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vendredi 3 février 2017

HISTOIRE et MEMOIRE - La Galerie de l'Histoire - MORA, LE NEGRIER DES HOUILLERES

HISTOIRE et MEMOIRE



Christian LE Moulec a publié dans La Galerie de l'Histoire.
   
Christian LE Moulec
3 février, 14:08

MORA, LE NEGRIER DES HOUILLERES 


A partir des années 50, le patronat français a mis en œuvre l’importation massive de travailleurs maghrébins. Dans ce cadre-là, un ancien militaire qui répond au nom de Félix Mora a parcouru Le sud du Maroc. Ainsi parle cette sorte de sergent- recruteur des Charbonnages de France, tout fier de lui « Tous passent devant moi. Depuis 1956, je parcours la vallée du Souss et j’ai dépassé les 66 000 embauchés ». Ils seront finalement 78 000 à partir pour les houillères du Nord et du Pas-de-Calais. Mora, dont les méthodes ressemblent à celles pratiquées sur un marché aux esclaves, déclare avoir « regardé dans les yeux (sic) au moins un million de candidats marocains ». Ils ont voulu fuir la misère, croyant que cette solution améliorerait les conditions de vie de leurs familles restées au pays. Malgré l’indépendance recouvrée, l’économie de la région était complètement déstabilisée par la colonisation et les notables locaux supplétifs. 
Les candidats passent devant Mora, le torse nu, pour un premier tri. Comme leur travail consistera à extraire du charbon au fond de la mine, ils sont sélectionnés à partir de leur apparence physique. L’âge doit être compris entre 20 et 30 ans et ils doivent être dotés d’une vue satisfaisante. Quelques questions leur sont posées sur leurs activités professionnelles antérieures. Des listes sont établies avec le concours de fonctionnaires marocains, aux fins de souligner le caractère officiel de l’affaire. Beaucoup d’appelés et peu d’élus. Il ne faut pas d’amputation ni de déformation. Et surtout ne pas avoir eu d’ennuis avec la police du cru, pas d’histoires en France, on ne veut que des travailleurs dociles, pardi ! Mora examine les dents, les muscles, la colonne vertébrale. Puis il marque les candidats avec des tampons de couleurs différentes. « Si Mora t’affiche un cachet vert sur la poitrine, cela signifie que tu es accepté ; un cachet rouge signifie que tu es refusé ». 
Le groupe sélectionné se rend par ses propres moyens à Casablanca, pour un examen médical plus approfondi. Et les « chanceux » signeront leur contrat avant de partir pour la France, pour l’enfer. Mais ça, ils ne le savent pas encore. En attendant, c’est le temps de rêves « A Goulimine, Ouarzazate, Tiznit, les enfants s’exclament, commentent, ils savent de quoi ils parlent : moi aussi, j’irai à la mine avec une petite lumière sur la tête ». 
Mais bien plus tard, un poème berbère chantera la désillusion « Il fut un temps où les hommes furent vendus à d’autres. O Mora le négrier, tu les as emmenés au fond de la terre. Mora nous a humiliés et est parti… ». 
L’émigration marocaine réactivée peut paraître curieuse alors que la fermeture des mines était alors déjà envisagée. Mais attention, l’explication réside dans la politique mise en œuvre par les Charbonnages de France. De tout temps, ou presque, gouvernement, patronat et dirigeants des houillères ont toujours eu en travers de la gorge, les « avantages » acquis de haute lutte par les mineurs. Et voilà que l’occasion se présente d’exploiter sans vergogne des travailleurs isolés et sans aucune défense. Les mineurs marocains étaient dans le cadre d’un contrat à durée déterminée. On pouvait donc les menacer de ne pas le renouveler. Aussi, pas question de tomber malade ni de se blesser, et surtout de formuler des exigences. Ils furent logés dans des baraquements des plus sommaires, à l’écart des autres mineurs. Taillables et corvéables, ils menèrent une existence de labeur et de solitude. 
A la fin des années 80, la plupart des mines fermèrent en France. Quel a été alors le destin de ces travailleurs ? Ils ont arraché un plan social aux Charbonnages de France, au terme d’une grève de deux mois. Mais ce plan était mironton dans la durée. Ils n’ont obtenu aucun des avantages attachés au statut de mineur qui prévoit des compensations en fonction de la pénibilité et des risques encourus. Vivant au seuil de la pauvreté, ils étaient en permanence sous la menace de l’expulsion. Sortis des baraques des houillères, beaucoup ont achevé leur vie dans les chambrettes exigües de la Sonacotra… 
Peu d’historiens ont analysé ces transferts de dizaines de milliers de travailleurs du sud marocain au nord de la France et leur exploitation dans des conditions absolument indignes ! Une page peu glorieuse de notre histoire… 
Ci-dessous : 
Mineurs marocains. 
Baraquements des mineurs marocains. 
Mineurs marocains. . 
Ouvrage : La mémoire confisquée, Marie Cegarra.

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