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De Stavisky à Fillon : "Le Canard enchaîné", poil à gratter des politiques, en 5 dates
02.02.2017
Le Canard enchaîné, qui a révélé l'affaire Penelope Fillon, a radicalement changé la donne pour la présidentielle de 2017... L'hebdomadaire satirique fondé il y a déjà un siècle a fait basculer plus d'un destin politique. Retour sur 5 scandales financiers éventés par l'opiniâtre palmipède.
Fondé en 1915 et devenu journal d'investigation en 1960, Le Canard enchaîné n'a pas son pareil pour révéler les affaires financières impliquant certaines personnalités politiques. Le dernier a avoir été mis en difficulté par le "palmipède" est le candidat Les Républicains à la présidentielle, François Fillon. D'après le journal, Penelope Fillon, l'épouse de l'ancien Premier ministre, a touché plus de 900 000 euros brut en huit ans au titre d'attachée parlementaire et collaboratrice à la Revue des deux mondes. Mais le couple peine à démontrer la réalité de ces emplois. Une enquête judiciaire est en cours pour savoir si ces derniers ne sont pas fictifs.
Alexandre Stavisky, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Chirac, les Tiberi, les Balkany, Michèle Alliot-Marie... nombre de personnalités politiques ont vu leur destin basculer suite à des révélations du Canard enchaîné. Retour sur cinq affaires, illustrées grâce à des archives sonores de France Culture.
1934 : L'affaire Stavisky
Le 9 janvier 1934, le financier et escroc notoire Alexandre Stavisky est retrouvé mort à Chamonix. Il était recherché par la police pour avoir détourné 25 millions de francs au Crédit municipal en mettant en circulation de faux titres de créance. "Stavisky se suicide d'un coup de revolver qui lui a été tiré à bout portant", titre Le Canard enchaîné dès le lendemain, soulignant les circonstances obscures du décès. Son traitement de l'affaire pèse beaucoup sur l'opinion publique, qui se persuade rapidement que le financier véreux a été tué par des journalistes, juristes, policiers et hommes politiques de second rang, compromis dans la fraude. Une thèse qui fait d'autant plus vite florès, que l'heure est à la morosité économique (c'est la Grande Dépression...) : des émeutes antiparlementaires ont lieu, menées par l'extrême droite. La même année, la découverte du corps d'Albert Prince, retrouvé déchiqueté et attaché à des rails, renforce encore les soupçons. Chef de la section financière du parquet de Paris, il avait enquêté sur les magouilles du "beau Sacha", tel qu'était surnommé Stavisky.
"Stavisky s'est suicidé d'une balle tirée à 3 mètres. Voilà ce que c'est que d'avoir le bras long." Le Canard enchaîné
En 2001, l'émission Concordance des temps revenait sur l'affaire, et sur la question de la responsabilité de la presse. Au micro de Jean-Noël Jeanneney, l'historien américain Paul Jankowski avançait qu'il fallait distinguer "la petite presse de scandale", qui monnayait son silence, et la "grande presse", incorruptible. Extrait :
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Actualité du scandale Stavisky_Concordance des temps, mars 2001
Durée : 4 min 30
1979 : L'affaire des diamants
10 octobre 1979 : suite à la destitution de Jean-Bedel Bokassa, Le Canard enchaînépublie en première page un document qui a tôt fait d'engendrer un scandale d'Etat. Document dans lequel l'empereur autoproclamé de la République de Centrafrique s'adresse au Comptoir National de Diamant :
"Veuillez remettre à Madame Dimitri, secrétaire à la présidence de la République, une plaquette de 30 carats environ destinée à Monsieur Giscard d'Estaing, ministre des finances de la République française."
Plaques fort coûteuses (estimées à un million de francs) que Valéry Giscard d'Estaing, alors président de la République, a reçues en 1973, précise le journal. Et de poser la question : les diamants ont-ils été déclarés en douane ? Car à l'époque, VGE était ministre des finances et ne bénéficiait donc pas de la dispense présidentielle permettant de ne pas déclarer les cadeaux reçus à l'étranger.
En novembre 2004, l'émission Concordance des temps, toujours, se faisait l'écho des controverses engendrées à l'époque par ces révélations. Du fait notamment que Le Canard publiait alors des documents bruts, associés de commentaires extrêmement féroces. Beaucoup ont reproché au journal de "tuer l'idéal républicain" en donnant à voir les sordides coulisses de l'histoire politique, comme le racontait l'historien Laurent Martin au micro de Jean-Noël Jeanneney :
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L'affaire des diamants de Bokassa_Concordance des temps, 26-11-2004
Durée : 5 min
2005 : L'appartement à 14 000 euros d'Hervé Gaymard
Le locataire de Bercy "ne se loge pas vraiment à l'économie (...) Coût des 600 mètres carrés pour le Trésor public : 14 000 euros par mois, soit le salaire que reçoit Hervé Gaymard en tant que ministre". Mercredi 16 février 2005, Le Canard enchaîné épingle le jeune ministre de l’Économie nommé moins de trois mois auparavant. En cause : le "duplex de prestige" qu’il occupe avec sa famille près des Champs-Élysées, entièrement payé par l’État. C’est le début d’un tourbillon médiatique pour l’un des "bébés Chirac". Le gaulliste savoyard à la trajectoire fulgurante se défend en quittant immédiatement l’appartement, et en affirmant qu’il ignorait le montant du loyer.
Dans un Journal de France Inter du 17 février 2005, au lendemain des révélations duCanard, Hervé Gaymard tentait de se justifier en affirmant qu'il n'avait pas procédé lui-même à la recherche de cet appartement, trop submergé par son travail :
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L'affaire Hervé Gaymard, Journal de France Inter, 17-02-2005
Durée : 2 min
Mais l’hebdomadaire enfonce le clou une semaine plus tard dans un second article très informé. On y apprend que l’énarque diplômé de Sciences Po savait à combien s'élevait le loyer de l'appartement, qu’il l’avait lui-même visité pour valider le choix de son épouse, et que des travaux de près de 150 000 euros avaient été réalisés pour remettre le duplex en état et installer un escalier entre les deux étages. Le Canardrévèle également que les Gaymard possèdent un appartement de 235 mètres carrés sur la rive gauche de la Seine, qui serait "prêté bénévolement" à un ami haut fonctionnaire.
Le ministre annonce alors qu'il remboursera "personnellement tous les frais" liés à l'occupation du duplex, travaux compris : 31 800 euros par exemple, selon lui, uniquement pour l'escalier.
Mais d’autres révélations du Monde et de Libération vont sceller le destin de celui qui est devenu le vilain petit canard du gouvernement Raffarin. Le successeur de Nicolas Sarkozy à Bercy démissionne le 25 février, également accusé d’être assujetti à l’ISF.
“Il ne s’est pas rendu compte du souci” a raconté un ancien membre de son cabinet aux Inrocks.
Hervé Gaymard mettra dix ans à se relancer au plus haut niveau : il était en charge, il y a peu, du projet présidentiel d’Alain Juppé.
2010 : Les cigares du Secrétaire d’État
Cette affaire n’est pas la plus emblématique révélée par le célèbre hebdomadaire : on pourrait aussi parler de celle des "faux électeurs" des époux Tibéri (1997). Mais elle illustre le peu de cas que certains hommes politiques font de l’utilisation de l’argent public.
En juin 2010, le "palmipède" révèle que Christian Blanc, Secrétaire d’État chargé du Grand Paris, a puisé 12 000 euros d’argent public dans le budget de son ministère pour s’acheter des cigares.
La somme, dépensée sur une période de 10 mois, est présentée comme dérisoire. Mais qu’un politicien dépense allégrement l’argent du contribuable pour satisfaire un plaisir personnel donne une image consternante du personnel politique. Après un mois de polémique, cette révélation aboutira finalement à la démission de Christian Blanc, le 4 juillet 2010.
Le même jour, fait assez rare, un autre membre du gouvernement démissionne ! Épinglé pour avoir utilisé un jet privé à 116 500 euros pour un déplacement ministériel à la Martinique, le Secrétaire d’État à la Coopération quitte le gouvernement. Alain Joyandet n’est pas victime du Canard Enchaîné, mais d'un tout jeune concurrent à l’époque : Mediapart.
Le 9 juillet 2010, dans son émission Macadam philo, François Noudelmann se demandait quelle valeur attribuer à cette double démission en compagnie de deux invités philosophes, Sandra Laugier et Eric Fiat :
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L'affaire des cigares de Christian Blanc_Macadam philo, 09-07-2010
Durée : 39 min
2011 : Les vacances tunisiennes d'Alliot-Marie
L’affaire est révélée en février 2011 par le Canard. Et elle fait tache. Le journal accuse la ministre d’avoir profité d’un jet privé mis à disposition par un homme d’affaires proche des Ben Ali. Fin 2010, alors que la Tunisie est le premier pays arabe à connaître un soulèvement populaire, la ministre des Affaires étrangères aurait passé des vacances dans le pays et aurait profité de la générosité d’un proche de la famille du président fortement contesté.
Michèle Alliot-Marie se défend et réfute la mise à disposition de l’avion. Elle raconte que sa rencontre avec l’homme d’affaires tunisien était fortuite, et qu’ils allaient au même endroit.
Malheureusement pour elle, Le Canard Enchainé révèle par la suite qu’il n’y a pas eu un, mais au moins deux voyages en jet privé, et que la ministre était accompagnée de son mari, et surtout de ses parents… venus faire des affaires immobilières avec le généreux transporteur.
Suite à ces informations, la cheffe de la diplomatie démissionne de son poste.
Le 13 février 2011, Agnès Chauveau et Martin Quenehen évoquent cette affaire, mais aussi les vacances controversées de l'époque de François Fillon en Égypte, dans Les Retours du dimanche. Un entretien avec Pierre Lascoumes, juriste et sociologue :
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L'affaire des vacances tunisiennes d'Alliot-Marie_Les retours du dimanche, 13-02-2011
Durée : 3 min 30
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