Je suis reconnaissant à chacun d'entre vous d'avoir suspendu pour quelques heures la tâche la plus précieuse au monde : la construction de l'avenir que vous osez inventer, selon la belle formule d'un de vos compatriotes. " Cet avenir que vous osez inventer ", vous l'avez reconnue, c'est une formule de Thomas Sankara - ancien président du Burkina Faso, figure emblématique du panafricanisme, assassiné en 1987 - à qui je souhaite solennellement rendre hommage.
Je ne suis pas venu ici vous dire quelle est la politique africaine de la France comme d'aucuns le prétendent. Parce qu'il n'y a plus de politique africaine de la France ! Il y a une politique que nous pouvons conduire, il y a des amis, il y a des gens avec qui on est d'accord, d'autres non. Mais il y a surtout un continent que nous devons regarder en face.
(…) Cela a quelque chose de terriblement arrogant d'expliquer qu'il y aurait une homogénéité complète ; cinquante-quatre pays, avec autant d'histoire, avec plus encore d'ethnies et de langues.
(…) Je parlerais donc ici devant vous de l'Afrique comme d'un continent pluriel, multiple, fort, où se joue une partie de notre avenir commun.
Je vous parlerais avec sincérité mais aussi avec une profonde amitié. Je suis comme vous d'une génération qui n'a jamais connu l'Afrique comme un continent colonisé.
Je suis d'une génération dont l'un des plus beaux souvenirs politiques est la victoire de Nelson Mandela et son combat contre l'apartheid. Je suis d'une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire.
(…) Je suis d'une génération où on ne vient pas dire à l'Afrique ce qu'elle doit faire, quelles sont les règles de l'Etat de droit, mais
- qui - encouragera celles et ceux qui en Afrique veulent prendre leurs responsabilités, veulent faire souffler le vent de la liberté.
(…)
Et je suis d'une génération qui observe, que partout sur le continent africain, la jeunesse africaine réclame avec impatience de participer à la construction du destin de son pays et de la mondialisation. Je suis d'une génération de Français pour qui l'Afrique n'est ni un encombrant passé ni un voisin parmi d'autres. La France entretient avec l'Afrique un lien historique indéfectible, pétri de souffrance, de déchirements, mais aussi si souvent de fraternité et d'entraide.
(…)
Je ne serai pas de ceux qui se voilent la face et ignorent la difficulté de votre quotidien.
(…) Je considère que l'Afrique est tout simplement le continent central, global, incontournable car c'est ici que se télescopent tous les défis contemporains. C'est en Afrique que se jouera une partie du basculement du monde. Si nous échouons à relever ces défis ensemble, alors l'Afrique tombera dans l'obscurité, c'est possible. Elle régressera, elle reculera. Mais avec elle, l'Europe aura les mêmes difficultés, parce que s'ouvrira une longue période de migration, de misère, des routes de la nécessité et de la douleur plus encore qu'aujourd'hui.
(…) Ce grand moment de bascule, c'est celui où en Afrique, nous devons justement relever tous les défis.
(…) Le changement climatique qui ravage le Sahel plus que toute autre région dans le monde.
(…) La démographie, avec 450 millions de jeunes à insérer sur le marché du travail en Afrique d'ici 2050 ; l'urbanisation puisque l'Afrique sera dans quelques années le continent des mégalopoles ; et, enfin, la démocratie, combat que vous avez ici mené et gagné. Vous connaissez ce qu'aucun autre continent n'a connu, ce qu'aucune autre génération n'a connu : le cumul en même temps de tous ces défis.
(…) La solution ne viendra pas de l'extérieur, mais elle ne viendra pas non plus du statu quo ou des vieilles habitudes.
- Rien - ne serait possible si la France n'était pas à la hauteur en termes d'aide publique au développement. Aussi ai-je pris l'engagement, dès le début de mon mandat, qu'elle atteigne à la fin de celui-ci les 0,55 % du revenu national brut.
(…) Mais je ne veux pour autant pas que nous nous arrêtions aux chiffres. L'aide publique au développement, nous savons parfois ce que ça peut dire, ce que cela a pu dire. Un argent qui va trop peu sur le terrain, trop peu justement aux jeunes ou ceux qui en ont le plus besoin.
(…)
C'est cela que je suis venu faire. Proposer d'inventer une amitié pour agir. Et le ciment de l'amitié, c'est de commencer par tout se dire. C'est de ne faire l'impasse sur aucun des périls qui peuvent emporter, de manière irréversible, la stabilité de l'Afrique mais aussi avec elle de l'Europe. C'est la responsabilité de dire que les drames qui se déroulent sous nos yeux en Libye sont un crime contre l'humanité.
L'esclavagisme, " le pire désastre "Ils sont le stade ultime de la tragédie que nous avons laissé prospérer sur ce que j'appelle les routes de la nécessité. Ces routes du Sahel, de la Libye, de la Méditerranée, ultimes car elles nous ramènent au pire désastre de notre histoire partagée : celui de l'esclavagisme, celui de la traite des êtres humains.
(…) Je proposerai demain à Abidjan
(…) une initiative euro-africaine
(…) qui doit commencer par frapper les organisations criminelles, les réseaux de passeurs qui agissent impunément depuis les centres urbains de la Corne de l'Afrique et de l'Afrique de l'Ouest jusqu'aux côtes européennes.
(…) Je proposerai également que l'Afrique et l'Europe viennent en aide aux populations prises au piège en Libye, en apportant un soutien massif à l'évacuation des personnes en danger.
(…) Nous ne pouvons pas laisser des centaines de milliers d'Africains qui n'ont aucune chance d'obtenir le droit d'asile, qui vont passer parfois des années en Libye, prendre tous les risques dans la Méditerranée, courir à ce drame. Il est indispensable d'œuvrer pour leur retour
- dans les pays d'origine - .
(…) Le deuxième impératif, c'est la lutte contre le terrorisme. Je le dis ici parce que nous avons ce destin tragique en commun ; nos deux pays durant ces dernières années ont été frappés, meurtris par le terrorisme qui s'est construit dans la zone irako-syrienne, qui se construit aussi aujourd'hui dans la bande sahélo-saharienne.
La France a été à vos côtés au rendez-vous, et je salue ici la décision courageuse prise par mon prédécesseur François Hollande lorsqu'il a décidé d'intervenir au Mali pour stopper l'avancée des terroristes.
(…) Mais vous le savez, l'ambition des jeunes soldats français de " Barkhane " c'est de permettre à leurs frères d'armes burkinabés, nigériens, maliens, mauritaniens, tchadiens de rejoindre leur poste et de protéger leurs populations. C'est cela ce qu'ils veulent, c'est cela ce que je veux. C'est pour cela que nous avons d'ailleurs lancé ensemble la force G5 Sahel.
(…) Je veux aujourd'hui que nous puissions conduire les premières victoires des forces du G5 Sahel.
(…)
La troisième menace qui peut miner l'Afrique ce sont les conflits politiques. Les plus optimistes diront que l'Afrique n'a jamais connu aussi peu de conflits entre Etats. Les plus réalistes – parmi lesquels je me compte – observeront que l'Afrique n'a jamais connu autant de conflits internes, autant de blocages, autant d'impasses autour de ces constitutions ou de ces élections.
Dans ce domaine, je ne vous donnerai pas de leçon. Le président de la République française n'a pas à expliquer dans un pays africain comment on organise la Constitution, comment on organise des élections ou la vie libre de l'opposition.
(…)Ceux qui pensent que, aujourd'hui, en Afrique, on peut avoir la même politique depuis des décennies, qui voudraient retarder le cours de l'histoire, n'ont pas compris qu'il y avait un ferment essentiel à ce changement : leur propre jeunesse qui est en train de tourner une page.
(…) Le quatrième péril, c'est l'obscurantisme, c'est l'emprise de l'extrémisme religieux sur les esprits. C'est une menace bien plus redoutable parfois que le terrorisme, car elle est massive, diffuse, quotidienne, elle s'immisce dans les écoles, dans les foyers, dans les campus, dans la vie politique.
(…) Ne laissez jamais, au nom de votre religion, -certains faire croire qu'ils pourraient dominer, voire détruire ceux qui ne croient pas ou ne croient pas pareil.
(…) Toutes les religions construites sur un message d'amour et d'espoir, elles ont des différences, elles se sont parfois combattues, mais nous avons un devoir, celui de construire des Etats libres, séparés du religieux et d'assurer l'exercice libre des consciences.
(…) Mais il ne faut pas simplement fermer les écoles qui enseignent la rupture et la régression. Il faut en ouvrir d'autres qui bâtissent le socle commun de connaissances, qui nous rassemblent. C'est pourquoi l'éducation sera la priorité absolue du nouveau partenariat que je vous propose.
C'est le sens de mon engagement aux côtés du président - du Sénégal - Macky Sall pour coparrainer la reconstitution du partenariat mondial pour l'éducation. J'aurai deux priorités : que la France s'engage massivement pour contribuer à la formation des professeurs (…) et la scolarisation obligatoire des jeunes filles.
(…) Je fixerai à nos ambassades l'objectif d'attribuer des bourses d'études en France en priorité à des jeunes filles.
(…)
Et je vous le dis pour vous, jeunes hommes qui êtes là, c'est bon pour vous. La société que nous allons construire ne doit pas être celle d'hier, et encore trop souvent celle d'aujourd'hui, ça ne doit pas être une société où ce sont les hommes qui vont dire ce qui est bon pour les femmes, qui vont dire : l'éducation est bonne pour moi, mais très peu pour elle. Ce n'est plus acceptable.
(…) Cela m'amène à un cinquième défi, que nous ne pouvons pas éluder, c'est celui de la démographie.
(…) Elle doit être un choix, en particulier pour les jeunes filles et pour les femmes. Posez-vous bien la question, partout. Vous avez fait sept, huit, neuf enfants par femme, est-ce qu'à chaque fois, dans chaque famille, vous êtes bien sûr que c'est le choix de cette jeune femme ?
(…) Je veux le choix pour une jeune fille de pouvoir, si elle le souhaite, continuer ses études, de continuer à se former, de trouver un emploi, de créer une entreprise,
(…) non pas parce qu'un président de la République l'aura voulu, parce que vous l'aurez voulu.
(…)
Le défi démographique, c'est bien sûr aussi l'accès de tous à la santé, essentiel combat. La France est et restera le deuxième contributeur du Fonds mondial pour la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
(…) Mais la santé, ce n'est pas seulement l'accès aux médicaments, c'est la mise en place d'un véritable système de santé, comme ont réussi à le faire des pays comme le Rwanda. L'Afrique n'a pas besoin uniquement qu'on lui envoie des médecins ou des infirmiers étrangers, il le faut parfois, mais ces médecins existent, ils sont souvent bien formés en Afrique, je pense au Sénégal, à la Tunisie.
Ce dont l'Afrique a besoin, ce sont de financements pour ouvrir des structures de soins où ces médecins pourront exercer avec les meilleures technologies, c'est de développer la télé-médecine. Je demanderai pour cela aux fonds d'investissements privés français, aux assureurs français, de proposer aux pays africains de devenir les actionnaires privilégiés des champions africains de la santé.
(…) Enfin, la menace qui peut amplifier toutes les autres et les rendre hors de portée, c'est le changement climatique.
(…) Je souhaite que la France par ses entreprises et ses opérateurs soit le partenaire privilégié de l'Afrique dans ce domaine. Je pense aux énergies renouvelables.
(…) Et j'ai la conviction que c'est en Afrique qu'est en train d'être inventée la ville durable de demain. C'est pourquoi je ferai de la ville durable l'enjeu du prochain sommet entre l'Afrique et la France, que j'accueillerai en France, en 2020.
(…) La révolution de la mobilité, c'est d'abord celle des étudiants. La France est bien souvent la première destination, je veux qu'elle le soit non pas par habitude, mais par choix, par désir.
(…) Je souhaite que tous ceux qui sont diplômés en France puissent y revenir aussi souvent qu'ils le souhaitent, grâce à des visas de circulation de plus longue durée, parce qu'étudier en France, c'est une relation privilégiée qui ne doit pas se soumettre à une date couperet. Je vois trop souvent des jeunes Africains qui viennent étudier pour rester en France, ça n'est pas une bonne voie et la France, dans la durée, ne peut pas les accueillir. Là-dessus, je -serai intraitable.
(…) Mais ils ont parfois peur de revenir dans leur pays, parce qu'ils se disent : si je reviens, je ne pourrai plus revenir en France. Et ils ne font pas bénéficier leur pays de ce qu'ils ont appris.
(…) La deuxième révolution que nous pouvons conduire ensemble, c'est celle de l'innovation et avec elle de l'entreprenariat. C'est la seule révolution qui peut apporter les 450 millions d'emplois dont l'Afrique aura besoin d'ici 2050. La France sera au rendez-vous en consacrant plus de 1 milliard d'euros pour soutenir les PME africaines. Au travers de cette initiative, l'Agence française de développement, la Banque publique d'investissement mais aussi, je le souhaite, les fonds d'investissement privés français, seront les premiers partenaires des jeunes entreprises africaines.
" Orphelins d'un imaginaire commun "
(…) Aujourd'hui, nous sommes orphelins d'un imaginaire commun qui nous enferme dans nos conflits, parfois dans nos traumatismes.
(…) Je veux le reconstruire autour de trois remèdes. Le premier, c'est la culture. Dans ce domaine, je ne peux pas accepter qu'une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France. Il y a des explications historiques à cela mais il n'y a pas de justification valable, inconditionnelle, le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens. Le patrimoine africain doit être mis en valeur à Paris mais aussi à Dakar, à Lagos, à Cotonou. Je veux que d'ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique.
(…) Le deuxième ciment de cette aventure commune, c'est le sport. En 2024, la France accueillera le monde entier à Paris et je souhaite que les sportifs français y brillent, je vous rassure, mais je souhaite également que ces Jeux olympiques puissent valoriser l'excellence sportive africaine.
(…) Enfin, le ciment principal entre nous, celui tellement évident qu'on finit par ne plus le mentionner, c'est la langue française
- qui -n'est plus uniquement française.
(…) La francophonie, c'est un corps vivant dont le cœur bat quelque part pas loin d'ici. Et je suis fier que la langue dans laquelle je suis né, à laquelle je dois tout, la langue dans laquelle on m'a fait grandir, par laquelle je peux convaincre, la langue par laquelle quelqu'un comme moi qui vient d'une famille de province peut devenir président de la République française
(…), ce soit aussi votre langue.
(…) Au moment de se retirer je crois qu'il est de coutume ici au Burkina Faso de demander la route. Felwine Sarr
- écrivain et économiste sénégalais - écrit cette belle formule :
" L'Afrique n'a personne à rattraper, elle ne doit plus courir sur les sentiers qu'on lui indique, mais marcher prestement sur le chemin qu'elle se sera choisi. " Alors marchons ensemble sur ce chemin si vous en êtes d'accord et apprenons à nous aimer.
(…) Cette destination est entre vos mains, parce que c'est vous qui connaissez la route.
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