Trois heures durant, dans un Hémicycle plein à craquer, le président français a répondu sans notes aux questions des eurodéputés, mardi 17 avril, au Parlement de Strasbourg. Avec pugnacité, parfois brutalité – à l'endroit du Vert belge, Philippe Lamberts, qui l'attaquait sur la loi asile-immigration –, il en a profité pour réitérer son message volontariste d'une " Europe qui protège ". Il a réaffirmésa détermination à réformer l'Union européenne malgré les résistances, notamment allemandes.
Aucune proposition nouvelle de sa part – hormis un projet de programme européen de soutien aux collectivités locales qui intègrent des réfugiés –, mais la reprise de thèmes déjà exposés dans ses discours d'Athènes et de la Sorbonne en septembre dernier : la nécessité de préserver un espace démocratique
" unique au monde ", de le renforcer, en mettant l'accent sur la
" souveraineté européenne ".
" C'est ma liberté "A l'exception de l'aile eurosceptique, la plupart des
" représentants des peuples d'Europe ", comme il les a qualifiés, ont fait bon accueil au dirigeant français. Même le très droitier Manfred Weber, chef de file allemand des conservateurs du Parti populaire européen (PPE), majoritaire dans l'Hémicycle, a reconnu avoir
" longtemps attendu un président français aussi pro-européen que vous ".
C'était malgré tout un sentiment de frustration qui prévalait, mardi, dans les couloirs du Parlement : les élus espéraient une clarification sur la stratégie de M. Macron pour le scrutin des européennes, mais le président français s'est gardé d'annoncer son ralliement à une des grandes chapelles politiques de l'Union, dans la perspective du vote crucial de mai 2019.
Le PPE ? Les sociaux-démocrates du Parti socialiste européen (PSE), deuxième groupe à Strasbourg, ou les libéraux de l'ALDE (l'Alliance des libéraux et des démocrates pour l'Europe) ? Peu connus du grand public, ces agrégats de partis nationaux restent indispensables pour peser sur l'agenda et les nominations aux postes-clés de l'Union (présidence de la Commission, de la Banque centrale européenne, etc.).
Mardi le président a, au contraire, laissé entendre qu'il continuait de privilégier le lancement de sa propre formation européenne.
" Je n'appartiens à aucune des familles politiques parmi vous, c'est ma liberté ", a-t-il expliqué. De quoi inquiéter encore plus au sein d'ALDE, présidé par Guy Verhofstadt, qui espère en vain depuis l'été dernier, un ralliement jugé naturel de M. Macron à la famille libérale européenne. L'ex-premier ministre belge n'a toujours pas réussi à décrocher un rendez-vous en tête à tête avec Emmanuel Macron. Une rencontre avait été prévue avant le débat strasbourgeois, mais a été annulée à cause des frappes syriennes.
Les directions du PSE et du PPE sont également fébriles, car elles craignent que M. Macron ne veuille tirer parti de leurs fortes divisions, pour leur voler des troupes. Elles ont ainsi fait capoter le projet de listes transnationales, chères au président français. Mais refusent de lui fermer la porte, dans l'espoir d'un hypothétique compromis avec une formation macronienne, avant ou après les européennes.
Grand écartSelon des estimations informelles circulant à Strasbourg, La République en marche pourrait faire entrer 25 élus dans l'Hémicycle européen en mai 2019. Modeste comparé à son effectif total (environ 700), mais pas négligeable sachant que le PPE risque, toujours selon ces chiffres, de tomber à 181 élus (contre 219 actuellement) lors de la prochaine législature, et le PSE se retrouver à 141 élus (contre 189 aujourd'hui).
Solidement structuré autour de son noyau dur, la CDU allemande, le PPE truste encore les présidences des principales institutions de l'Union (le Parlement, la Commission européenne et le Conseil européen), mais fait désormais le grand écart entre des éléments modérés et une droite dure, celle du Fidesz, le parti de Viktor Orban en Hongrie. Pour tenir ses troupes, M. Weber assure d'un côté avoir tracé des " lignes rouges " au premier ministre hongrois, qui vient de se faire réélire sur un discours haineux à l'égard des migrants, mais refuse de condamner ses dérives.
Le PSE est encore plus affaibli, ébranlé par la crise de la sociale-démocratie dans l'Union et le départ prévu en 2019 d'un fort contingent d'eurodéputés travaillistes britanniques (20 élus) du fait du Brexit. Pas question pour autant de céder aux sirènes de M. Macron. L'Allemand Udo Bullmann, chef de file de la formation à Strasbourg, a posé ses conditions au président français mardi :
" Si vous voulez être du côté du peuple, vous trouverez des alliés dans mon parti, nous vous souhaitons de prendre les bonnes décisions. "
Si ces fragilités laissent une marge de manœuvre au chef de l'Etat français, ses tentatives pour réitérer le coup de force d'En marche dans l'Hexagone et dynamiter le paysage strasbourgeo-bruxellois, n'ont, pour l'instant, pas abouti. Hormis les Espagnols du parti de centre droit Ciudadanos, aucune autre formation nationale n'a officialisé un ralliement à M. Macron.
Le Mouvement 5 étoiles, arrivé en tête aux législatives de mars en Italie, a réitéré mardi sa proposition d'alliance. Mais s'il ne ferme pas complètement la porte, l'entourage du président français refuse de confirmer l'existence de contacts avec cet ovni politique transalpin, ni de droite ni de gauche, mais à forte tendance populiste. A en croire le député LRM, Pieyre-Alexandre Anglade, chargé de préparer l'atterrissage européen du parti présidentiel, M. Macron veut se donner du temps. Il n'y aura
" aucune initiative - à Strasbourg -
avant l'automne ".
Cécile Ducourtieux
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