Retrouvons le chemin d’une société ouverte
Comment pouvons-nous vivre ensemble si nous enfermons les nouveaux
Français dans des stéréotypes et si nous acceptons qu’il y ait des gens plus
égaux que d’autres dans la société ? L’historien Benjamin Stora revient pour
Solidarité Laïque sur ce qui a entamé le pacte républicain et menace le cadre
qui en est le garant, la laïcité.
L’offensive
idéologique qui a visé à ringardiser
l’antifascisme, l’antiracisme et
tout ce qui était porteur de solidarité est-elle en train de remporter la
victoire ? Des notions que l’on croyait pour toujours disparues, comme la
hiérarchisation des civilisations et des races, deviennent monnaie courante. A
cela s’ajoute la montée des individualismes et une attaque massive contre la solidarité collective vers laquelle on tendait pourtant
depuis des décennies. Aller vers le bien commun, vers plus de solidarité
effective n’est plus aujourd’hui un objectif partagé. Le culte de l’individu et
du profit immédiat a pris le pas, jusqu’à cette remise en cause du bienfondé de
la notion de service public. A travers ces remises en cause, ce sont les
principes même de la République et donc le socle fondateur de la nation qui se
trouvent affaiblis.
Les attentats qui ont été perpétrés les deux dernières années sur
notre territoire ont accru la confusion sur ce qui fait le cadre de notre pacte
républicain : la laïcité, avec l’égalité comme premier principe. De plus en plus, ouvertement ou non, l’islam, et ceux
qui le pratiquent chez nous sont désignés comme les grands responsables. Comment a-t-on pu en arriver là ? J’avancerais deux explications.
Premièrement, la guerre des mémoires et les stéréotypes qui vont
avec. Souvenons-nous : les immigrés maghrébins des années
70-80, à la différence des Portugais, des Espagnols et des Italiens des années
20 qui, eux, ignoraient tout de notre culture et de notre langue, connaissaient
bien la France du fait de l’histoire coloniale. Mais pour autant nous ne connaissions
pas leurs pays, qu’il s’agisse de leur culture, de leur langue ou de leur
histoire ! Très vite, ils ont identifié qu’il n’y avait pas de réciprocité
dans la connaissance historique. « Nous, nous sommes proches de vous,
mais vous, êtes-vous proches de nous ? Avez-vous fait l’effort de nous
connaître et de connaître notre histoire ? » Il ne faut pas s’étonner
alors qu’une guerre des mémoires se soit progressivement installée, renforcée
voilà vingt ans par la crise économique productrice d’exclusions massives. Le
tout conduisant à des questionnements sur notre identité et à du repli sur soi.
Secundo, l’instrumentalisation de l’islam
par le politique.
On entend dire de plus en plus souvent qu’il faudrait que l’islam revoie ses
fondamentaux pour devenir compatible avec notre République. C’est un peu comme
si on disait qu’il aurait fallu modifier les Evangiles et l’Ancien testament
pour arriver à la laïcité en France. Mais, là encore nous avons la mémoire
courte en traitant de la question religieuse sans la mettre en rapport avec les
sociétés sur le plan historique. Si nous sommes arrivés à la laïcité, c’est
parce qu’il y a eu la Révolution française, la démocratie et qu’on a su
séparer, plus tard, l’église et l’Etat. Ce n’est pas en changeant le corpus
théologique que les sociétés arabo-musulmanes deviendront démocratiques !
C’est au contraire leur démocratisation qui permettra le processus de
laïcisation. C’est bien en changeant les pratiques démocratiques que l’on
transformera les pratiques religieuses et non l’inverse. Est-ce pour autant
qu’il faut laisser le religieux déborder sur l’espace public ? Non bien
évidemment, mais il me semble essentiel dans le débat sur le « vivre
ensemble » de se polariser sur la laïcité, ses principes enrichis par
l’histoire, et non sur le contenu des religions.
Il est temps de retrouver le chemin d’une
société ouverte, allant de l’avant avec confiance et avec l’ensemble de ses
citoyens.Pour cela
donnons-nous les moyens de retisser le lien entre les exclus et la société pour
qu’il n’y ait plus des gens plus égaux que d’autres, et acceptons enfin de
donner une place aux nouveaux Français.
Benjamin Stora, historien
Benjamin Stora est Président du Musée de
l’histoire de l’immigration, Professeur des universités, spécialiste du Maghreb
contemporain, des guerres de décolonisation et de l’immigration maghrébine.
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