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vendredi 29 décembre 2017

En Italie, la bataille perdue du droit du sol


29 décembre 2017

En Italie, la bataille perdue du droit du sol

La refonte du code de la nationalité est en passe d'être abandonnée à la veille de la campagne pour les législatives

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LES CHIFFRES
170 000
personnes ont rejoint les côtes de l'Europe par la mer en 2017, selon les données du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Elles étaient 362 000 en 2016, et 1 015 000 en 2015. Parmi elles, 119 000 sont arrivées en Italie, 29 000 en Grèce et 27 000 en Espagne.
11,3 %
des migrants arrivant en Europe sont originaires du Nigeria. Suivent la Syrie (10,7 %), la Guinée (7,9 %) et la Côte d'Ivoire (7,8 %).
3 000
personnes sont mortes ou ont disparu lors de leur traversée, selon les estimations du HCR.
710 400
personnes ont obtenu l'asile en Europe en 2016. Pour moitié, ce sont des Syriens, et 60 % des attributions ont été faites en Allemagne, selon les statistiques de l'Union européenne, qui ne fournit pas de chiffres pour 2017. Parmi elles, 389 670 se sont vu octroyer le statut de réfugié.
Le courrier est arrivé, mercredi 27  décembre, sur le bureau du président de la République, Sergio Mattarella, à l'occasion des 70 ans de la promulgation de la Constitution italienne. " Monsieur le -président, en une journée aussi belle et fondamentale pour nos vies et notre démocratie, notre devoir est de vous rappeler que beaucoup d'entre nous ont appris à la connaître sur les bancs d'école et, avec elle, les valeurs de liberté, égalité, paix et respect, devenant des citoyens… "
Ainsi commence la lettre que le mouvement Italiens sans citoyenneté a adressée au chef de l'Etat pour l'exhorter à permettre au Sénat d'adopter le texte sur leius soli (" droit du sol "), en retardant la dissolution imminente du Parlement. Cette réforme entraînerait l'accès à la citoyenneté pour environ 800 000 enfants d'étrangers nés en Italie ou arrivés en bas âge dans le pays.
Sur le papier, rien ne s'opposerait à la requête des partisans du droit du sol : les élections législatives n'étant pas prévues avant la date du 4  mars, le Sénat pourrait encore se réunir afin d'examiner le texte, adopté sans difficulté par la majorité de gauche de la Chambre des députés, quand Matteo Renzi était encore au pouvoir. Pourtant, la dissolution des assemblées devait être annoncée jeudi 28  décembre. Les présidents du Sénat et de la Chambre des députés devaient être reçus par le chef de l'Etat pour prendre acte de la fin de la législature.
Débats désertésIl est donc très improbable que l'appel en faveur d'une refonte du code de nationalité soit entendu, tant le gouvernement de Paolo Gentiloni semble avoir reconnu, ces dernières semaines, son incapacité à trouver une majorité au Sénat pour que ce texte soit adopté. Dès lors, plutôt que de s'exposer à un vote négatif, politiquement désastreux, il était plus simple pour lui de refuser l'obstacle en feignant d'y croire encore jusqu'au bout, avant d'incriminer le manque de temps.
Le texte a donc été présenté au Sénat, en séance plénière, pour adoption définitive, le samedi 23  décembre, deux jours avant Noël. Il ne restait plus qu'à constater que de trop nombreux sénateurs étaient partis en vacances, puis à renvoyer le vote au 9  janvier – date à laquelle, selon toute probabilité, l'actuel Parlement aura cessé d'exister. Ainsi la discussion aura-t-elle été escamotée à la veille d'une campagne électorale dont l'un des principaux thèmes risque d'être l'immigration.
Opposants de toujours à la réforme, la droite – qui n'a cessé de tonner contre le droit du sol – et le Mouvement 5 étoiles (M5S), qui, lui, préfère en appeler à une très improbable décision européenne en la matière, ont déserté sans surprise les débats. En revanche, ce sont les défaillances au sein de la majorité de centre gauche qui font désordre. Ainsi, un seul des 24 membres d'Alliance populaire (AP), la formation centriste du ministre des affaires étrangères, -Angelino Alfano, était-il présent samedi sur les bancs du Sénat. Et 29 parlementaires (sur 98) du Parti démocrate (PD) manquaient également à l'appel.
Pourtant, le secrétaire général du parti, Matteo Renzi, et le président du conseil, Paolo Gentiloni, se sont toujours déclarés favorables à l'introduction du droit du sol. En automne, le gouver-nement semblait même prêt à -affronter un vote de confiance à hauts risques. Mais la realpolitik a fini par prévaloir. Plutôt que de s'épuiser à faire adopter un texte susceptible de faire exploser la majorité, mieux valait adopter le budget et concentrer ses efforts sur un dossier moins controversé, le " testament biologique " (un texte sur la fin de vie), adopté le 14  décembre, en guise de caution réformatrice pour la majorité parlementaire sortante en matière de nouveaux droits.
Alors que la nouvelle formation de gauche anti-Renzi, Libres et égaux, constituée autour du président du sénat, Pietro Grasso, et de l'ex-premier ministre Massimo D'Alema, ainsi que les radicaux emboîtaient le pas des jeunes du mouvement des Italiens sans citoyenneté, des voix se sont aussi fait entendre à l'intérieur du PD pour tenter de sauver le texte. " Prolongeons de quelques jours la législature, elle ne peut pas se terminer sur ces images honteuses des bancs vides ", a ainsi lancé le député Gianni Cuperlo, ex-président du PD, qui avance l'hypothèse que deux semaines pourraient suffire.
AmalgameLuigi Manconi, sénateur du PD, en première ligne dans la conception du texte, s'en est pris également aux absents dans les rangs de son parti. Mais il incrimine surtout la droite. Au cours d'une émission radio, il l'a accusée d'avoir joué sur la peur, " en présentant le texte comme une mesure qui vise à attribuer la citoyenneté italienne à ceux qui débarquent quotidiennement sur - leurs - côtes, ce qui est un faux sensationnel ". Tel qu'avait été conçu le projet de loi baptisé " Ius soli ", il ne s'agissait que de prendre en compte les enfants nés en Italie, dont un des deux parents possédait un permis de séjour régulier depuis au moins cinq ans.Et il s'agissait aussi d'un " droit culturel " réservé aux enfants arrivés avant 12 ans ayant achevé un cycle scolaire complet en Italie.
Un droit du sol qui aurait dû mettre fin au dispositif actuel, qui prévoit l'acquisition de la citoyenneté à 18 ans, au terme d'un parcours bureaucratique très complexe. En effet, les candidats à la naturalisation ne disposent que d'un an de temps pour demander la nationalité italienne en produisant toute une série de documents – de la preuve d'être restés sans interruption en Italie toutes ces années à un revenu conséquent, hors de portée des jeunes qui étudient.
Ces derniers mois, les histoires de jeunes qui se sentent encore étrangers dans le pays qu'ils considèrent pourtant comme le leur se sont multipliées dans les journaux. Ils parlent souvent les langues locales, vivent la même vie que leurs camarades, mais sont privés, par exemple, du simple droit à un voyage de classe à l'étranger, ou de la possibilité de postuler pour un stage ou un séjour de type Erasmus.
Mais les mois de manifestations et de mobilisations de la société civile n'auront pas suffi à convaincre : les bancs vides du Sénat, le 23  décembre, en sont la preuve éclatante.
Tout porte à croire que l'immigration sera au centre de la campagne électorale et que l'amalgame entre droit du sol et immigration incontrôlée s'est imposé. Il aurait fallu bien du courage aux élus de retour sur leur territoire pour expliquer que l'octroi de la citoyenneté à des enfants qui n'ont jamais connu le pays d'origine de leurs parents n'a rien à voir avec l'" invasion " dont tous entendent parler à longueur de journée à la télévision ou au café.
Salvatore Aloïse
© Le Monde

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