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lundi 9 avril 2018

Crise historique à l'Académie suédoise, atteinte par un scandale sexuel




8 avril 2018

Crise historique à l'Académie suédoise, atteinte par un scandale sexuel

Des membres de l'institution qui remet le Nobel de littérature claquent la porte, après la révélation d'agressions sexuelles et de favoritisme

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Depuis que l'affaire avait éclaté en novembre  2017, les dix-huit membres de l'Académie suédoise – institution fondée en  1786 et chargée, depuis 1901, d'attribuer le prix Nobel de littérature – gardaient le silence, comme le leur impose le règlement. Pas un mot sur les accusations d'agressions sexuelles et de viols visant Jean-Claude Arnault, mari de l'écrivaine et académicienne Katarina Frostenson. Rien non plus sur les subventions que lui versait l'institution, ni sur l'habitude qu'il avait, selon des témoins, d'ébruiter les noms des lauréats du Nobel de littérature avant qu'ils soient officialisés, ou encore le rôle qu'il s'attribuait dans leur sélection.
Et puis, vendredi 6  avril au matin, coup de tonnerre. Deux écrivains, Klas Östergren et Kjell Espmark, annoncent qu'ils claquent la porte, suivis en milieu d'après-midi par l'ancien secrétaire perpétuel, l'historien Peter Englund, redevenu simple académicien en  2015. Une accélération des événements qui témoigne de l'ampleur de la crise traversée par l'institution.
" Talent et goût "Dans un communiqué, Klas Östergren, 63 ans, élu en  2014, justifie son départ par les " sérieux problèmes " de l'Académie et les tentatives de " les résoudre en privilégiant des considérations obscures au lieu de suivre le règlement ", ce qui constitue, dénonce-t-il, " une trahison " à l'égard de sa devise, " Snille och smak " (" talent et goût ", en suédois).
Kjell Espmark, 88 ans, un des doyens de l'institution (où il siège depuis 1981), accuse certains de ses collègues de faire passer " l'amitié et d'autres considérations hors de propos " avant " l'intégrité " de l'Académie. Même son de cloche de la part de Peter Englund.
Jeudi soir, les immortels se sont réunis à Stockholm. A l'ordre du jour : les conclusions de l'enquête menée par un cabinet d'avocats, chargé en  novembre  2017 par la secrétaire perpétuelle, Sara Danius, de faire la lumière sur les liens entre les académiciens et Jean-Claude Arnault. Leur rapport devait être rendu public vendredi 13  avril.
Mais les académiciens n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur la rédaction d'un communiqué de presse, qui devait être publié dans la semaine. De sérieuses divergences étaient déjà apparues lors d'un vote, à l'issue duquel une majorité s'était opposée à l'expulsion de la poétesse Katarina Frostenson, 65 ans, occupant le fauteuil numéro  18 depuis 1992.
Le scandale a éclaté le 21  novembre 2017, avec la publication d'une enquête dans le quotidien Dagens Nyheter. Dix-huit femmes y accusent une " personnalité culturelle de premier plan " de harcèlement, d'agressions sexuelles et de viols. Son nom est dévoilé, alors que plusieurs de ses victimes présumées portent plainte. Il s'agit du Français Jean-Claude Arnault, 71 ans, directeur artistique du Forum, un lieu d'événements culturels à Stockholm.
Les faits auraient eu lieu entre 1996 et 2017 en  Suède et à  Paris, dans un appartement que possède l'Académie. Les femmes racontent les agressions, parfois devant témoins, et les intimidations : " Avec cette attitude, je vais faire en sorte que tu ne dures pas longtemps dans la branche ! " ou bien : " Tu ne sais pas avec qui je suis marié ? "
" Dix-neuvième membre "Très vite, une question se pose : si tout cela est vrai, les académiciens pouvaient-ils ne rien savoir ? Le 23  novembre, la secrétaire perpétuelle de l'Académie, Sara Danius, reconnaît que des " filles " et des " épouses " des académiciens et académiciennes ainsi que des membres du " personnel " ont été " exposées à une intimité non désirée ou un comportement inapproprié " de la part du Français.
Le scandale prend une nouvelle tournure quand Dagens Nyheter publie de nouveaux témoignages, début décembre  2017, selon lesquels M.  Arnault a touché des subventions versées par l'Académie, dont il se considérait comme son " dix-neuvième membre ". Non seulement il aurait ébruité le nom de lauréats avant qu'ils ne soient annoncés, mais il se vantait d'avoir eu un rôle dans le choix de certains, comme J.-M. G.  Le Clézio en  2008.
En décembre  2017, l'Académie a modifié son règlement pour éviter les conflits d'intérêts. Mais en  Suède, où les médias évoquent une " institution en ruines ", de nombreux intellectuels appellent désormais à une refonte majeure de l'institution. En  mars, le ministère public a annoncé que plusieurs des plaintes déposées contre M.  Arnault avaient été classés, les faits dénoncés étant prescrits ou impossibles à confirmer. Mais l'enquête se poursuit concernant les faits les plus récents.
Anne-Françoise Hivert
© Le Monde

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