C'est une guerre qui se mène derrière les portes closes de la " cinquième commission ", chargée du budget de l'ONU. Elle se joue à coups de lignes budgétaires sabrées et de marchandages politiques inavouables. Au centre des querelles, la place à accorder aux droits de l'homme dans un monde en pleine régression populiste et autoritaire.
La Russie, la Chine et leurs soutiens ont gagné une première bataille en début d'année en obtenant le démantèlement de la Human Rights up Front Initiative (" les droits de l'homme avant tout "), créée en 2014 par le secrétaire général d'alors, Ban Ki-moon. Ce simple poste était chargé de diffuser la culture des droits de l'homme – l'un des trois piliers de l'organisation – dans tout le système. Sa suppression est un
" mauvais signal "note un diplomate, mais reste symbolique.
" Le système de protection des droits de l'homme va bien au-delà de cette initiative ",analyse un expert. Jamais les femmes et les enfants n'ont été aussi bien protégés grâce à un corpus de résolutions qui offre un cadre normatif et protecteur.
" Ça ne se voit pas,mais il joue un rôle fondamental dans la protection des droits de l'homme dans le monde ", estime cet expert.
Ambiguïtés américainesL'édifice est pourtant fragilisé par l'entreprise de démontage systématique menée par la Chine, la Russie et certains pays du G77 (groupe des pays en développement). La Russie s'est ainsi opposée, le 23 mars, à une réunion publique du Conseil de sécurité sur les droits de l'homme en Syrie, à laquelle devait participer le haut-commissaire Zeid Al-Hussein. Elle a reçu le soutien de la Chine, du Kazakhstan et des membres africains du Conseil (Côte d'Ivoire, Ethiopie, Guinée équatoriale).
La réunion avait finalement pu se tenir dans le cadre moins symbolique du Conseil économique et social.
" Ces blocages nous obligent à être créatifs pour que ces questions puissent être abordées publiquement ", dit un ambassadeur. Les Européens ont surtout compris, lors de ce mini-psychodrame, que leur sphère d'influence en Afrique francophone commençait à se gripper face au levier économique de Pékin.
Quarante-huit heures plus tôt, le PDG d'une entreprise chinoise aurait signé un contrat avec les Ivoiriens scellant le sort de cette réunion. Or, la Chine est devenue le deuxième contributeur financier aux opérations de maintien de la paix (OMP) des Nations unies qui se déploient principalement en Afrique. Alors que les Américains veulent voir leur participation ramenée de 28 % à 25 % du budget, experts et militants des droits de l'homme s'alarment.
" La Chine pense qu'elle tient son moment et qu'il pourrait y avoir un “
mariage de raison”
sur la question des droits de l'homme ",explique Louis Charbonneau, directeur de plaidoyer auprès des Nations unies à Human Rights Watch.
Chaque mandat des OMP contient une composante concernant les droits de l'homme, qui permet à des équipes d'être présentes par exemple en République démocratique du Congo, au Mali ou en République centrafricaine pour enquêter sur les violations, lancer des alertes précoces et appuyer les justices transitionnelles.
" La bataille est de plus en plus rude pour garder ces postes. Personne ne veut taper dans les effectifs des polices et des armées ", dit M. Charbonneau.
Les voix occidentales se font aussi plus discrètes. L'UE, qui négocie sur une base commune, est fragilisée par les voix dissonantes venues de Hongrie, d'Autriche, ou encore de Pologne. L'Amérique de Trump est empêtrée dans ses ambiguïtés.
" Au cours de l'année écoulée, les Américains ont multiplié les appels pour davantage de discussions sur les droits de l'homme au Conseil de sécurité ", dit Ashish Pradhan, expert de l'ONU à l'International Crisis Group.
Mais Nikki Haley, la représentante américaine aux Nations unies, est sélective. Elle est d'accord pour parler des violations des droits de l'homme en Syrie, en Iran ou au Venezuela. Mais c'est la même qui, à la moindre mention des colonies illégales israéliennes, menace de se retirer définitivement de son organe phare, le Conseil des droits de l'homme. Une politisation qui
" porte gravement atteinte à l'universalité de ces droits " regrette une diplomate.
Marie Bourreau
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