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28
Nov
2017
(Russie) Comment Donald Trump a été ligoté, par Alastair Crooke
Source : Alastair Crooke, Consortium News, 26-08-2017
Les acteurs de l’État profond américain ont ligoté le Président Donald Trump sur les sanctions envers la Russie et autres politiques économiques étrangères, mais cela ne signifie pas que le combat est fini, écrit le diplomate anglais Alastair Crooke
Le Président Trump a vu sa politique étrangère pieds et poings liés par la loi sur les sanctions contre la Russie et l’Iran. A présent il est devenu « impuissant » : en ce qui concerne la détente avec la Russie, comme Gulliver chez les Lilliputiens, il est ligoté, détesté par son propre parti qui travaille avec les Démocrates, afin de lui ôter toutes ses prérogatives constitutionnelles en matière de politique étrangère – et ainsi, de les réserver pour le Congrès.
Et dans une autre humiliation, Trump « roulé » par ses conseillers militaires (les généraux James Mattis, H. R. McMaster et John Kelly) sur sa politique afghane : il a abandonné la supervision civile de cette expédition militaire en Afghanistan à McMaster et Mattis – le premier étant l’auteur présumé de la « nouvelle » politique afghane. Le président a également été « roulé » sur ses prérogatives militaires étrangères – en tant que commandant en chef – par son triumvirat de conseillers militaires à la Maison-Blanche. Le leadership « civil » a cédé la place au leadership « militaire ».
La question est de savoir si ces concessions humiliantes apaiseront suffisamment ses opposants pour permettre au Président de « continuer à vivre », même s’il est incapable d’exercer effectivement son mandat de président, ou s’il ne s’agit que de hors-d’œuvre ? Il semble que l’entrée [En français dans le texte, NdT] pourrait être planifiée comme le discrédit total de la base de Trump – les Républicains ordinaires étant attachés au « Titanic » de Trump – à couler avec son capitaine – comme des « blancs-suprémacistes, des blancs fanatiques et des nazis ».
Le professeur Walter Russell Mead – et il est bien placé pour le savoir – nous dit que « les plus hauts responsables de l’équipe Trump restent engagés, d’une manière ou d’une autre, à défendre l’ordre mondial que les États-Unis élaborent depuis l’ère Truman. Cela inclut [le secrétaire d’État RexTillerson, Mattis, Kelly et McMaster] : Ces hommes partagent un mépris pour la réduction des dépenses militaires et la démission de l’administration Obama… Ils veulent tester les ambitions des rivaux de l’Amérique, tout en restaurant les fondements militaires et économiques de la puissance américaine. »
OK – c’est clair : ils veulent « saisir » l’Amérique comme ordre mondial. Ils essaient cela depuis un certain temps déjà, mais ils n’ont pas encore réussi à s’en emparer… » Avec tous ses attraits et ses richesses, leur proie demeure désespérément insaisissable, et cela semble rendre encore plus fou « leur ego » – si bien que ce qui ne peut pas être « possédé », doit être dépouillé.
Quoi d’autre explique le nouveau plan afghan ? Presque personne, hormis les élites américaines, ne croit qu’il fera autre chose que prolonger une guerre non gagnable ou pire, pousser le Pakistan et l’Inde dans la confrontation. Pourtant, la déprédation croissante de l’Afghanistan doit continuer, au nom du sacro-saint mythe – des « plus hauts fonctionnaires » de Trump – que cette Amérique est toujours victorieuse, si seulement elle le veut suffisamment, et si elle persévère et que la « défaite » ne peut être vue que comme une hérésie.
C’est une histoire familière d’ego gonflé. Mais le sens du pouvoir et le désir de « saisir quelque chose d’inaccessible » est si impérieux que les élites américaines souhaitent à la fois écraser le Trump « exaspérant » et ses sympathisants « déplorables » – pour les enfoncer dans les profondeurs irrémédiables – tout en affaiblissant tout rival extérieur qui pourrait entraver le chemin vers leur « possession » de l’Amérique, en tant qu’ordre mondial.
Un état profond frénétique
Il semble que l’État profond américain soit si frénétique dans ce sens que ses tenants ne peuvent plus voir clair : au risque de gâcher non seulement le « récalcitrant » à l’étranger, mais aussi l’Amérique elle-même. Et la façon dont ils essaient de « l’avoir » peut aussi ruiner l’État profond, un dommage collatéral en somme.
La loi sur les sanctions vis-à-vis de la Russie a peut-être été conçue à la fois pour paralyser le président Trump et pour valider la thèse selon laquelle « Poutine-a-volé-l’élection », mais elle écarte précisément toute chance pour MM. Mattis, McMaster, Kelly et Tillerson de réussir à s’emparer de l’Amérique en tant que proconsuls mondiaux.
La Russie, la Chine et l’Iran, aujourd’hui à nouveau menacés par les sanctions, sont maintenantfermement liés dans une coalition stratégique – et ils sont déterminés à résister.
Incroyablement, comme l’a dit un commentateur : « pendant la montée en puissance des nouvelles sanctions de l’ONU contre la Corée du Nord, l’administration Trump a menacé de sanctionner la Chine si elle ne s’engageait pas à exercer davantage de pression [sur la Corée du Nord]… Trump lui-même a laissé entendre qu’il souhaitait offrir une compensation : ’’si la Chine nous aide, je me sens très différent sur le commerce, très différent sur le commerce’’, [Trump] a-t-il dit aux journalistes.
« Un accord a été conclu, et la résolution 2371 de l’ONU a été adoptée… La Chine a pris sa part de l’accord : elle a contribué à faire adopter la résolution de l’ONU contre la Corée du Nord – et elle l’a immédiatement mise en œuvre, même si cela a causé une perte importante pour les entreprises chinoises qui commercent avec la Corée du Nord. [Mais…]
« Aujourd’hui, Trump est de retour pour sanctionner les entreprises chinoises (et russes) : L’administration Trump a imposé mardi des sanctions à 16 entreprises et personnes, principalement chinoises et russes, pour avoir aidé les programmes nucléaires et de missiles balistiques de la Corée du Nord, et pour avoir aidé le Nord à gagner de l’argent pour soutenir ces programmes…
« Parmi les entreprises sanctionnées figurent six sociétés chinoises, dont trois sociétés charbonnières, deux sociétés basées à Singapour qui vendent du pétrole à la Corée du Nord et trois russes qui travaillent avec elles, une société russe qui vend des métaux nord-coréens et son directeur russe, une société de construction basée en Namibie, une deuxième société basée en Namibie et son directeur nord-coréen, qui fournit des travailleurs nord-coréens pour construire des statues à l’étranger afin de générer des revenus pour le Nord.
« Il s’agit de ‘sanctions secondaires’ qui bloquent les transactions financières et rendent presque impossible pour ces entreprises et ces personnes de travailler à l’international. En outre, la Chine avait déjà interdit toutes les importations de charbon en provenance de Corée du Nord. Elle avait renvoyé des navires nord-coréens transportant du charbon et avait à la place acheté du charbon aux États-Unis. [Et ] maintenant, les entreprises chinoises sont sanctionnées pour le charbon nord-coréen qu’elles n’achètent plus ? En outre, la vente de mazout à la Corée du Nord est explicitement autorisée dans le cadre des nouvelles sanctions de l’ONU… »
L’alliance de ces trois États et de leurs « forces amies » ne croit plus que l’Amérique soit capable d’une diplomatie sérieuse, ni qu’elle jouisse d’une réelle capacité à « saisir » le monde. Au contraire, ils voient l’Europe s’éloigner des États-Unis, le Conseil de coopération du Golfe en plein désarroi, et même Israël désespère de son allié de Washington. Ils restent préoccupés par la Corée du Nord, mais la crainte d’une action militaire préventive des États-Unis contre la Corée du Nord est tempérée par le fait que la Corée du Nord détient effectivement 30 000 soldats américains en otage dans la zone démilitarisée.
L’accent est maintenant mis sur la façon dont ces États pourraient se protéger, si les deux parties auconflit interne des États-Unis réussissent à se spolier mutuellement, et à plonger ainsi le monde dans la tourmente financière (d’où l’activité débordante de conclusion de contrats en devises locales et de swaps de devises).
« Lorsque Steve Bannon a été viré de la Maison-Blanche, la semaine dernière », il a, selon le New Yorker, fait part de « ses frustrations face au projet de loi fiscale à venir, comme l’une des raisons pour lesquelles il croyait que le programme nationaliste de Trump avait été détourné par les soi-disant globalistes, comme Cohn et les autres membres des Big Six. »
Oui, Trump a également été « roulé » dans la sphère économique : le groupe des « Big Six » est composé de quatre membres du Congrès (dont le leader de la majorité sénatoriale, Mitch McConnell, et le président de la Chambre, Paul Ryan), ainsi que du conseiller économique Gary Cohn et du secrétaire au Trésor, Steve Mnuchin, tous deux de Goldman Sachs.
« Ce ne sont pas des populistes, ce ne sont pas des nationalistes, ils n’ont montré aucun intérêt pour son programme zéro [c’est à dire celui de Trump] ». Bannon a déclaré au Weekly Standard : « Sur quel élément du programme de Trump, à part les réductions d’impôt – qui sont en fait une dégressivité du taux marginal – se sont-ils ralliés à la cause de Trump ? Sur aucun. »
Le pouvoir de Cohn
« A l’époque de Bannon, à la Maison-Blanche fragmentée de Trump, Cohn n’était pas seulement à la tête du Conseil économique national, mais aussi le chef du groupe de fonctionnaires que Bannon a ridiculisés sous le nom de ‘New York’ (les histoires de Breitbart appelaient Cohn et ses compagnons du N. E. C. ‘des marécages globalistes’) », note le New Yorker.
Cohn, qui a 56 ans, a été introduit dans l’administration Trump par Jared Kushner, le gendre du Président, qui a été stagiaire chez Cohn à Goldman Sachs. Cohn est un donateur de longue date des candidats du Parti démocrate.
Ainsi, le « travail de reflation » de Trump est « normalisé » par les « Big six » – plus que la politique habituelle de Washington.
Mais pourquoi s’inquiéter si le marché boursier américain atteint de nouveaux sommets chaque jour ? En effet, le « marché » a gravi une « courbe ascendante depuis 101 mois depuis mars 2009, au cours de laquelle le S&P 500 a augmenté de 270% et a rarement baissé de plus de 2-4%, sans que [ses membres] en viennent à croire que rien n’ a d’importance si ce n’est de frapper le bouton d’offre pendant plus de 50 périodes pendant lesquelles le marché boursier a momentanément fléchi. Pratiquement sans exception, chaque creux faible s’accompagnait de signaux d’achat en espèces de la part des banques centrales, ou de ‘pousses vertes’ sélectives [publications] dans les données entrantes. »
Comme l’écrit David Stockman : « Après 101 mois d’achat à la baisse… les algorithmes de lecture de gros titres [des courtiers robots] sont devenus programmés de manière complètement asymétrique. Ils sont incités à ‘acheter’ sur les bonnes nouvelles économiques/politiques (parce que cela implique plus de profits) ; mais aussi à ‘acheter’ sur les mauvaises nouvelles (parce que cela signifie plus d’accommodement [de liquidité] et des mesures de soutien du marché/prix par la Fed et d’autres banques centrales).
« Mais cet arrangement avantageux encourage également les joueurs prudents à réduire au minimum le montant d’assurance de couverture à la baisse qu’ils souscrivent pour protéger leur portefeuille d’options et de produits dérivés souvent lourdement endettés. »
Stockman prévient que les marchés se négocient déjà à des sommets historiques, et que personne ne prête attention à ces valorisations extrêmes ou aux fondamentaux économiques ou politiques – tout simplement parce que ces derniers sont devenus totalement insignifiants, si chaque creux du marché est suivi d’une élévation ininterrompue de toutes les classes d’actifs (grâce aux interventions de la Banque centrale).
« C’est-à-dire que les parieurs et les robots-machines sont devenus tellement attachés à l’espoir que les banques centrales et les branches fiscales de l’État feront ‘tout ce qu’il faut’ pour maintenir la moyenne des actions à la hausse, qu’il est devenu inutile de perdre du temps et des ressources à analyser ‘tout ce qui se passe’ ». Au lieu de cela, écrit Stockman, « tout tourne autour de l’analyse graphique, des flux d’argent, de l’alternance des prochains secteurs en vue, du pouvoir d’achat des ETF (Exchange Trade Funds), du dynamisme des marchés et les arbitrages techniques, comme on le voit avec le risque massif actuel des opérations de change. »
En bref, toute sensibilité au risque (politique, de crédit ou autre) a été éliminée par la détermination des banques centrales à maintenir les prix des actifs à un niveau élevé. Le système financier regarde précisément dans l’autre sens – il a l’intention de faire de l’argent « au plus facile » – et par conséquent, toute crise va maintenant créer un impact disproportionné sur ces valeurs d’actifs à effet de levier, amplifié par les transactions aujourd’hui étant toutes à sens unique.
Un Trump zombie
Voici le point : La zombification politique du Président Trump satisfera-t-elle l’establishment des deux partis ? Sont-ils assez apaisés pour se réunir afin de s’entendre sur un budget et un nouveau plafond de dette « propre » (le « plafond » arrive le 29 septembre) ? Et même s’il est atteint, la soi-disant « normalisation » des politiques de Trump ramènera-t-elle réellement les États-Unis « au nirvana d’autrefois ? »
Ostensiblement, la « normalisation » de la politique économique de Trump devrait être gérable : Ryan et McConnell n’auraient qu’ à aligner un nombre modeste de voix démocrates (avec les fantassins républicains) pour décréter une augmentation du plafond de la dette. Mais cela peut être plus compliqué – beaucoup plus compliqué que cela : si les démocrates coopèrent (et ils voudront donner l’impression qu’ils coopèrent pour éviter d’être blâmés pour toute fermeture fédérale ultérieure), ce ne sera que sur la base d’un « quiproquo onéreux qui exige de Trump qu’il abandonne le mur mexicain ; les réductions d’impôts pour les riches ; sa proposition de fortes réductions des dépenses intérieures, et aussi le renflouement des compagnies d’assurances qui est nécessaire pour prévenir l’augmentation drastique des primes et des annulations de couverture pendant l’année d’assurance (et d’élection) 2018. »
Certes, les démocrates présenteront un visage public de la coopération, mais à cause du tempérament coléreux de Washington aujourd’hui (les deux camps cherchant à se battre), ils exigeront presque certainement leur vengeance du côté de Trump. Le groupe républicain du Freedom Caucus (qui est lié à Bannon) pourrait alors quitter le navire, laissant les Big Six avec un budget « sans plafond » ou « démocratique ».
Trump a tweeté : « J’ai demandé à Mitch M & Paul R de lier la législation sur le plafond de la dette à la populaire loi V. A. (qui vient d’être adoptée) pour une approbation facile. Ils ne l’ont pas fait, alors nous avons maintenant une grosse affaire avec les Démocrates qui renâclent (comme d’habitude) sur l’approbation du plafond de la dette. Ça aurait pu être si facile, et maintenant c’est une pétaudière ! »
Axios rapporte que « les hauts responsables de la Maison-Blanche et du GOP nous disent qu’il y a de plus en plus de chances qu’un gouvernement ferme les portes du marché – et qu’avant même que Trump menace, mardi soir, lors de son rassemblement tapageur à Phoenix, d’utiliser un tel arrêt pour financer le mur frontalier [mexicain]. »
Citant une « source républicaine fiable » qui estime les chances à 75 pour cent, Axios ajoute que « le plus curieux, c’est que presque tous ceux à qui j’en parle sur la Colline, sont d’accord pour dire que c’est le plus probable. »
Les Démocrates semblent déterminés à supprimer toute disposition pour « le mur », et Trump semble vouloir une lutte avec les Démocrates (et Ryan et McConnell) sur cette question. Il a dû accepter d’être « roulé » pour sa politique étrangère et de défense – pourrait-il changer de tactique et s’entêter ? Il est déjà en train de faire porter le blâme sur les dirigeants de l’establishment républicain.
Dans l’affirmative, quel prix faut-il payer pour la poursuite d’un « haut » historique du marché et débordant de complaisance ?
La Russie et la Chine ont raison de penser au « pire des cas » et à la façon de minimiser leur exposition à toute descente cataclysmique américaine dans la tourmente politique – et à la violence possible.
Alastair Crooke est un ancien diplomate britannique, ancien haut responsable des services secrets britanniques et de la diplomatie de l’Union européenne. Il est le fondateur et directeur du Forum des conflits.
Source : Alastair Crooke, Consortium News, 26-08-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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