http://www.geo.fr
- Lundi 1 août 2016
France
Première Guerre mondiale : le 1er août 1914, ils croyaient à une victoire rapide…
Contrairement à la légende, la mobilisation d'août 1914 ne fut pas accueillie avec enthousiasme. Mais les conscrits se consolaient en songeant qu’ils seraient de retour avant l’hiver.
Samedi 1er août 1914, entre 16 heures et 17h30, la France apprenait qu’elle entrait en guerre. L’ordre de mobilisation fut rapidement affiché sur les murs des villes, parfois confirmé dans les campagnes par le tambour ou le clairon d’un garde champêtre. Sur tout le territoire, dans les bourgs éloignés qui ne possédaient pas le téléphone, des gendarmes arrivèrent au galop pour annoncer la nouvelle. Bientôt, le tocsin retentit d’un village à l’autre, figeant les paysans occupés à la moisson, prenant tout le monde de court. Témoins de l’étonnement de la population, les instituteurs qui, à la demande du ministre de l’Education publique, prirent des notes sur les événements auxquels ils assistaient dans les villages : "La première impression fut […] une profonde stupéfaction car personne ne croyait la guerre possible", écrit ainsi un enseignant de la commune d’Aignes (Haute-Garonne). Toutes les "fiches instituteurs", comme on appelait alors ces rapports, allaient dans ce même sens. C’est ce qu’explique Jean-Jacques Becker, auteur de nombreux ouvrages sur la Grande Guerre, dont "L’Année 14" récemment réédité (éd. Armand Colin). "La surprise fut particulièrement forte en zone rurale où on lisait moins la presse", explique l’historien qui a épluché les fiches archivées dans huit départements. "Mais ce fut un sentiment partagé partout par des millions de Français. Jusque-là, l’opinion n’était pas inquiète. L’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, le 28 juin, paraissait lointain, on ne voyait pas comment il pourrait déboucher sur un conflit mondial. Le peuple français n’avait pas vu venir cette bataille."
Et ceux qui la pressentaient y étaient généralement opposés. Durant les semaines précédant la déclaration de guerre, se manifesta ainsi, un peu partout en France, un refus de la population de prendre les armes. Des voix s’élevèrent de tous côtés pour refuser le combat. Celle de Jaurès, bien sûr, mais aussi celles des responsables syndicaux qui promettaient de déclencher une révolution en cas de conflit. La CGT, le syndicat ouvrier, et son secrétaire général Léon Jouhaux agitaient la menace d’une grève insurrectionnelle générale en cas de mobilisation. Le 27 juillet encore, des dizaines de milliers de manifestants pacifistes, surtout syndicalistes et socialistes, se massèrent sur les Grands Boulevards parisiens. Et durant les quatre jours qui suivirent eurent lieu quelque 150 manifestations contre la guerre : de la distribution de tracts jusqu’à des fermetures d’entreprises décidées par les ouvriers dans la région industrielle du Vimeu, en Picardie. Le mouvement fut très fédérateur : à Montluçon, ville de l’Allier qui comptait alors 33 000 habitants, plus de 10 000 personnes se rassemblèrent.
La situation, pour la Sûreté générale (ancêtre de la Police nationale), était à ce point préoccupante qu’une liste de 2 500 noms de personnes susceptibles de saboter la mobilisation avait été établie. Ce fichier, répondant au nom de code de "Carnet B", regroupait les antimilitaristes les plus virulents, des chefs syndicaux ou encore des membres de la SFIO (Section française de l’International ouvrière,) qu’il était prévu d’emprisonner dès le déclenchement des hostilités. Et pourtant, cette précaution s’avéra inutile. Les autorités n’eurent pas à se servir du "Carnet B", la mobilisation s’effectuant finalement sans grand encombre ni contestation. L’état-major avait pronostiqué que 13 % des appelés tenteraient de se dérober à l’appel sous les drapeaux. Il fut, là encore, tout étonné de voir ses prévisions contredites : les cas réels d’insoumission et de désertion n’atteignirent que 1,22 % des mobilisables selon Philippe Boulanger, spécialiste des questions de géographie historique, auteur de "La France devant la conscription" (éd. Economica). Plus incroyable encore : près de 3 000 réfractaires, qui avaient refusé d’effectuer leur service militaire en temps de paix, se présentèrent d’eux-mêmes dans les casernes pour s’enrôler. Et de vieux leaders pacifistes tournèrent casaque en un temps record. Symptomatique, à cet égard, est le revirement de Gustave Hervé. Le fondateur du journal "La Guerre sociale" était depuis des années un des plus farouches antimilitaristes et antinationalistes. Il avait même connu la prison pour avoir appelé la classe ouvrière au sabotage en cas de guerre. Or, le 1er août 1914, jour de la mobilisation, Hervé titra en une de son journal : "Ils ont assassiné Jaurès, nous n’assassinerons pas la France !" Et il fustigea dans ses colonnes les défaitistes et les tièdes qui rechigneraient à aller se battre.
C’est là un des faits les plus troublants de cette période : à peine la mobilisation générale était-elle décrétée que tous les slogans "A bas la guerre !" se turent soudainement pour faire place à des cris "A Berlin !". Peut-on cerner les causes de cette surprenante métamorphose ? D’abord, même si les manifestations antimilitaristes furent nombreuses et suivies, les Français n’étaient pas dans leur ensemble des pacifistes convaincus. D’autre part, les autorités rassurèrent la population en expliquant que mobilisation ne signifiait pas forcément guerre. Mais surtout, la majorité des gens passa tout simplement de la stupeur à la résignation.
Attroupement de Parisiens lisant un avis de mobilisation placardé à l'entrée de l'hôtel de Bade, un des établissements de la Croix-Rouge française, au 32 boulevard des Italiens, le 4 août 1914 © BNF
Les paysans abandonnèrent leur moisson et partirent vers leur garnison sans se révolter
La France était un pays encore largement rural. Dans les campagnes, les hommes se mobilisèrent dans le calme et abandonnèrent familles et moissons pour partir au front, sans se révolter. Mais il n’y eut pas de conversion à la guerre : globalement, les conscrits partirent sans enthousiasme. Certes, il y eut des mouvements d’effusion, mais comme les manifestations d’hostilité à la mobilisation, ils furent limités. Certains eurent lieu lors des défilés organisés avant le départ dans les villes de garnison ou dans les gares où se rassemblaient les soldats. Des régiments, musique en tête, partaient acclamés par la foule, les femmes jetaient des fleurs, embrassaient les conscrits, les hommes leur offraient du vin. Mais, souvent, la joie de ces recrues sonnait faux. Un instituteur de Mansle (Charente) se souvient : "Les wagons sont fleuris […] Les soldats plaisantent, s’interpellent et cherchent surtout à s’étourdir. On devine tout ce qu’il y a de factice dans cette gaieté bruyante."
Quels sentiments animaient les combattants ? Pour l’historien Jean-Jacques Becker, ils n’étaient pas motivés par un esprit de revanche, lié à la défaite de 1870 et la perte de l’Alsace-Lorraine. Selon lui, les Français partirent sur le front davantage parcequ’ils avaient le sentiment de subir une agression. "Dès ses premiers mouvements, le 2 août, poursuit- il, l’armée allemande violait la neutralité du Luxembourg, puis celle de la Belgique deux jours plus tard. Dans ces conditions, il était impossible d’éviter le combat, il fallait se défendre. " Ce qui explique peut-être aussi les flambées de violence antiallemande des premières journées d’août. Des commerces dont les noms avaient des consonances germaniques furent pris pour cibles à Paris : la taverne Pschorr, la brasserie Muller, le magasin d’alimentation Appenrodt… Ces débordements ponctuels furent circonscrits aux grandes villes.
Quelles que soient leurs convictions politiques ou religieuses, l’ensemble de ces soldats se sentaient ligués contre l’agresseur allemand. "Union sacrée" : on doit l’expression au président de la République Raymond Poincaré qui, le 4 août, l’utilisa le premier dans un message adressé au Parlement et au Sénat pour demander à tous les partis de se souder autour de la défense de la patrie. La presse s’empara de la formule pour résumer la solidarité des Français de toutes tendances face à l’envahisseur. En ce début de XXe siècle, les motifs de discorde ne manquaient pourtant pas. "Des sujets majeurs divisaient les Français : la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ou encore la "loi des trois ans" instaurant un service militaire durant trois années, remarque l’historien André Loez. Mais chaque composante de la société avait ses propres raisons d’adhérer à la guerre." Les socialistes qui s’étaient mobilisés contre elle y voyaient l’occasion de défendre la République contre les empereurs et les aristocraties d’Allemagne et d’Autriche-Hongrie. Ils appelèrent en conséquence les ouvriers, "soldats de la liberté", à prendre les armes. Le secrétaire général de la CGT, Léon Jouhaut, oubliant la grève générale, fit lui aussi le serment, le 4 août, sur la tombe de Jaurès, de "sonner le glas des ennemis de la démocratie". Les catholiques, quant à eux, déclarèrent que cette Union était la volonté de Dieu pour la paix du pays. En apparence, gauche socialiste et droite nationaliste, catholiques et anticléricaux semblaient donc soudés pour la défense du pays. En réalité, cette Union sacrée n’était qu’une trêve, une parenthèse rendue nécessaire par l’urgence de la situation. Les divisions ne disparurent pas mais s’effacèrent devant une échéance plus importante : faire la guerre et, si possible, la gagner. Cela commençait par le recrutement et l’expédition aux frontières la plus rapide possible des forces disponibles.
2 887 000 d’hommes furent incorporés les deux premières semaines d’août
Mettre en œuvre cette mobilisation générale – la première de l’histoire de France – n’était pas une mince affaire. Suivant un plan mis en place et réactualisé régulièrement depuis des années – on en était alors au plan 17 – les hommes devaient être réunis à la frontière franco-allemande. A l’époque, chaque appelé mobilisable (c’est-à-dire les hommes de 20 à 48 ans) possédait, dans son livret militaire, une feuille de route avec sa date d’appel (indiquée en nombre de jours après la date de mobilisation générale) et un titre de transport gratuit. Ce dernier lui permettrait de rejoindre le dépôt indiqué sur la feuille, où il serait habillé, équipé et armé. Parmi les conseils figurant dans le livret, une liste d’effets à emporter : deux chemises, un caleçon de rechange, deux mouchoirs, une bonne paire de chaussures. Il était aussi recommandé de se faire couper les cheveux et de prendre des vivres pour quelques jours.
2 887 000 hommes furent ainsi incorporés les deux premières semaines d’août. Le transport des hommes, surtout en train, occasionna quelques accidents, mais fut plutôt une réussite technique, compte tenu des milliers de convois qui s’ébranlèrent vers la frontière franco-allemande. A titre d’exemple, il faut imaginer que la seule Compagnie des chemins de fer du Nord mit en marche, du 2 au 5 août, quelque 3 320 trains transportant 870 000 hommes du rang et sous-officiers, 19 000 officiers, 27 7000 chevaux et 70 800 canons, caisses et voitures. Résolus ou résignés, tous ces soldats étaient en tout cas convaincus que la guerre serait facile et rapide. Elle ne durerait que quelques semaines, tout au plus quelques mois. Personne n’imaginait alors que le conflit s’étalerait sur plus de quatre longues années et ferait près de 10 millions de morts.
Article tiré du GEO Histoire n°12 "La Première Guerre mondiale - 1ère partie : La marche vers l'apocalypse, 1870 - août 1914"
>>> Nos offres d'abonnement
- L'abonnement à GEO, c'est plus facile et rapide sur Prismashop
- Abonnez-vous ou téléchargez GEO en version numérique dans notre boutique Prismashop, sur Itunes et sur Google Play.
- L'abonnement à GEO, c'est plus facile et rapide sur Prismashop
- Abonnez-vous ou téléchargez GEO en version numérique dans notre boutique Prismashop, sur Itunes et sur Google Play.
>>> Commander d'anciens numéros de GEO
- En version papier : si vous souhaitez acheter un ancien numéro de GEO, vous pouvez contacter notre service clientèle au 0826 963 964.
- En version numérique : vous pouvez également vous procurer des versions numériques d'anciens numéros de GEO dans notre boutique Prismashop
- En version papier : si vous souhaitez acheter un ancien numéro de GEO, vous pouvez contacter notre service clientèle au 0826 963 964.
- En version numérique : vous pouvez également vous procurer des versions numériques d'anciens numéros de GEO dans notre boutique Prismashop
Thèmes associés
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire