L'annonce est de nature à altérer profondément les relations déjà difficiles entre Moscou et Washington. Vendredi 22 décembre, la Maison Blanche a fait part de son intention de livrer des armes létales à son allié ukrainien, une initiative considérée par le Kremlin comme une ligne rouge et que l'administration Obama, soutien résolu de Kiev dans la guerre du Donbass, n'avait pas osé prendre en son temps.
Officiellement, il n'est question pour Washington que de
" fournir à l'Ukraine des capacités défensives renforcées " pour l'aider à
" défendre sa souveraineté, son intégrité territoriale et se prémunir de toute agression à venir ", selon la formule de la diplomatie américaine.
Mais, selon plusieurs médias américains, le texte signé vendredi soir par Donald Trump et conçu par le département d'Etat et le Pentagone autorise la vente à l'Ukraine d'armes létales lourdes. Il s'agirait notamment de lance-roquettes et de missiles antitank Javelin, un type d'armement sophistiqué que la partie ukrainienne réclame depuis le début de la guerre, en 2014. Jusqu'à présent, les Etats-Unis se contentaient de fournir du matériel non létal à Kiev, comme des véhicules de transport de troupes, et de superviser des sessions d'entraînement de l'armée ukrainienne.
Avec l'accord donné par M. Trump, le Congrès dispose désormais de trente jours pour examiner le texte, avant sa mise en œuvre. Mais cette validation ne fait guère de suspense, la question d'un soutien accru à l'Ukraine faisant l'objet d'une quasi-unanimité entre les élus démocrates et républicains, qui ont récemment renforcé l'arsenal des sanctions en vigueur contre la Russie.
Ce revirement stratégique de Washington constitue un tournant important. Une telle initiative avait déjà été évoquée durant la présidence Obama, et les deux Chambres avaient approuvé des textes en ce sens, mais le prédécesseur de Donald Trump s'était finalement refusé à sauter ce pas, pour ne pas braquer Moscou, alors que des négociations de paix étaient engagées, et craignant une escalade qui aurait vu la Russie accentuer son soutien militaire – qu'elle nie – aux séparatistes du Donbass.
M. Trump, qui a multiplié durant le week-end les Tweet de Noël, ne s'est pas exprimé sur le sujet, laissant planer l'incertitude sur ses motivations : désintérêt du dossier ukrainien, pourtant perçu comme vital par la Russie ; souci d'éloigner les soupçons de collusion avec Moscou apparus durant sa campagne présidentielle ; pressions devenues trop fortes du département d'Etat et du Congrès.
Sans doute la décision américaine répond-elle aussi à une forme de frustration, alors que les Etats-Unis tentent depuis l'été de s'insérer dans les discussions de paix qui se tenaient jusque-là sous le seul patronage de Paris et Berlin. Après une série de rencontres infructueuses organisées à Belgrade entre son représentant spécial pour l'Ukraine, Kurt Volker, et le Russe Vladislav Sourkov, le secrétaire d'Etat américain, Rex Tillerson, avait durci son discours contre Moscou, l'accusant d'être responsable des violations du cessez-le-feu en continuelle hausse sur le terrain.
Réactions contrastéesLe conflit ukrainien, qui a déjà tué au moins 10 000 personnes,
" constitue l'obstacle le plus sérieux à une normalisation de nos relations avec la Russie, normalisation que nous désirons ardemment ", déclarait-il lors d'une réunion des ministres de l'OSCE à Vienne, le 7 décembre. Et mi-décembre, en même temps que le Canada, la Maison Blanche avait déjà autorisé la fourniture à l'Ukraine d'armes automatiques légères et de systèmes de visée pour fusils sniper.
Ce revirement intervient également alors que la Russie a décidé, le 18 décembre, de retirer ses représentants d'un centre conjoint chargé de veiller à la mise en œuvre de fragiles trêves dans l'est de l'Ukraine. Un temps envisagée, l'idée de déployer sur le terrain une force de maintien de la paix de l'ONU a par ailleurs été abandonnée, butant sur le refus de Moscou de la voir se déployer le long de sa frontière avec l'Ukraine.
L'annonce américaine a provoqué des réactions contrastées des différents acteurs du dossier. Le président ukrainien, Petro Porochenko, s'est réjoui, samedi, de ce soutien inattendu, estimant qu'il s'agissait d'une réponse à la poursuite par Moscou de ses livraisons d'armes aux rebelles et à son refus de retirer ses troupes. L'accord conclu avec Washington, ajoutait-il, est
" un vaccin transatlantique contre le virus de l'agression russe ". Le même jour, sans mentionner explicitement les derniers développements à Washington, Emmanuel Macron et Angela -Merkel soulignaient de leur côté
" qu'il n'y a pas d'autre solution qu'un règlement exclusivement -pacifique du conflit ".
A Moscou, les autorités russes ont immédiatement réagi en avertissant que la fourniture d'armes létales
" pourrait provoquer un bain de sang ", selon les mots du vice-ministre des affaires étrangères, Sergueï Riabkov. Aucune réponse concrète n'a toutefois été encore apportée, alors que Moscou avait averti par le passé qu'une telle initiative de Washington pourrait pousser les séparatistes à reprendre leurs offensives.
Comme en écho à ces propos, la journée de samedi a été marquée par un nouveau regain de violences, qui ont tué au moins un soldat ukrainien. Depuis, le niveau des hostilités a de nouveau diminué, dans le cadre d'une énième trêve décidée à l'occasion de Noël. Un échange de prisonniers massif – souvent évoqué mais -jamais mené à bien – pourrait par ailleurs intervenir le 27 décembre, à l'issue d'une médiation conduite par le Patriarcat orthodoxe de Moscou.
Benoît Vitkine
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