Le " Cinq Etoiles ", un squat d'une quarantaine de jeunes Africains à Clermont-Ferrand, aura assez de bois pour l'hiver. Ils avaient besoin de 1 120 euros, ils en ont collecté 2 000. Sur la plate-forme de financement participatif Leetchi, la générosité est au rendez-vous pour les adolescents étrangers à la rue. De Douai à Nantes en passant par Autrans, leurs SOS trouvent écho. Jusqu'à Souleymane, un Guinéen qui avait -besoin de 80 euros afin que son frère se rende à la capitale, Conakry, et lui envoie l'acte de naissance nécessaire pour convaincre les autorités françaises de son âge.
Cette solidarité envers ces adolescents qui ont fui la misère ou la guerre n'est pas que financière.
Chaque soir, des particuliers limitent leur nombre de nuits dehors en leur offrant un lit. Face à l'ampleur du phénomène, Médecins sans frontières (MSF) a annoncé le 29 novembre l'ouverture d'un centre de jour à Pantin, le 5 décembre,
" pour tous ceux qui passent leurs jours et leurs nuits dans les rues de la capitale… ".A l'heure où il fermera ses locaux, à 17 heures, un réseau d'hébergement citoyen prendra le relais. A Lyon, un groupe se réfugie à l'université depuis le 18 novembre ; à Nantes depuis le 22. A Marseille, une église a servi de refuge du 21 au 24 novembre.
En 2017, 25 000 jeunes, presque tous des garçons, seront arrivés seuls en France, selon les estimations, et se seront présentés comme mineurs non accompagnés (MNA). Le double par rapport aux 13 000 de 2016 et un gouffre comparé aux 4 000 d'il y a sept ans.
Les deux tiers (60 %) des arrivants sont recalés par les départements à la suite d'un entretien qui consiste à évaluer leur maturité, à croiser les dates, leur place dans la fratrie et d'autres éléments sur lesquels ils peuvent s'emmêler s'ils mentent sur leur âge. Ces jeunes (70 % -d'Africains et 20 % d'Afghans) qui n'arrivent pas à convaincre entrent dans la catégorie des " mijeurs ", comme les a rebaptisés Médecins du monde (MDM) : ni mineurs ni majeurs, juste des adolescents dans un entre-deux qui leur interdit la prise en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE), réservée aux mineurs, et les nuitées au 115 ou les repas aux Restos du cœur, pour les adultes uniquement. Véritable casse-tête administratif, leur situation révèle au grand jour un accueil inéquitable sur le territoire, et un système à bout de souffle.
" Gestion indigne "Depuis l'acte I de la décentralisation, la protection de l'enfance est confiée aux départements et la prise en charge des mineurs non accompagnés s'inscrit dans ce cadre. S'il a moins de 18 ans, un étranger sans adulte référent est hébergé dans le département où il est arrivé, qui l'évalue, avant d'être envoyé ailleurs au nom de la solidarité territoriale. En cas de décision stipulant qu'il est majeur, il peut faire un recours devant un juge des enfants,
" mais c'est très long, et entre-temps, il est à la rue ", déplore Agathe Nadimi, " citoyenne solidaire " qui les aide à Paris.
" Parfois, certains tentent leur chance dans un autre département tant l'évaluation est aléatoire ",observe un autre bénévole, car en dépit d'un cadrage national, les règles diffèrent.
Ce qui est commun, en revanche, c'est la préoccupation des collectivités.
" Ce sujet est devenu prioritaire pour tous les départements, résume Pierre Manzoni, le secrétaire général de l'Assemblée des départements de France (ADF).
Au-delà de l'effort financier qui avoisine désormais le milliard d'euros (sur 7,5 milliards de dépenses sociales), nos services sont embolisés. Ce surcroît de travail est devenu insoutenable. " Exsangues après les baisses de dotation, les départements sont unanimes à réclamer au moins de l'argent, à l'instar du président du Nord, Jean-René Lecerf (LR), qui s'est ému d'une situation financièrement
" intenable ". Le vice-président à l'enfance et à la jeunesse de Haute-Garonne, Arnaud Simion (PS), s'estime lui
" dans une gestion indigne " en dépit
" des budgets qui explosent ".
Sentant l'indignation monter, le premier ministre, Edouard Philippe, a promis une réforme pour le printemps 2018 et a commandé pour mi-décembre des propositions à un groupe de travail réunissant les inspections générales de l'administration, des affaires sociales, de la justice et des représentants des départements de France – mais pas d'association. Il a précisé le 24 novembre que l'Etat
" assumera " l'accueil de ces jeunes
" jusqu'à ce que la minorité soit confirmée " et rappelait
que
" 132 millions d'euros " (déjà prévus sous Hollande) ont été ajoutés au budget 2018.
Beaucoup de collectivités voudraient profiter de cette remise à plat pour se débarrasser de la conflictuelle évaluation. Paris, qui en a vu passer 7 000 en 2017, affiche ce souhait.
" Nous avons doublé les postes du dispositif d'évaluation, en avons revu les modalités avec avocats, juges, parquet et associations. En 2016, seules 60 évaluations sur les 397 recours déposés devant un juge ont été cassées, preuve que nous ne faisons pas si mal notre travail ", martèle Dominique Versini, adjointe à la solidarité. " Pourtant, dit-elle,
desdépartements réévaluent nos mineurs quand ils leur sont adressés, parce qu'ils nous jugent trop laxistes, quand les associations nous accusent, elles, de classer “majeurs” des jeunes qui ne le seraient pas. " A Paris, contrairement à beaucoup d'autres départements, tous les jeunes bénéficient en théorie d'un hébergement lorsqu'ils se présentent à l'évaluation. Tous, sauf les " manifestement majeurs ",
groupe sur lequel
associations, Défenseur des droits et citoyens solidaires n'ont pas le même regard que la Croix-Rouge (l'évaluateur pour le département). D'un côté, le Conseil d'Etat a validé la procédure qui veut qu'ils soient entendus brièvement ; de l'autre, les associations et le Défenseur des droits assimilent ces entretiens brefs à des renvois sur simple faciès. Ils dénoncent aussi la suspicion forte qui plane sur les actes de naissance présentés.
" Quand leur véracité n'est pas contestée, on leur dit que ce papier n'est pas le leur ", déplore Jean-Louis Martini, juriste au Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti). Face à ces positions difficilement réconciliables, les départements rappellent par la voix de Pierre Manzoni que
" l'accueil et l'évaluation sont des prérogatives régaliennes "… Comme Edouard Philippe leur a demandé plusieurs scénarios, ils pourraient proposer l'idée de plates-formes régionales gérées par l'Etat, afin d'avancer au moins vers une harmonisation des pratiques.
Pour la prise en charge de ceux qui sont évalués " mineurs ", les départements ne parlent pas à l'unisson. Mi-2017, 18 000 MNA leur étaient confiés et certains estiment que
" l'Etat n'a qu'à s'occuper d'eux, puisqu'il a failli dans sa mission de surveillance des frontières ". M. Manzoni voudrait plutôt conserver ce rôle et faire évoluer les formes de l'accueil.
" Nous avons peut-être une ASE datée et cette crise est l'occasion de la redessiner ", observe-t-il, rappelant que les structures destinées aux enfants ne sont peut-être pas adaptées à des adolescents qui ont traversé seuls l'Afrique et la moitié de l'Europe. La marge de manœuvre reste étroite si l'on veut éviter un système séparant mineurs français et étrangers… même si des départements, comme le Nord, disent ouvertement avoir créé des accueils dédiés à ces jeunes étrangers trois fois moins chers que ceux destinés aux autochtones.
D'abord des enfants à protégerSans présager des décisions à venir, le Conseil d'Etat vient de verser un autre élément au débat en légitimant l'existence des Caomie, le 8 novembre. Ces centres d'accueil et d'orientation pour mineurs étrangers ont été ouverts en urgence par l'Etat lors du démantèlement de la " jungle " de Calais en octobre 2016 et présentent des garanties moindres que les structures départementales. Si les départements prétextent la hausse des flux pour faire entendre leurs vœux, M. Martini, du Gisti, rappelle aussi que la grogne a commencé
" dès l'arrivée des premiers mineurs marocains et algériens isolés, à Marseille, dans les années 1990. Le département avait même demandé à l'Etat de se débrouiller avec, arguant qu'il s'agissait d'étrangers, sujet régalien par excellence ". En 2011, c'est la Seine-Saint-Denis, avec à sa tête Claude Bartolone (PS), qui avait refusé d'en prendre en charge tant qu'il n'y aurait pas de répartition nationale.
La réforme s'annonce ardue. Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, pourrait même dire
" dangereuse ", puisqu'il a déjà prévenu qu'un
" transfert de compétences " vers l'Etat fait craindre que s'installe
" un dispositif qui tendrait à considérer ces jeunes d'abord comme des étrangers, avant d'être des enfants à protéger ". Exactement ce que redoutent M. Martini ou Carine Rolland, de MDM en charge de ce dossier à Nantes. Pour ces militants,
" si l'Etat reprend les évaluations en main, les jeunes qui ne seront pas reconnus mineurs risquent de se retrouver rapidement avec une obligation de quitter le territoire français ". Pendant que se dessinent des politiques plus dissuasives, les mineurs étrangers, eux, quittent leur famille de plus en plus jeunes pour multiplier leurs chances d'entrer dans les canons européens de l'accueil.
Maryline Baumard
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