ALa Force, en Dordogne, Yahya, Lubana et Khadija, un couple syrien et sa fillette, sont hébergés par Bernard et Yta. A Lyon, l'Angolaise Germana s'est remise d'une opération pendant deux mois chez Nadette Caro, qui a par ailleurs organisé l'accueil de Fathi, de Mansour, d'Ahmed et d'autres. A Metz, le groupe dont fait partie Marie-Claire Fabert a accueilli des Somaliens, des Albanais, des Congolais et des Irakiens. A Valence, dans la Drôme, avec d'autres, Lluis Caballe est engagé dans l'accueil des Albanais Ervin et Jiljeta et d'une vingtaine d'autres familles.
Ils sont réfugiés, déboutés du droit d'asile, migrants. Ils ont pour beaucoup traversé des épreuves tragiques avant de poser le pied en Europe. Autour d'eux, des bénévoles ont tissé une chaîne humaine précieuse qui assure à ces nouveaux arrivants un accueil quand les pouvoirs publics sont parfois tentés de leur fermer la porte au nez et qu'une partie de la population les voit, au mieux comme des gêneurs, au pire comme des envahisseurs. Parmi ces bonnes volontés qui se mobilisent pour accueillir l'étranger, beaucoup sont croyants. Des chrétiens pour la plupart, catholiques et protestants, dont la spiritualité n'admet pas la passivité face à ces exilés.
" Une exigence de justice "Ils ne sont évidemment pas les seuls à s'engager. D'autres bénévoles sont agnostiques, certains motivés par un engagement d'ordre plus politique ou simplement par leur esprit de solidarité.
" La ligne de fracture n'est pas forcément la foi. C'est l'hospitalité ",s'empresse de dire Antoine Paumard, directeur du Service jésuite des réfugiés (JRS), qui coordonne un réseau de quelque 1 500 familles ou communautés d'accueil en France, baptisé Welcome. Il n'empêche : la foi est pour ces militants de l'accueil un moteur exigeant, qu'ils analysent chacun à leur façon, leurs références bibliques ou évangéliques favorites à portée de lèvres.
Pour Nadette Caro, cette foi catholique joue un
" rôle essentiel " dans son engagement. A 70 ans, cette ancienne journaliste coordonne aujourd'hui l'antenne lyonnaise des JRS. Avec l'aide de son équipe, soixante-dix familles et communautés religieuses accueillent des demandeurs d'asile isolés.
" Quand je travaillais,je m'appliquais à donner la parole aux plus pauvres, raconte-t-elle
. Lorsque j'ai pris ma retraite, j'ai pris mon baptême en pleine figure : je ne pouvais plus m'abriter derrière mon métier. Je devais prendre mes responsabilités. " Elle s'implique d'abord auprès d'étudiants étrangers, en région parisienne, avant de rejoindre les JRS :
" Je me suis aperçue après coup que les migrants et les étrangers étaient le fil rouge de ma retraite. " Elle cite volontiers la première lettre de Jean :
" Nous devons aimer, non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité. "
Agir est aussi central pour Antoine de Berranger.
" Pour moi, la foi, c'est l'action ", résume le délégué de l'Ordre de Malte en Indre-et-Loire. Depuis 2014, son équipe, souvent citée en exemple, a accueilli 400 personnes dans le département, pour beaucoup des réfugiés membres de minorités religieuses persécutées d'Irak et de Syrie.
" Parmi eux, personne n'a dormi dans la rue depuis trois ans et demi ", se félicite-t-il, en vantant la qualité de la coopération avec les services de l'Etat et le diocèse :
" C'est le seul endroit de France où cela se passe aussi bien. " Sa
" feuille de route " se trouve dans l'Evangile selon saint Matthieu :
" Car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger(…)
J'étais étranger, et vous m'avez accueilli. "
C'est peut-être parce qu'avec son mari, elle a fait
" l'expérience fondatrice d'être accueillie à l'étranger " au début de son mariage dans le nord du Burkina Faso, pendant deux ans, que Marie-Claire Fabert coordonne aujourd'hui le programme Welcome à Metz.
" On partage les joies et les peines du quotidien. C'est ça, l'accueil. Ça nous a donné un élan, une confiance ", explique cette femme active de 54 ans. Voulant vivre ensuite dans un
" endroit où il y a beaucoup d'étrangers ", ils se sont établis à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine).
" Avant d'être une question de foi, soupèse-t-elle,
cet engagement, c'est une question de relation avec la différence. " Dans son groupe de coordination d'une quinzaine de personnes se côtoient des croyants de différentes religions mais aussi des athées.
La figure de l'étranger est au cœur de la trajectoire familiale de Lluis Caballe. Ce protestant de -Valence est né en France, il y a soixante-sept ans, de réfugiés catalans.
" J'ai vécu parmi les réfugiés, accueillis par la France, je suis sensibilisé par mon histoire au migrant qui cherche refuge ", dit-il. Pendant des années, il a participé aux " cercles de silence ", une protestation mensuelle silencieuse contre l'enfermement des migrants dans les centres de rétention, à la Cimade, puis aujourd'hui à une association d'aide par le logement, qui vient au secours d'une vingtaine de familles, surtout des déboutés du droit d'asile. Il tire de sa foi
" une exigence de justice ".
Toute une vie d'engagementCes bénévoles de l'aide aux migrants ont parfois toute une vie d'engagement. C'est le cas de Bernard.
" Toute ma famille est dans le bain ! ", résume cet octogénaire protestant, citant la Résistance, la Cimade, l'expatriation dans des pays en développement. Lui-même a été objecteur de conscience, a fait de l'alphabétisation avec la Cimade, a milité contre la guerre d'Algérie, pays dans lequel il a travaillé de 1961 à 1967 pour le ministère de l'agriculture avant de revenir en France, où il a continué à s'engager. Aujourd'hui, dans sa maison de La Force, sa femme et lui accueillent un couple de -Syriens d'Homs et leur fillette.
Pour certains, la foi vient en renfort. Elle les aide à tenir dans cet engagement exigeant.
" Dans cette aventure de l'accueil, plus d'une fois je me suis dit : quelle chance d'être croyante, témoigne Marie-Claire Fabert.
Parfois, quand on ne peut trouver de solution d'hébergement, on court le danger d'être écrasée par un sentiment d'impuissance. Hier, je me suis dit : ce sentiment d'impuissance, je peux le remettre au Seigneur et je pourrai avancer. C'est une aventure à la fois humaine et spirituelle. "
Tous les chrétiens n'ont pas la même attitude envers les réfugiés. Comme dans le reste de la population, on trouve chez une partie d'entre eux de la réticence, voire de l'hostilité à leur accueil. Marie-Claire Fabert en a fait l'expérience lorsqu'elle a parlé de ses activités lors d'une messe.
" On a vécu un grand moment de solitude ! ", dit-elle. Peu de paroissiens sont venus les trouver, sinon pour formuler des doutes : ne faut-il pas mieux accueillir que des chrétiens ? Ne crée-t-on pas un " appel d'air " ?
L'exil, " un élément puissant "Ces interrogations existent aussi chez les protestants, mais de façon moins marquée.
" La question de l'étranger est assez constitutive de la pensée théologique et sociale des protestants, explique Jean Fontanieu, secrétaire général de la Fédération d'entraide protestante (FEP), qui regroupe 360 associations, certaines spécialisées dans l'aide aux réfugiés, comme la Cimade.
D'abord parce qu'ils sont tournés vers une pratique biblique, où la référence à l'étranger est permanente. Ensuite parce que dans leur histoire, l'exil est un élément très puissant, qui a touché des centaines de milliers d'entre eux après la révocation de l'édit de Nantes. Enfin, parce qu'au XXe siècle, et -notamment pendant la seconde guerre mondiale, ils ont pris le parti de l'étranger, un principe sur lequel il ne fallait pas lâcher. " Jean Fontanieu cite l'épître aux Hébreux :
" N'oubliez pas l'hospitalité ; quelques-uns en la pratiquant ont, à leur insu, logé des anges. "
Le préfet Jean-Jacques Brot, qui est chargé par le gouvernement, depuis 2014, de coordonner l'accueil des réfugiés syriens et irakiens, a perçu à sa manière cette différence :
" Les protestants ont été très bien organisés et mobilisés dès le départ, la FEP a recueilli les offres de logements. L'Eglise catholique, elle, s'est trouvée tétanisée par ses contradictions et a laissé les initiatives locales se dépatouiller. "
Pourtant, dans l'Eglise catholique, certains insistent sur l'importance de l'accueil des migrants pour l'Europe. Le 10 janvier 2018, l'épiscopat français a prévu de s'exprimer sur le sujet. Le 13 janvier, le diocèse de Paris réunira sur ce thème les curés de la capitale.
Cécile Chambraud
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