Aux conservateurs bavarois, le glyphosate reconnaissant ! L'histoire retiendra que c'est l'un des leurs qui a permis que cet herbicide controversé puisse continuer à être utilisé en Europe dans les cinq ans à venir. Son nom : Christian Schmidt, le ministre de l'agriculture allemand. Lundi 27 novembre, à Bruxelles, c'est à son initiative que l'Allemagne a voté pour le renouvellement de la licence du glyphosate, qui devait expirer le 15 décembre.
Un vote décisif : sans l'Allemagne, la majorité qualifiée requise n'aurait pas été atteinte. Un vote inattendu : la dernière fois que les Etats membres de l'Union européenne avaient été consultés sur le sujet, le 9 novembre, l'Allemagne s'était abstenue. Un vote, enfin, qui suscite un vif malaise outre-Rhin, obligeant Angela Merkel à désavouer son ministre.
Trois questions majeures se posent auxquelles manquent encore certaines réponses : pourquoi l'Allemagne a-t-elle changé de position ? Quel est le rôle d'Angela Merkel dans cette affaire ? En quoi cette décision risque-t-elle d'entraver les pourparlers à venir entre les conservateurs et les sociaux-démocrates en vue de la formation d'un gouvernement de " grande coalition " ?
Interrogé, mardi matin, sur la chaîne de télévision publique ARD, M. Schmidt a assuré avoir agi seul et sans concertation avec Mme Merkel.
" J'ai pris cette décision par moi-même et dans le cadre de ma compétence ministérielle ", a-t-il affirmé.
Le propos n'a guère étonné de la part de ce notable de la région de Nuremberg, en Bavière, élu pour la première fois au Bundestag en 1990, spécialiste à l'origine des questions de sécurité et de défense et qui, depuis sa nomination au ministère de l'agriculture, en 2014, s'est scrupuleusement
" aligné sur les revendications du lobby agro-alimentaire ", comme l'a rappelé, mardi, la
Süddeutsche Zeitung. Adversaire déclaré des écologistes, M. Schmidt s'était rendu célèbre, en 2015, en déclinant le slogan " Je suis Charlie " en " Je suis le Salami Greussener ", en référence à une célèbre marque de charcuterie allemande.
Riposte graduéeCohérente avec les positions traditionnellement défendues par la CSU en Bavière, la décision de M. Schmidt aurait été mûrie depuis plusieurs mois. D'après plusieurs médias allemands, c'est le 7 juillet que le ministre de l'agriculture aurait demandé à ses services s'il était juridiquement possible que l'Allemagne vote pour la réautorisation du glyphosate à Bruxelles sans devoir obtenir l'accord préalable de sa collègue chargée de l'environnement, la sociale-démocrate Barbara Hendricks (SPD), qui y était opposée.
Dans leur réponse, datée du 24 août, les services de M. Schmidt lui auraient conseillé de solliciter l'aval de la chancelière. Afin de peser dans la décision de celle-ci, ils rappelaient, dans une note de bas de page, qu'elle-même avait défendu l'utilisation du glyphosate quelques semaines plus tôt, lors du congrès des agriculteurs allemands.
Invitée à réagir, mardi, à la décision prise par son ministre de l'agriculture, Mme Merkel a assuré que celle-ci
" ne correspond - ait -
pas à la position sur laquelle le gouvernement s'était mis d'accord ". Indiquant qu'elle s'était entretenue du sujet avec lui, elle a ajouté qu'
" un tel incident ne - devait -
pas se répéter ". Interrogée sur un éventuel départ de son ministre, elle a en revanche botté en touche. Selon nos informations, la question ne serait pas à l'ordre du jour.
Comment expliquer que, dans cette affaire, Mme Merkel ait préféré la riposte graduée aux représailles massives ? La raison est purement politique. En limogeant M. Schmidt, la présidente de la CDU aurait provoqué une rupture avec ses alliés de la CSU. Or, ces derniers ont très vite fait savoir qu'ils faisaient bloc derrière le ministre de l'agriculture.
" La CSU exprime son soutien à Christian Schmidt ", a déclaré, mardi, Horst Seehofer, le président du parti conservateur bavarois.
Ménager le SPDFace à une CSU qui n'a pas digéré sa politique d'accueil des réfugiés et ne lui pardonne pas d'avoir permis l'adoption du mariage pour tous, Angela Merkel sait qu'elle n'est pas en position de force, aujourd'hui, pour imposer ses vues. Son faible score aux législatives du 24 septembre ainsi que l'échec de ses pourparlers avec les libéraux et les écologistes pour former un nouveau gouvernement lui imposent une certaine prudence. D'où sa relative clémence vis-à-vis de Christian Schmidt.
D'un autre côté, la chancelière se devait de donner des gages aux sociaux-démocrates. Lundi, Barbara Hendricks, la ministre (SPD) de l'environnement, a fait savoir publiquement que, deux heures avant le vote à Bruxelles, elle avait répété à M. Schmidt au téléphone qu'elle était
" opposée au renouvellement de la licence du glyphosate ". Ce qui, selon elle, aurait dû conduire celui-ci à s'abstenir, conformément aux règles en usage au sein du gouvernement allemand, quand deux ministres de deux partis différents sont en désaccord. Afin de ménager le SPD, avec lequel elle souhaite former sa prochaine coalition, Mme Merkel était obligée de désavouer son ministre de l'agriculture.
Cette affaire risque-t-elle, pour autant, de compromettre les pourparlers entre le SPD et la CDU-CSU sur la formation d'une nouvelle " grande coalition " ? Rien n'est moins sûr. Certes, certains dirigeants sociaux-démocrates ont réclamé, mardi, la démission de M. Schmidt. Mais tous ne sont pas allés jusque-là. Martin Schulz, le président du parti, s'est gardé de réagir. Même Mme Hendricks, pourtant très remontée lundi, a adopté, le lendemain, un ton plus conciliant. Les conservateurs doivent donner aux sociaux-démocrates
" des gages de confiance ", a-t-elle déclaré. Mais
" cela ne veut pas dire que j'exige " un départ du ministre de l'agriculture, a-t-elle ajouté.
Comme Mme Merkel, les dirigeants du SPD semblent donc tenus, dans cette affaire, à jouer les équilibristes. S'ils entendent tirer profit de la situation pour s'affirmer face à une chancelière à l'autorité chancelante, ils savent aussi qu'ils ne peuvent aller trop loin, au risque de se retrouver eux aussi confrontés à leurs propres contradictions, tentés d'un côté de s'opposer par principe à leurs adversaires conservateurs, et en même temps soucieux de défendre les intérêts industriels allemands, au nom de la défense de l'emploi.
En cela, l'affaire du glyphosate n'est peut-être pas pour le SPD un casus belli, mais au contraire un moyen pour eux de profiter de l'affaiblissement de l'autorité de Mme Merkel pour aborder en position de force les négociations en vue de la future " grande coalition ". Les dirigeants sociaux-démocrates savent qu'elle ne sera acceptée par les adhérents du parti que si les conservateurs consentent à leur faire de substantielles concessions.
Thomas Wieder
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