celui que nous espérions ", grince-t-il, avant de disparaître sans laisser de consigne de vote. " Camba " pousse un ouf de soulagement :
" Si Jean-Luc avait appelé à un front populaire contre le FN, une bonne partie d'entre nous le rejoignaient et le parti explosait. " Dans la foulée, le premier -secrétaire appelle ses ouailles à l'unité :
" Serrez les rangs pour faire barrage au FN. "
On peut faire mine d'y croire. Mais cette fois, c'est très dur. Aux législatives des 11 et 18 juin 2017, la vague macroniste a tout -emporté : Benoît Hamon, Najat Vallaud-Belkacem, Marisol Touraine, Matthias Fekl, Aurélie Filippetti, Christian Paul, Elisabeth Guigou, Jean Glavany ont été battus. Anciens ministres ou ex-frondeurs, jeunes ou moins jeunes, pas de quartier, le coup de balai est violent.
Portion congrueDans son bureau de la rue de Solférino, " Camba " accuse le coup. Lui aussi est -défait, pris en tenaille dans la 16e circonscription de Paris entre le secrétaire d'Etat au numérique et candidat La République en marche, Mounir Mahjoubi, et une candidate LFI. Aucune chance de s'en sortir. Il va donc démissionner. Il l'annonce le soir même, prenant acte
d'
" une déroute sans appel ", pose son portable, et attend. Rien ne vient. Il sait que les défaites sont toujours solitaires, mais quand même ! François Hollande, -Lionel Jospin, tous ceux qui ont incarné le PS sont aux abonnés absents. Le seul qui se manifestera au milieu de la nuit sera -Manuel Valls :
" Tu as été digne. " Oui, mais Manuel a déjà pris la tangente.
" Le parti est mort ", a-t-il claironné le 9 mai, au sur-lendemain de la victoire de Macron.
Même quand tout semble à terre, il en reste toujours un pour y croire. Pendant la campagne des législatives, alors que le premier -secrétaire bombardait les candidats de Tweet pathétiques (
" Ne lâchez rien, le combat vous dépasse "), Louis Mexandeau avait surgi tel un fantôme rue de Solférino. Devant un -bureau national quasi désert, ce vieil homme de 86 ans, ancien compagnon de route de François Mitterrand, qui avait participé, avec Pierre Joxe, Claude Estier, Charles Hernu, Louis Mermaz, à la fondation du PS, avait revisité l'histoire du socialisme. Il avait insisté sur les heures sombres – la scission de 1920, 1940,
" où certains des nôtres avaient collaboré " –
pour mieux chanter les jours glorieux, ceux qui avaient porté le socialisme au firmament, avant de conclure par cette -injonction solennelle :
" Jean-Christophe, je te demande de tenir bon. "
Pas facile de tenir bon quand tout part à vau-l'eau. Le 1er juillet, Benoît Hamon s'échappe
à son tour. Sur la pelouse de Reuilly, à Paris, devant plusieurs milliers de militants venus assister à la naissance du Mouvement du 1er juillet, le candidat humilié annonce qu'il quitte le PS pour
" - s' -
inscrire dans un processus comparable à celui d'Epinay ". Ce jour-là, aucune caméra de télévision n'a fait le déplacement à Solférino pour -recueillir des réactions. Mauvais signe.
Mais l'ombre n'a pas que des inconvénients car qui, parmi les survivants, aurait envie de voir mis au jour ces interminables huis clos où, réduits à la portion congrue, divisés en trois clans – les pro-Macron, les anti-Macron, les " Macron-vigilants " –, les socialistes cherchent des heures durant l'adjectif qui évitera l'éclatement ? C'est le retour du " ni ni " dans un désert d'idées : pas de vision, pas de projet, pas même de retour en arrière.
Fin septembre, pour se dédouaner, " Camba " a bien tenté, juste avant de quitter la direction du parti, d'exercer le droit d'inventaire. Son livre
Chronique d'une débâcle(L'Archipel, 2017)
est
une charge contre François Hollande, décrit comme un président sous-dimensionné et finalement débordé par son protégé, Emmanuel Macron. Mais l'attaque fait long feu. La direction est tellement dévaluée, le PS tellement moribond, que tous préfèrent se taire.
" Le secret de -famille le mieux gardé, c'est le bilan du -quinquennat ", constatera, trois mois plus tard, lors d'un conseil national, François Lamy, un fidèle de Martine Aubry.
Puisqu'ils n'ont rien à dire, autant gagner du temps. C'est le coup de génie
de " Camba " que de repousser le congrès au printemps 2018 et d'installer une direction provisoire pléthorique de 29 membres. Ainsi, tout le monde aura partie liée à cette scène qui va constituer l'acmé de la période et pourrait s'intituler : " Pour survivre, nettoyons d'abord "
.
Elle se joue à l'automne
et commence par un long cri furieux :
" Quoi ? Solférino est à vendre ? ! " Et, d'un coup, c'est un monde qui s'écroule. " Solfé ", comme ils l'appellent, un hôtel particulier de 3 000 m2, situé à deux pas du Palais-Bourbon, dans lequel François -Mitterrand et ses " sabras " avaient élu domicile en 1980, et cela avait pour la gauche comme un air de victoire ! Les " hollandais " y ont mené toutes leurs batailles politiques et, ce jour-là, ils ont le sang retourné.
" Où est passé l'argent ? ", s'étranglent-ils.
Entre 2012 et 2017, le PS a reçu 25 millions d'euros chaque année de subventions publiques, mais lorsque la campagne a démarré, plus un sou en caisse ! Ils le découvrent par petits bouts. " Camba " plaide non coupable : le Crédit coopératif, qui consentait des avances de trésorerie, a brusquement coupé le -robinet. Pour financer la campagne, il a fallu emprunter, et comme la banque ne voulait plus prêter, elle a exigé le siège en hypothèque. Jean-François Debat, le trésorier du parti, a fini par l'admettre.
Au fil des questions, ils découvrent qu'avec plus de 100 permanents le parti a bien vécu, mais largement au-dessus de ses moyens. Et maintenant que le désastre est arrivé, que les subventions publiques vont se réduire comme une peau de chagrin, pas d'autre -solution que de vendre. Stéphane Le Foll ne s'y résout pas. François Rebsamen non plus. Le maire de Dijon cherche une -solution -alternative. Julien Dray suggère un appel à la générosité des militants, mais rien n'est à la hauteur du trou qu'il faut combler. Le parti joue sa survie au sens propre du terme. Il a devant lui des dettes à rembourser, un plan social à financer. L'aile gauche du parti se -résout vite à vendre, pas mécontente de quitter le trop chic 7e arrondis-sement. En janvier, le marché est conclu pour 45,5 millions d'euros avec Apsys, une société de gestion immobilière. Exit les -bijoux de famille.
Le parti bouge encorePendant ce temps, l'animation est assurée de l'extérieur par un François Hollande tout feu tout flamme :
retranché rive droite, dans son bureau de la rue de Rivoli, l'ancien premier -secrétaire ne perd pas une miette de ce qui se passe dans son parti. Il textote et reçoit.
- " Raconte-moi " est sa phrase favorite, qu'il lance à ceux qui, comme Patrick Kanner, -Stéphane Le Foll ou Frédérique Espagnac, sont ses yeux et ses oreilles. Bernard Poignant, son ancien conseiller, assure qu'il a voté -Macron dès le premier tour de la présidentielle, mais il est clair qu'entre l'ex et le nouveau président un lourd contentieux s'est installé.
Dès que l'occasion se présente, Hollande décoche une flèche, comme à Séoul, en octobre 2017, alors que Macron a décidé d'en finir avec l'impôt sur la fortune :
" Si, dans un pays, s'installe l'idée qu'il y a une fiscalité allégée pour les riches et alourdie pour les plus modestes ou les classes moyennes, alors c'est la capacité qu'il a à se mobiliser pour son avenir qui se trouve mise en cause. "
Michel Sapin, son ancien ministre de l'économie et des finances, et Bernard Cazeneuve, son ancien premier ministre, encadrent l'offensive. C'est la première fois, depuis la -défaite, que l'opinion publique perçoit que le PS bouge encore, qu'il n'a pas complètement fondu dans le macronisme.
" Personne ne doit préempter sa renaissance ", s'alarme
-Olivier Faure.
Car le risque, bien sûr, c'est qu'au fond rien ne change. Alors la majorité du parti se met à rêver, pour incarner le parti, d'une femme, icône de la diversité, jeune, expérimentée. Et c'est le nom de Najat Vallaud-Belkacem qui sort, même si elle a été battue, même si à l'éducation nationale son bilan n'est pas tout rose. La courtisée, pourtant, se défausse : trop de coups à prendre et pour quel avenir ? Il faut se rendre à l'évidence : le PS n'intéresse plus que ses soutiers, ceux qui l'ont fait fonctionner dès années durant et ne se résolvent pas à le voir disparaître.
Le match, presque confidentiel, se joue -entre Stéphane Le Foll et Olivier Faure, l'un- -fidèle directeur de cabinet du patron du PS François Hollande pendant dix ans, l'autre directeur de cabinet adjoint. Et c'est eux qui, dans un parti réduit aux acquêts, vont solder à fleuret moucheté les comptes du quinquennat. Dès le premier tour, Faure est -assuré de devenir premier secrétaire avec, comme toujours au PS, le soupçon d'urnes un peu bourrées, mais il gagne parce qu'il -représente le point d'équilibre du parti, cette social-démocratie que symbolisaient Jean-Marc Ayrault et Martine Aubry au tout début du quinquennat et qui a été rompue à la fin avec Valls et Macron, la déchéance de la -nationalité et la loi El Khomri. Cette fois, François Hollande a perdu.
Françoise Fressoz
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