De nombreux patients qui ont récemment réglé une consultation chez un pédiatre ou un ophtalmologue auront sans doute du mal à le croire. La Caisse nationale d'Assurance-maladie (CNAM) devait pourtant en faire l'annonce très officiellement, mercredi 29 novembre, à l'occasion de la tenue de l'Observatoire des pratiques tarifaires : la moyenne nationale du niveau des dépassements d'honoraires pratiqués par les médecins en secteur 2 (en honoraires libres) est en recul pour la cinquième année d'affilée.
La question des dépassements, souvent sources de renoncements aux soins, est toutefois bien loin d'être réglée. Davantage de médecins s'affranchissant chaque année des tarifs de la " Sécu " (avec 1 625 spécialistes de plus en cinq ans), le montant total des dépassements a atteint en 2016 le niveau record de 2,66 milliards d'euros (dont 2,45 milliards pour les seuls spécialistes), soit près de 300 millions de plus qu'en 2011 (il était alors de 2,35 milliards).
Un taux de dépassement en baisseA l'Assurance-maladie, on a choisi de mesurer le phénomène en calculant le
" taux de dépassement moyen " par médecin. Soit, selon la définition, le ratio entre le total de ses dépassements et le total de ses honoraires remboursables. C'est ce taux qui affiche une baisse de 3,5 points sur cinq ans : il s'inscrit en 2016 à 51,9 %, contre 55,4 % en 2011. Entre 2015 et 2016, la baisse est de 1,4 point. Sans surprise, les professions avec les plus forts taux de dépassement sont les gynécologues (70,8 %), les psychiatres (73,2 %), les pédiatres (62,7 %), les dermatologues (66,5 %) et les chirurgiens (61,9 %). La baisse du taux moyen est toutefois constatée dans l'ensemble des 23 spécialités, allant de
0,5 % pour les chirurgiens à
6,5 % pour les pédiatres ou les psychiatres.
" On peut tourner la question dans tous les sens, le taux de dépassement n'est pas un artifice. Pour l'assuré, c'est la seule réalité qui compte ", assure au
Monde Nicolas Revel, le directeur général de l'Assurance-maladie, en réponse aux critiques sur la pertinence de cet indicateur.
" Personne n'est pénalisé par le fait que l'activité augmente. Ce qui compte pour l'assuré, c'est ce qu'il paie. Et aujourd'hui il y est en moyenne moins de sa poche qu'il y a cinq ans. "
Preuve supplémentaire, selon la CNAM, que la baisse amorcée il y a cinq ans constitue une
" inversion de tendance sans précédent " après trente années d'augmentation des dépassements, depuis le début de la liberté tarifaire pour les médecins du secteur 2 en 1980, la part des actes réalisés sans dépassements chez ces praticiens a augmenté de 5,4 points entre 2011 et 2016, passant de 32,9 % à 37,5 %.
Les effets du contrat d'accès aux soinsPour la Caisse, ces bons chiffres sont principalement dus au contrat d'accès aux soins (CAS). Ce dispositif, mis en place dans la douleur en octobre 2012, quelques mois après l'élection de François Hollande, prévoyait que les médecins signataires s'engagent à brider leurs tarifs en échange de la prise en charge par la Sécu d'une partie de leurs cotisations. Un spécialiste remboursé sur la base de 30 euros s'engage par exemple à ne pas faire un dépassement de plus de 15 euros, soit un taux de 50 %.
La formule a permis aux adhérents de toucher des sommes représentant quasiment un treizième mois. En 2013, les anesthésistes, radiologues et cardiologues ayant souscrit avaient par exemple reçu entre 11 000 et 13 000 euros. Au 14 novembre 2017, 14 781 médecins, soit plus de 42 % des médecins éligibles,
ont adhéré à l'Optam, le dispositif plus souple qui a succédé au CAS en 2016.
" On maintient la profession dans une stabilité tarifaire ", se félicite M. Revel.
Le coût de la mesure Plutôt que de plafonner d'autorité les dépassements, ce que les médecins spécialistes, principaux concernés, auraient jugé inacceptable, les pouvoirs publics ont donc subventionné une limitation des excès tarifaires, sur la base du volontariat. Selon les chiffres de l'Assurance-maladie, ce dispositif a coûté 100 millions d'euros en année pleine (soit tout de même 13 500 euros dépensés par médecin souscripteur) et a permis d'éviter entre 150 et 350 millions d'euros de dépassements d'honoraires.
Jugeant ce mécanisme
" sans -résultats concluants, malgré un coût très élevé ", la Cour des -comptes avait pour sa part calculé en -septembre que 183 millions de -dépense avaient permis d'éviter 18 millions d'euros de dépassement. Soit dix euros de dépensés pour un euro de dépassement évité.
" Un chiffrage qui ne -correspondait à rien ",assure -Nicolas -Revel.
De fortes disparités géographiquesLes niveaux de dépassement varient fortement d'un département à l'autre, faussant l'établissement d'une moyenne nationale représentative. Dans 13 départements, dont Paris et les autres départements d'Ile-de-France, mais aussi dans le Rhône, plus de la moitié des spécialistes sont installés en secteur 2. Les taux de dépassement varient eux aussi très fortement. En moyenne de 11 % pour le Cantal, ils sont de 114 % pour Paris.
Les médecins " dépasseurs " sont loin de tous adhérer au dispositif de modération tarifaire.
" 80 % des médecins d'Ile-de-France n'avaient pas adhéré à l'Optam en juin 2016 ", souligne Vincent Harel, directeur de l'activité santé et prévoyance chez la mutuelle d'entreprise Mercer France. Jugeant que
" sur ces questions-là, on est sur une usine à gaz où plus personne n'y comprend plus rien ", il appelle à mesurer
" non pas le taux de dépassement, mais le reste à charge des assurés ".
Un bilan contesté par des associationsDepuis plusieurs années, le bilan de la CNAM sur la question des dépassements est régulièrement contesté par plusieurs observateurs du monde de la santé.
" Leurs chiffres sont choisis habilement et sont en contradiction avec ce que vivent les usagers ", estime Mathieu Escot, responsable des études à l'UFC-Que choisir. En juin 2016, son association avait calculé que les dépassements moyens avaient progressé de 3,5 % chez les ophtalmologues et de 5 % chez les gynécologues entre 2012 et 2016.
" Ce qui nous inquiète, ce ne sont pas les quelques médecins qui font des dépassements à 400 % mais le fait que chaque année il devient plus compliqué de trouver des médecins à secteur 1 ", ajoute-t-il. Dénonçant un
" effet de bord " du contrat d'accès aux soins, il regrette que celui-ci ait permis à 3 332 médecins de secteur 1, pour beaucoup des généralistes, qui ne pouvaient jusque-là pas pratiquer des dépassements d'honoraires, de pouvoir en faire. Soit 71 millions d'euros en plus en 2016.
François Béguin
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