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jeudi 2 février 2017

Le monde à l’envers. L’opposition gauche-droite s’est inversée en France.


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Le monde à l’envers. L’opposition gauche-droite s’est inversée en France.

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Gauche droite
Depuis les années 1980, la base de classe de la gauche a complètement changé et la gauche actuelle est essentiellement devenue le parti de la petite bourgeoisie intellectuelle, juge l’essayiste Jean Bricmont.
On entend souvent dire que l’opposition gauche-droite est dépassée ou n’a plus de sens. Mais le problème est pire : sur de nombreuses questions, l’opposition gauche-droite s’est inversée, la gauche adoptant des positions qui étaient celles de la droite ou de l’extrême-droite dans le passé et une partie de la droite faisant l’inverse.
Commençons par la question de la paix et de la guerre. Depuis que les guerres sont devenues «humanitaires», c’est la gauche, y compris le plus gros de la gauche «radicale», qui les soutient. Lorsqu’un coup d’Etat parfaitement orchestré a lieu en Ukraine, on célèbre la victoire de la démocratie. En Syrie, jusque récemment, le soutien, au moins verbal, aux «rebelles» ne faisait pas débat dans la gauche. Lors des bombardements sur la Libye, Mélenchon soutenait qu’il fallait empêcher le «tyran» Kadhafi de tuer la révolution. On s’aperçut un peu tard que les adversaires dudit tyran, comme le gros des rebelles en Syrie, étaient aussi nos adversaires, c’est-à-dire des islamistes fanatiques.
Mais la gauche classique, au moins dans sa partie radicale, mais parfois aussi dans une certaine social-démocratie, était opposée aux politiques impériales, à l’ingérence et à l’hégémonie américaine, notamment pendant la guerre du Vietnam. Aujourd’hui, le simple fait de défendre le principe de la souveraineté nationale passe pour étant d’extrême droite. Et, de fait, celle-ci défend parfois ce principe.
Toutes les guerres s’accompagnent de propagande de guerre et elle est presque toujours relayée par les médias dominants. Jadis la gauche communiste, mais pas seulement elle, se méfiait de la «presse bourgeoise» et la critiquait (souvent maladroitement, mais c’est une autre question). Aujourd’hui c’est la crédulité aveugle envers la presse dominante qui caractérise la gauche. On nous met en garde contre la «propagande russe» les fake news et le complotisme. Mais les médias qui sont les échos fidèles de la ligne de nos gouvernements sont supposés être inspirés uniquement par leur dévouement à la démocratie dans le monde.
Pendant la guerre froide, ainsi que pendant les guerres coloniales, ce sont des militants de gauche ou d’extrême gauche qui cherchaient et diffusaient des informations «alternatives» au discours belliciste dominant, entre autres sur la torture en Algérie ou sur les bombardements au Vietnam. Pourtant, personne ne prétendait qu’Ho Chi Minh était un parfait démocrate ni que le FLN algérien ne commettait aucun attentat contre des civils.
Mais la propagande de guerre existe quels que soient les défauts ou crimes réels de l’ennemi et les amplifie, les met hors contexte, et passe sous silence les crimes et provocations de «notre» camp. Par conséquent, le combat pour la paix est toujours indissociable du scepticisme par rapport aux allégations des médias sur les crimes de nos ennemis réels ou supposés.
Aujourd’hui, le fait de chercher des informations qui contredisent le discours belliciste, rencontrer des chrétiens en Syrie ou visiter les régions rebelles dans l’est de l’Ukraine par exemple, vous classe immédiatement à l’extrême droite. Lorsque la congressiste américaine Tulsi Gabbard (démocrate de Hawaii) revient de Syrie où elle a rencontré le président Assad et témoigne de l’hostilité de la population aux rebelles, même «modérés», ce sont des journaux classés à gauche comme le Daily Kos et le Daily Beast qui la traitent de fasciste et de suppôt d’Assad.
En France, des autorités universitaires n’hésitent pas à interdire la tenue d’une conférence critique du discours dominant sur la Syrie au nom de la lutte contre l’extrême droite, exactement comme elle l’aurait fait pendant la guerre d’Algérie au nom de la lutte contre l’extrême gauche.
Quand on lit des journaux de gauche comme Libération à propos de la Russie et de Poutine, on croirait lire la presse patriotique pendant la guerre de 14-18 parlant de l’Allemagne et du Kaiser. Les intentions russes sont toutes maléfiques, les Russes sont plus grands que nature, ils contrôlent nos pensées et menacent leurs voisins. Dans le passé, la droite dénonçait les communistes comme étant à la solde du Kremlin et dénonçait comme «idiots utiles» tous ceux qui osaient mettre en question le discours officiel. Aujourd’hui, c’est la gauche qui lance ces accusations contre l’extrême droite, et qui, de plus, diabolise comme étant d’extrême droite le scepticisme par rapport à l’hystérie anti-russe.
Si la «propagande russe» contrôlait réellement nos pensées, comment se fait-il qu’elle soit sans arrêt dénoncée sans être même entendue, sauf de façon marginale ? N’est-ce pas là un exemple typique d’inversion accusatoire ? Si les Russes voulaient réellement envahir la Pologne ou les pays baltes, pourquoi n’envoient-ils pas d’abord leur armée (et pas de simples volontaires) dans l’est de l’Ukraine où ils seraient accueillis en libérateurs ?
Poser ces simples questions de bon sens est pratiquement devenu impossible dans le discours dominant, en particulier à gauche.
Ce renversement de l’opposition gauche-droite s’est opéré, durant les années Mitterrand, avec la prise de pouvoir par les ex-68ards dans les appareils idéologiques : universités, édition, médias. La base de classe de ce qu’on appelle la «gauche» a alors complètement changé : au lieu de s’appuyer sur les salariés, comme le faisait l’ancienne gauche, la gauche actuelle est essentiellement devenue le parti de la petite bourgeoisie intellectuelle, surtout universitaire.
Son discours est presque entièrement une auto-affirmation d’attachement à des  «valeurs», féministes, antiracistes, de défense des droits de l’homme etc. Mais cette auto-affirmation est essentiellement une façon d’affirmer sa propre supériorité morale face aux masses ignorantes et dépourvues de ces valeurs.
Dans le passé, le discours sur les valeurs était tenu essentiellement par les chrétiens. Les valeurs étaient bien différentes sinon opposées (familiales, sexuelles), mais avec la même prétention condescendante, la même mise en avant de sa propre pureté morale face à la dépravité du peuple. Et c’était la gauche qui parlait de structures sociales concrètes et de la nécessité de les changer.
Comme on le voit, le retournement est total : la gauche des «valeurs» est incapable de faire une analyse réellement critique des rapports de force dans le monde. C’est pourquoi, le plus souvent, elle défend, au nom des «valeurs démocratiques», le «système», y compris l’OTAN, la politique d’ingérence et les médias dominants et c’est une certaine extrême droite qui les critique (parfois).
Mais à une époque d’insatisfaction universelle, s’aligner sur le pouvoir en place et laisser à cette extrême droite le monopole de la critique est une position suicidaire, intellectuellement, moralement, et, in fine, politiquement.
Sans esprit critique, il n’y a ni droite ni gauche : il n’y a que soumission et obéissance.
Jean Bricmont
Illustration Chaunu

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