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lundi 25 décembre 2017

Les scientifiques américains, cible d'une chasse aux sorcières






24 décembre 2017

Les scientifiques américains, cible d'une chasse aux sorcières

L'Agence de protection de l'environnement (EPA) subit de plein fouet l'offensive de la Maison Blanche pour saper la préservation de la nature et du climat au profit de l'industrie

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Le candidat Donald Trump s'y était engagé dès février  2016 : " Le département de la protection -environnementale : nous allons nous en débarrasser dans presque toutes ses formes ", même si on conservera " quelques friandises ". Promesse tenue : sous la houlette de Scott Pruitt, climatosceptique notoire de l'Oklahoma, l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA) se saborde consciencieusement et démantèle les régulations environnementales adoptées sous Barack Obama.
Pour cela, il faut agir sur les hommes. Scott Pruitt mène donc une véritable guérilla -contre des fonctionnaires et des scientifiques qui lui sont hostiles. Dans une atmosphère paranoïaque, il a fait déminer pour 3 000  dollars (2 500  euros) son bureau pour vérifier qu'il n'y avait pas de micro caché et s'est fait financer pour 25 000  dollars une cabine de télécommunications sécurisée pour pouvoir s'entretenir confidentiellement avec la Maison Blanche. Victime de menaces et sous protection policière rapprochée, Scott Pruitt agit sur quatre axes : découragement des salariés, voire intimidation, même s'il n'y est officiellement pour rien ; recomposition des comités scientifiques en y nommant des défenseurs des industries polluantes ; réduction au silence des scientifiques ; sabrage du budget et des effectifs.
Les salariés intimidés par une officine ultraconservatriceLa syndicaliste Nicole Cantello, par exemple, a révélé son histoire au New York Times. Ce 15  février, cette avocate salariée de l'EPA depuis vingt-six ans est devant son ordinateur. Soudain, elle voit apparaître une demande de recherche de ses courriels : tous ceux qui mentionnent le nom de Pruitt. Cette requête ne tombe pas par hasard. Dix jours plus tôt, le 6  février, elle a organisé une manifestation à Chicago contre la nomination par -Donald Trump de M. Pruitt. Bien sûr, rien n'émane de l'EPA ou de M. Pruitt.
La demande d'information a été formulée par le juriste Allan Blutstein, qui dirige America Rising, une officine ultraconservatrice qui aide les républicains à constituer des dossiers. " J'étais stressée. J'ai pensé qu'ils voulaient me discréditer ", s'est alors inquiétée Mme Cantello.
Tous ceux qui se sont opposés publiquement à M. Pruitt sont dans le collimateur d'America Rising. Michael Cox (Etat de Washington) figurait sur la liste noire pour avoir envoyé lors de son départ à la retraite une lettre ouverte cinglante à M. Pruitt, tout comme Gary Morton, qui avait manifesté contre les coupes budgétaires à Philadelphie." C'est une chasse aux sorcières contre les employés de l'EPA qui ne font que tenter de protéger la santé humaine et l'environnement. Ils essaient de nous intimider et de nous réduire au silence ", a accusé Gary Morton.
Dans sa vingtaine de requêtes, Allan Blut-stein revendique avoir " été à la pêche " en visant ceux qui disaient du mal de M. Pruitt, des syndicalistes mais pas toujours, pour vérifier s'ils violaient les règles de l'EPA. Le problème, c'est qu'il a le droit en sa faveur, comme l'explique Nicole Cantello. " Nous avons la loi sur la liberté d'information, et chacun peut demander mes mails. C'est légitime si c'est pour savoir si je fais bien mon travail ", nous confie-t-elle, en sa qualité de syndicaliste, en communiquant par adresse mail et téléphone privés. C'est ce même droit qu'utilisent les médias pour avoir accès à l'agenda détaillé de M. Pruitt. L'affaire a -cependant tourné au scandale quand on a découvert que l'EPA avait signé un contrat – depuis annulé — de " surveillance médiatique " de 120 000  dollars avec une société -associée à America Rising.
Des comités scientifiques probusinessScott Pruitt excelle dans l'art d'utiliser les -armes de ses adversaires. On accuse les entreprises dont il écoute les avis d'être en conflit d'intérêts. Il use de ce même argument pour chasser des comités scientifiques chargés de conseiller l'EPA,ceux qui bénéficiaient de subventions de la part de cette dernière. " Nous devons nous concentrer sur la science, pas sur la science politique ", a déclaré M. Pruitt en octobre. La manœuvre permet d'exclure les scientifiques financés sur fonds publics. Donna Kenski en a été la victime. Cette démocrate travaille pour une agence de Chicago qui analyse la qualité de l'air des grands lacs et reçoit indirectement de l'EPA, par l'intermédiaire de l'Etat de l'Illinois, 900 000  dollars. Son mandat de trois ans au sein de cet organisme a été révoqué prématurément. Elle avait été nommée à l'époque contre l'avis du sénateur de l'Oklahoma, le climatosceptique James Inhofe.
Ces départs permettent de faire de la place aux défenseurs des entreprises. Ainsi, Michael Honeycutt a été nommé président du bureau de conseil scientifique de l'EPA. Ce toxicologue texan est connu pour avoir jugé excessives les normes sur l'ozone fixées par l'agence environnementale et a cosigné une étude accusant celle-ci d'avoir exagéré les -bénéfices sur la santé d'un air plus pur.
Il retrouvera dans ce comité le Californien Robert Phalen, célèbre pour avoir estimé que " l'air moderne est un peu trop pur pour une santé optimale ", mais aussi l'ancien -directeur de recherche de l'entreprise pétrolière de l'Oklahoma Phillips 66, ou encore l'ancien responsable environnement de la compagnie d'électricité d'Atlanta Southern Co, l'un des plus gros émetteurs de CO2 des Etats-Unis.
Les comités scientifiques s'ouvrent à des gens " qui croient que le travail de l'EPA est de stimuler l'économie américaine, car elle est plus importante que la santé de gens et l'environnement ", déplore un scientifique réduit au silence.
Pour nommer les cadres dirigeants de l'EPA, une confirmation du Sénat est souvent nécessaire : William Wehrum a ainsi été investi de justesse pour (dé) réguler la protection de l'air, alors qu'il a longtemps défendu les entreprises pétrolières.
Mais Michael Dourson, qui a par le passé été payé pour critiquer des études scientifiques défavorables à ses clients de la chimie et du pétrole, a dû renoncer à prendre en charge la direction des risques chimiques et de pollution.
Les scientifiques réduits au silenceC'était en septembre. Un colloque devait se tenir à Rhode Island sur les conséquences du réchauffement climatique qui affecte la baie de Narragansett, le plus grand estuaire de la Nouvelle-Angleterre, situé entre Boston et New York. Trois scientifiques de l'EPA devaient y prendre la parole mais, à la dernière minute, la direction le leur a interdit, au prétexte qu'il ne s'agissait pas d'un événement EPA. Une trentaine de manifestants ont protesté, avec des pancartes : " La science, pas le silence ".
Les consultations de l'agence perdent désormais en crédibilité et servent de plate-forme politique. Pour annuler la loi sur l'air de Barack Obama, qui aurait pu servir de feuille de route pour respecter l'accord de Paris, l'EPA a tenu une séance publique en Virginie-Occidentale, dans un bassin minier. M.  Pruitt vient de rajouter trois réunions, dont une à Gillette, capitale charbonnière du Wyoming.
Le budget sabré, les salariés désertentAu printemps, M.  Trump a indiqué qu'il voulait diminuer de 30  % le budget de l'EPA, qui atteignait 8  milliards de dollars en  2017, et réduire ses effectifs de 3 200 personnes sur un total de 15 000. La Chambre a proposé une réduction de 8  % et le Sénat de 2  %, soit environ 150  millions de dollars. Mais les budgets consacrés à l'eau, à l'environnement, au climat sont ciblés et baissent de 10  % environ. Faute d'accord, le budget 2017 est provisoirement reconduit à un niveau ayant baissé de plus de 20  % depuis le début de la décennie.
La voie budgétaire ne sera peut-être même pas nécessaire, car le travail de sape de Scott Pruitt porte ses fruits, comme l'a révélé, le 22  décembre, le New York Times.Depuis que Donald Trump est au pouvoir, 700 personnes ont quitté l'agence – retraite, démission, transaction –, dont plus de 200 scientifiques : une centaine de spécialistes de la protection de l'environnement et 9 directeurs de départements. Sur les 129 embauches de l'année, seules 22 sont des scientifiques ou des étudiants scientifiques.
De surcroît, M.  Pruitt n'a que 150 inspecteurs chargés de faire respecter la réglementation, alors que la loi exige un minimum de 200. Et l'EPA ne veut plus prendre en charge les frais du ministère de la justice, qui est son bras armé pour attaquer les contrevenants. L'atmosphère est crépusculaire. Comme 20 personnes non remplacées de son bureau de San Francisco, Lynda Deschambault est partie de l'agence au bout de vingt-six années. Elle a confié son désarroi au New York Times : " Le bureau était une morgue. "
Arnaud Leparmentier
© Le Monde



24 décembre 2017

Un républicain ultra, ex-pilote de la Navy, convoite la NASA

James Bridenstine, élu de l'Oklahoma qui nie le réchauffement anthropique, a été choisi par Trump pour diriger l'agence spatiale

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C'était en juin  2013, devant la Chambre des représentants, le républicain de l'Oklahoma James Bridenstine proclamait : " Les températures de la planète ont cessé de progresser depuis dix ans. " Il expliquait doctement que les changements étaient liés au rayonnement du soleil, au cycle des océans et que les variations du passé n'étaient pas dues à l'activité humaine. En bon élu d'un Etat victime de tornades, il s'en est aussi pris au président Obama accusé d'avoir dépensé " trente fois plus pour l'étude du réchauffement que sur la météo ". Et s'est dit " prêt à accepter les excuses du président " s'il réallouait les ressources.
A l'époque, M.  Bridenstine était un républicain ultra, ancien pilote de chasse de la Navy ayant combattu en Irak et en Afghanistan. Aujourd'hui, il est toujours ultra, mais à 42 ans, il est le candidat de Donald Trump pour diriger la NASA. Ce choix pour diriger l'Administration nationale de l'aéronautique et de l'espace rompt avec la tradition, M. Bridenstine n'est pas un scientifique mais un professionnel de la politique. Et les sénateurs démocrates lui ont fait passer un sale quart d'heure, le 1er  novembre, lors de son audition en commission, en lui rappelant d'autres propos climatosceptiques
" Comportement clivant "L'impétrant, qui géra le Musée de l'air et de l'espace de Tulsa, en Oklahoma, s'est emmêlé les pinceaux, incapable de prendre à son compte le consensus scientifique sur le réchauffement et refusant de dire que l'activité humaine en était le " principal "facteur. Le -sénateur de Floride, le démocrate Bill Nelson, lui a aussi rappelé ses propos outranciers envers Obama, son combat pour la discrimination des homosexuels et l'a accusé d'avoir " un comportement extrémiste et clivant " qui " explique pourquoi Washington est cassé "" La NASA est l'un des derniers refuges à l'abri de la politique partisane. La NASA a besoin d'un leader qui nous unira, pas qui nous divise. Vous n'êtes pas ce leader ", a conclu M. Nelson.
L'audition, en tout cas, fut partisane : 14 voix pour, 13 contre ; 14 républicains, 13 démocrates. Sans date pour la confirmation par le Sénat en séance plénière.
La NASA se trouve donc sans patron depuis l'entrée en fonction de M. Trump, un record. Cette vacance explique que l'agence (18 000 employés) ait conservé une certaine liberté pour aborder le réchauffement, tout comme l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA). Spécialisée dans la météorologie, cette administration de 12 000  personnes est aussi en attente de la confirmation de son patron, un autre " climato-réticent " choisi par le président.
Ainsi la NASA a pu tweeter que le mois dernier avait été " le troisième mois de novembre le plus chaud en cent trente-sept  ans de statistiques ", tandis que les -chercheurs de la NOAA ont pu participer à la rédaction d'un rapport sur " l'explication des événements extrêmes en  2016 d'un point de vue climatique " lors d'un -colloque scientifique à La Nouvelle-Orléans. Si ces agences sont libres, c'est aussi, analyse leWashington Post, parce qu'elles n'ont pas de mission (dé)régulatrice comme l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA) et le ministère de l'intérieur, mis en coupe régléepar l'administration Trump. Toutefois, les restrictions budgétaires pourraient être un biais pour réduire les études de la NASA sur l'évolution terrestre.
Avenir incertainFaute de patron, l'avenir de la NASA n'est pas évident. M. Bridenstine décrit une Amérique au bord du " syndrome Sputnik " : quand les Soviétiques l'humilièrent en lançant le premier satellite artificiel en  1957. Il déplore que les Etats-Unis, qui faisaient rouler des véhicules sur la Lune en  1972, ne soient plus capables d'acheminer des astronautes vers la Station spatiale internationale et louent les services des Russes, qui financent ainsi leurs programmes tandis que les Chinois contestent leur leadership." C'est notre job de rendre l'Amérique de nouveau grande dans l'espace ", a-t-il déclaré en février, paraphrasant le " Make America Great Again " de Trump.
Là où Barack Obama visait Mars, M.  Bridenstine choisit d'abord la Lune, pour y installer une station permanente. Cette stratégie a été exposée en octobre par le vice-président, Mike Pence : " Et à partir de la Lune, l'Amérique sera la première nation à envoyer l'homme sur Mars. " Ce propos de M. Pence fait de la Lune l'objectif immédiat, la conquête de Mars un projet américain, visiblement pas international. Reste à savoir si M. Bridenstine conduira cette aventure.
Ar. Le.
© Le Monde

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