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Avr
2017
Trump recule sur la détente avec la Russie, par Gilbert Doctorow
ource : Consortium News, le 01/03/2017
Le 1er mars 2017
Le Président Trump a adouci sa rhétorique offensive en s’adressant au Congrès mais, de manière plus significative, il a abandonné ses promesses de campagne à propos d’une détente avec la Russie et d’une présence militaire réduite à l’étranger, rapporte Gilbert Doctorow.
Par Gilbert Doctorow
Le discours de Donald Trump mardi devant les deux chambres du Congrès regroupées a été un exercice raisonnablement bien construit et bien exécuté pour exposer son cas à la nation. Le président a commencé par une description de l’avalanche des ordonnances prises au cours des 30 premiers jours de son mandat, qui répondaient aux promesses faites au cours de sa campagne électorale.
Il a continué en exposant les grandes lignes des lois que son administration allait présenter au Congrès, débutant avec le budget et son abandon du plafonnement des dépenses militaires, qui devraient connaître une augmentation de 10 pour cent des crédits alloués, tandis que les autres dépenses domestiques et gouvernementales sont amputées. Puis, il a fait un exposé de ses plans pour abroger et remplacer l’Obamacare et donné un aperçu de ses propositions pour diminuer les taxes et les réglementations afin de créer plus d’emplois bien payés.
Dans un moment fort, chargé d’émotion, Trump a rendu hommage à la veuve d’un soldat des Forces Spéciales tué dans un raid au Yémen. Il a également employé un ton plus bienveillant – moins offensif – pour appeler les Démocrates et les Républicains à laisser de côté leurs différences et à travailler ensemble. Son discours de 60 minutes a été interrompu 93 fois par des applaudissements, et souvent des ovations debout, venant des Républicains, mais aussi par quelques applaudissements venant des Démocrates.
Trump semblait se délecter de cette démonstration enthousiaste de soutien, même si les discours sur l’État de l’Union provoquent traditionnellement toujours le même type d’adoration superficielle, les membres du parti au pouvoir acclamant vigoureusement et ceux du camp adverse offrant des signes de soutien plus rares. Cependant, les images télévisées contrastaient avec le portait tracé par les principaux médias d’information d’un dirigeant assailli de toutes parts, pris dans un scandale à la Watergate sur des contacts présumés illégaux avec la Russie, une présentation de Trump alimentée trompeusement par le limogeage précipité du conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn, le 13 février, dans une frénésie médiatique à propos de conversations entre Flynn et l’ambassadeur russe pendant la période de transition.
Flynn est devenu la cible d’éléments internes au gouvernement américain et à la presse qui s’opposaient aux projets de détente de Trump avec la Russie. Ces forces anti-détente montrent aujourd’hui leurs muscles, avec l’ambassadeur américain aux Nations Unies, Nikki Haley, dont les propos ressemblent beaucoup à ceux de son prédécesseur va-t’en guerre Samantha Power. Elle insiste, en effet, sur le fait que les États-Unis ne reconnaitront pas l’annexion de la Crimée par les Russes et elle soutient, avec d’autres, cette semaine, une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui condamne le régime d’Assad pour l’utilisation présumée d’armes chimiques, une décision qui a soulevé des protestations de colère et provoqué un véto de la part du représentant russe.
Dans le même temps, le vice-président Mike Pence, le secrétaire d’État Rex Tillerson et le secrétaire à la défense James Mattis ont apporté à l’Europe la promesse que les États-Unis s’engageraient auprès de leurs alliés de l’OTAN, et ils ont blâmé la Russie pour l’échec des accords de Minsk dans la résolution de la crise en Ukraine (même si des obstacles majeurs ont été créés par le gouvernement ukrainien en exigeant que les rebelles de la minorité ethnique russe du Donbass se rendent avant la poursuite de toute discussion). Ces déclarations des États-Unis auraient pu avoir été faites par les diplomates néo-conservateurs et libéraux interventionnistes de plusieurs administrations américaines passées.
Seules les cinq dernières minutes du discours de Trump au Congrès ont traité des relations étrangères. Et ses paroles ont été en harmonie avec ce que ses ministres ont dit. Trump n’a pas répété ses remarques de campagne sur l’obsolescence de l’OTAN. La Russie n’a pas été mentionnée une seule fois dans le discours, tandis que les alliés américains de l’OTAN et du Pacifique ont eu l’assurance que « l’Amérique était prête à diriger. » Cette déclaration a été l’un des rares moments où l’assistance entière s’est levée pour applaudir.
Retour sur ses propos
Ceux qui craignaient que le populisme de Trump et sa rhétorique « L’Amérique d’abord » ne soient synonymes d’isolationnisme ont été rassurés par ces propos : « Notre politique étrangère réclame un engagement direct, ferme et sérieux dans le monde. »
En fait, dans le discours complet, il n’y avait que quelques lignes vers la fin pour redonner le moral à ceux qui espèrent que Trump mène une politique étrangère radicalement nouvelle qui revienne sur le vaste réseau de bases américaines et sur la tendance à intervenir dans les affaires des autres pays.
Bien que cela ne semble pas sans rapport avec les banalités de langage que les présidents George W. Bush et Barack Obama ont pu utiliser, ces mots contiennent peut-être les germes d’une stratégie moins belliciste. Trump a dit : « L’Amérique est désireuse de trouver de nouveaux amis et de former de nouveaux partenariats où les intérêts sont partagés. Nous voulons l’harmonie et la stabilité, pas la guerre ni le conflit. L’Amérique est aujourd’hui amie avec d’anciens ennemis. Nous voulons la paix, là où la paix peut exister. L’Amérique est aujourd’hui amie avec d’anciens ennemis. Certains de nos plus proches alliés ont combattu il y a des dizaines d’années du côté opposé lors de ces terribles, terribles guerres.
En fonction de la force des capacités d’aveuglement de chacun, ces derniers mots peuvent être interprétés comme un indice : attendez un peu, laissez-moi prendre mes marques et affirmer ma popularité au sein du Congrès et auprès d’un large public, et je reviendrai pour concrétiser mes aspirations à une détente.
Mais c’est une réalité incontournable que le limogeage de Flynn et le recul de Trump sur ses intentions en matière de politique étrangère ont été précipitées par la puissante collusion entre les services secrets, en particulier la CIA, et les médias dominants, avec l’intention claire ou bien de neutraliser Trump en imposant un retournement politique sur la détente avec la Russie ou bien de l’éliminer à travers une forme quelconque d’empêchement. Le caractère fallacieux des accusations maccarthystes au sujet de liens avec la Russie, qu’on a utilisées pour salir Trump et son entourage, est bien expliqué dans de récents articles du Professeur Stephen Cohen dans The Nation et par Gareth Porter dans Consortiumnews.com.
Ceux qui ont une tournure d’esprit plus conspirationniste ont longuement parlé de « l’État profond », qui assure la continuité des politiques, quels que soient les résultats des élections américaines, avec un pouvoir souterrain résidant largement dans les services secrets, spécialement à la CIA et au FBI, au Pentagone et au Département d’État.
Pendant la semaine où le secrétaire Tillerson se trouvait en Europe, l’État a été purgé, dit-on, de son « septième étage » où se faisait la politique. Mais le texte qui a été placé devant l’ambassadeur novice Haley pour qu’elle le lise devant le Conseil de sécurité montre bien qu’on n’a pas envoyé tous les vieux décideurs faire leurs cartons. Aucune purge de la CIA ou du Pentagone n’a même débuté.
La capacité des néo-conservateurs et des tenants de la ligne dure du Pentagone à saboter la politique présidentielle a été démontrée en septembre dernier quand une collaboration prometteuse entre le secrétaire d’État John Kerry et le ministre des Affaires étrangères russe Sergeï Lavrov pour un cessez-le-feu en Syrie a été réduite en miettes par une attaque « accidentelle » de bombardiers américains et alliés sur un avant-poste gouvernemental syrien de Deir ez-Zor qui a tué près de cent soldats syriens.
Si ces nostalgiques de la Guerre froide demeurent intouchables au sein des « ministères du pouvoir » américains, ils seront à même de créer des provocations au moment de leur choix pour contrecarrer les projets de politique de détente de Trump. Si l’on réfléchit à l’extrême proximité des forces étatsuniennes et russes en Ukraine, en Syrie, dans les États baltes, sur la mer Baltique, et sur la mer Noire, une provocation de ce type serait un jeu d’enfant.
Etant donné l’état déplorable des relations entre la Russie et l’Occident conduit par les États-Unis, et le peu de confiance entre ces deux camps, tout accident dans ces régions pourrait rapidement dégénérer. Et alors, nous pourrions bien voir le côté de la personnalité de Donald Trump à propos duquel ses opposants démocrates nous ont alertés, son caractère emporté et sa nature de mâle alpha qui pourrait nous entraîner dans un conflit armé dont l’issue est impossible à prévoir mais qui ne serait sûrement pas bonne.
Il y a une autre question troublante pour ceux qui espèrent que Trump réfrène les dépenses militaires pour financer les investissements d’infrastructure du pays qu’il a promis. Trump a mis l’accent sur l’augmentation des dépenses militaires, financées par des coupes dans les budgets domestiques. Il n’y a pas eu un mot pour suggérer qu’il envisageait de restructurer les 600 milliards de dollars de crédits militaires, par exemple en supprimant les bases militaires à l’étranger, qui sont configurées précisément pour soutenir l’hégémonie mondiale et l’impérialisme américain qu’il a dénoncés.
Ce qui est en jeu, ce ne sont pas seulement les dizaines de milliards de dollars d’économie qui seraient faites en éliminant cette structure de bases à l’étranger, mais aussi de supprimer la présence américaine dans des pays où elle ne sert qu’à nourrir l’anti-américanisme et à nous entraîner soit à défendre des régimes honnis, soit à intervenir dans des conflits régionaux où nous n’avons pas d’intérêts vitaux.
Faute de restructurer et réduire ce gargantuesque réseau de bases militaires étrangères, les Américains se condamnent à une succession sans fin de guerres à l’étranger et le projet entier d’investissement en Amérique est voué à l’échec. Ce ne sont pas des problèmes qui permettent des reculs tactiques mais qui doivent être examinés frontalement. Mais qui pourrait expliquer cela à un président entêté dont les oreilles tintent encore des applaudissements serviles du Congrès ?
Gilbert Doctorow est un analyste politique basé à Bruxelles.
Source : Consortium News, le 01/03/2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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