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lundi 9 avril 2018

Le baroud d'honneur de Lula avant la prison





8 avril 2018

Le baroud d'honneur de Lula avant la prison

L'ex-président brésilien ne s'est pas rendu à la police vendredi, pour assister à une messe pour sa femme défunte

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LE CONTEXTE
l'affaire du Triplex
Condamné le 24 janvier à douze ans et un mois de prison au tribunal de seconde instance de Porto Alegre, pour" corruption passive " et " blanchiment d'argent ",pour l'affaire dite du " Triplex " (un appartement qu'il se serait vu offrir en guise de pot-de-vin par une entreprise de BTP), Luiz Inacio Lula da Silva conteste l'accusation. L'ancien chef d'Etat (2003-2010), favori de l'élection présidentielle d'octobre, voit dans sa condamnation un complot ourdi par ses opposants pour l'écarter de la politique. Après lui avoir refusé un habeas corpus, le 4 avril, la Cour suprême a ouvert la voie à son emprisonnement, exigé par le juge Sergio Moro en charge de l'enquête " Lava Jato ".
Souriant, il s'est penché à la fenêtre, les yeux rougis, venant cueillir une dernière fois les hourras de la foule scandant " Lula guerrier du peuple brésilien ! " Quand est venue l'heure de la reddition, vendredi 6  avril, à 17  heures (22  heures à Paris), Lula ne s'est pas rendu.
Après vingt-quatre  heures d'une lutte aux allures de chant du cygne, cloîtré dans le siège du syndicat des métallos, à  Sao Bernardo do Campo dans la banlieue de Sao Paulo, l'ancien président brésilien Luiz Inacio " Lula " da Silva, dans une ultime bravade, a prié les forces de l'ordre d'attendre jusqu'au lendemain matin, samedi, et une messe en hommage à son épouse, Marisa Léticia, morte un an plus tôt. " La lutte continue. Merci ", a posté l'ancien syndicaliste, vendredi soir, sur Twitter.
Après l'office, Lula devrait se rendre afin de purger la peine de douze ans et un mois de prison infligée en janvier pour des faits de corruption. Le vieux lion de la politique quittera alors Sao  Bernardo, ville industrielle de l'Etat de Sao Paulo, où est née sa carrière politique, pour rejoindre Curitiba, celle de sa disgrâce.
Là l'attend le juge Sergio Moro, chargé de l'opération anticorruption " Lava Jato " (" lavage express "), qui lui a réservé une cellule VIP, sans barreaux. Une faveur accordée à l'ancien homme d'Etat, qui avait prévenu que jamais on ne poserait sur ses chevilles un bracelet électronique : " Je ne suis pas un chien. "
" Vague fasciste "" Ce moment restera dans l'histoire. Une fois de plus ", soupire Wagner Dantes, ingénieur de 38  ans venu soutenir l'ancien chef d'Etat à Sao Bernardo. Le presque quadragénaire n'avait que 8  ans quand la dictature militaire (1964-1985) prenait fin, mais à ses yeux, l'histoire se  répète. Pour certains, la prison décrétée par un juge " partial " et " politique " est la réplique de l'incarcération de Lula en  1980, alors syndicaliste un peu trop braillard aux yeux de la junte au pouvoir.
" Une vague fasciste monte au Brésil. Dans la rue, la violence et l'intolérance se propagent ", abonde Marcos Ferraz, 58 ans, un vendeur de tee-shirts à l'effigie du " père des pauvres "" Aux yeux de l'élite, l'enrichissement d'un pauvre du Nordeste est toujours inacceptable, suspect ", dit-il. " Ils vont en finir avec la démocratie ", ajoute Fernanda Pincovar, banquière de 46 ans.
Reclus depuis l'injonction du juge Moro au siège de ce syndicat, où, quarante ans plus tôt, le métallo-tribun levait le poing pour fonder le Parti des travailleurs (PT, gauche), Lula a jusqu'au bout tenté d'échapper à l'humiliation d'une incarcération.
Appelant en vain à la clémence du Tribunal supérieur de justice, plaidant l'appui de l'Organisation des Nations unies (ONU), l'homme de 72 ans a joué son va-tout pour rester en piste et participer à la campagne présidentielle d'octobre, dont il est le favori." Lula est maintenant veuf, ses enfants sont grands. La politique est toute sa vie, il était prêt à aller jusqu'au bout ", raconte un responsable du parti de Brasilia.
L'écrivain brésilien João Guimarães Rosa expliquait qu'un " jugement est toujours imparfait, parce qu'on juge le passé ". Pour une partie du pays, sonnée par l'emprisonnement de son héros, c'est le passé glorieux de Lula que l'on condamne. Celui d'un chef d'Etat quasi analphabète, parti de rien, qui contribua lors de ses deux mandats, de 2003 à 2010, à sortir de la misère des dizaines de millions de Brésiliens.
Celui aussi d'un homme à l'écoute des sans-voix qui ouvrit les portes des universités aux plus démunis et hissa le Brésil sur la scène internationale sans avoir à rougir aux côtés de grandes puissances. Pour d'autres, c'est le passé honteux d'un populiste avide de pouvoir, capable des pires compromissions, et chef d'orchestre d'un système de corruption à grande échelle.
" Bien sûr, il y aura ceux qui feront la fête, jetant des pétards, comme lors d'une Coupe du monde qui signerait la rédemption d'une équipe humiliée par le passé, écrit sur son blog le politicien Carlos Melo. Heureux, comme si un emprisonnement suffisait à réparer le pays. Satisfaits comme des piranhas dévorant un bœuf sans prêter attention au reste du troupeau qui traverse le fleuve. Et puis il y aura ceux qui pleureront, promettant de se venger, sans admettre les erreurs commises en chemin, les connivences, les capitulations, l'arrogance et le sectarisme puéril qui les a amenés jusqu'ici. " " Mais il reste les autres, poursuit-il, lucides et perplexes. "
Le Brésil peine à prendre la mesure d'un événement qui a suscité un débordement d'émotions déconcertantes. Du procureur évangélique de " Lava Jato ", Deltan Dallagnol, promettant de jeûner et de prier pour que Lula, qu'il considère comme le " chef suprême " de la corruption, soit mis sous les verrous, aux militaires prenant part aux débats…
Alors que les médias brésiliens décrivaient avec minutie la cellule dotée de toilettes privées où devrait résider Lula ces prochaines années, une partie du pays jubilait. Parmi eux, Kim Kataguiri, porte-parole de la jeunesse de droite. Figure de la mobilisation de 2015 contre la corruption, et appelant à l'impeachment de Dilma Rousseff, la dauphine de Lula, destituée en 2016, le jeune homme savoure sa deuxième victoire.
" Le principal protagoniste de “Lava Jato” est condamné, souffle-t-il, fustigeant l'attitude jusqu'au-boutiste de Lula. Il démontre une fois de plus qu'il place ses intérêts politiques au-dessus du bien-être du pays. Lula s'imagine au-dessus des lois simplement parce qu'il a été président de la République. C'est le dernier acte de totalitarisme d'un proto-dictateur qui, heureusement, a échoué dans son projet de pouvoir. "
L'armée " attentive "Le malaise s'est installé dans la jeune démocratie. Le Tweet du chef d'état-major des armées, Eduardo Villas Boas, assurant à la " nation ", à la veille du jugement de l'habeas corpus de Lula, le 4  avril, " que l'armée partage l'anxiété des citoyens de bien " et " réprouve l'impunité " tout en rappelant que l'armée est " attentive à ses missions institutionnelles " a  achevé d'effrayer les plus inquiets.
La société brésilienne attend fébrilement la suite des événements. L'arrestation de Lula sera-t-elle la preuve manifeste que le pays peut tirer un trait sur les pratiques crapuleuses de l'ensemble de la classe politique ? L'ancien chef d'Etat sera-t-il la victime expiatoire d'un système politique à jamais vérolé ?
En décrétant, le même jour que Lula, l'arrestation de Paulo Vieira de Souza, membre du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), opposant notoire du PT, accusé de détournement de fonds, la police fédérale semble donner le signal d'une chasse aux corrompus généralisée. Mais le pays veut voir tomber d'autres têtes. Celles de parlementaires protégés par leur immunité comme celles de caciques de Brasilia, réputés intouchables. Reste un constat : à  sept mois de l'élection présidentielle, le discrédit des responsables politiques est total.
" Le pays est dans la tourmente ", admet Joaquim Barbosa, ancien président de la Cour suprême qui, affolé par la popularité grandissante du candidat d'extrême droite, Jair Bolsonaro, envisage de se présenter.
Claire Gatinois
© Le Monde

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