accueil mitigé
LE MONDE | • Mis à jour le | Par Camille Romano et Violaine Morin
Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, lors d'une assemblée générale à Nuit debout, le 28 avril 2016, à Paris. OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR LE MONDE
A la tribune de Nuit debout, place de la République, à Paris, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, attend son tour. Le temps passe. Il est déjà presque 21 h 30, jeudi 28 avril. Après deux heures de prises de parole, le micro est enfin à lui. La foule ricane, l’adhésion n’est pas immédiate. « Je me réjouis de participer à l’assemblée générale », lance-t-il. Certains participants, calmes jusqu’ici, se mettent à crier : « Grève générale ! Grève générale ! »
Tous appellent à organiser l’étape suivante : les cortèges du 1er-Mai, et le rendez-vous du 3 mai, date de l’ouverture du débat sur le projet de loi sur le code du travail à l’Assemblée nationale. « Il faut que l’on soit des milliers à défiler devant l’Assemblée, lance Eric Beynel, porte-parole du syndicat Solidaires. Notre limite, c’est notre capacité à nous diviser en oubliant ce qui fait sens pour nous tous. »Même si la soirée du 28 avril a réuni leaders syndicaux et participants à Nuit debout, cette convergence de quelques heures masque une distance encore grande.
Dans le cortège de la manifestation de l’après-midi, Nuit debout n’a pas « officiellement » défilé avec les syndicats, et l’appel au blocage dont rêve le mouvement ne viendra pas. Philippe Martinez a choisi d’apporter son soutien avec réalisme : il faudra « convaincre les salariés », car « une grève générale ne se mène pas tout seul ». Le syndicat a néanmoins choisi de montrer sa bienveillance envers la Nuit debout. « Comptez sur la CGT pour que la grève soit une réalité », conclut M. Martinez.
L’intervention du secrétaire général de la CGT vient conclure une soirée particulière à Nuit debout, où des représentants de secteurs « en lutte » et des responsables syndicaux nationaux ont été invités à venir s’exprimer, à l’issue de la journée de manifestations contre la « loi travail ». Chaque représentant a cinq minutes pour parler. SUD Commerce, CGT McDo, Info’Com-CGT, Taxis debout, CGT Spectacle, CNT SO, CGT Air France… Les prises de parole se succèdent et dérivent sur les difficultés de chaque secteur, malgré les efforts de chacun pour relier son combat à celui de Nuit debout.
Les participants n’ont pas caché leurs réticences
Difficile d’y entendre le discours d’unité souhaité par les initiateurs du mouvement, même si, comme souvent, la mascotte du jour se révèle au micro. Ce soir, ce sera Gaël, postier de Sud Poste 92. « Nuit debout, vous faites la jonction entre toutes nos luttes. Vous montrez que l’on peut gagner, que l’on va gagner. » L’ovation dure quelques instants. Pourtant, au cours de la soirée, les avis sont partagés au sein de l’assemblée générale. Les longues interventions inspirent autant de soupirs que d’applaudissements. « C’est bien que les syndicats soient venus, mais on attend des annonces », souffle un participant, la mine fermée.
Nombreux sont les intervenants qui saluent l’effort de Nuit debout pour organiser cette « convergence », qui se préparait depuis plusieurs jours. Déjà, le 20 avril à la Bourse du travail, François Ruffin, journaliste fondateur de Fakir et réalisateur de Merci patron !, appelait les « nuit-deboutistes » à unir leurs forces avec les syndicats. Une pétition a été mise en ligne et relayée sur le site de Fakir et sur les différentes plates-formes de Nuit debout.
La proposition d’organiser une soirée a été débattue et votée, sous l’impulsion de la commission « luttes debout ». Mais les participants n’ont pas caché leurs réticences : les syndicats vont-ils récupérer la Nuit debout ? Faudra-t-il abandonner l’espace d’expression que le mouvement a péniblement construit, où chacun est libre de parler, sans chef et sans autorité ? Le 25 avril, la Nuit debout a finalement publié un communiqué exprimant son souhait de voir converger sur la place les « collectifs en lutte ».
La CGT multiplie les gestes symboliques
Tous les syndicats n’ont pas accepté l’invitation. Force ouvrière (FO) dit « ne pas avoir été convié ». Le syndicat reproche au mouvement ses nombreuses revendications, qui dispersent les forces nécessaires pour obtenir le retrait de la loi El Khomri.
« La lutte doit se faire de façon structurée, explique Sylvie, 54 ans, syndiquée FO présente dans le cortège jeudi. Nuit debout, on ne sait pas ce qu’il y a derrière et on s’en méfie un peu. »
Le syndicat Solidaires s’enthousiasmait, jeudi après-midi, à l’idée d’aller rejoindre la Nuit debout : « Pour nous, c’est une prolongation naturelle de notre projet. Solidaires fait déjà la convergence ! »,souligne Angelo, 60 ans, syndiqué chez Sud Solidaires santé sociaux et participant à la Nuit debout. La CGT, encore distante il y a quelques jours, multiplie désormais les gestes symboliques : avant de parler, jeudi soir, Philippe Martinez avait rencontré, plus tôt dans la journée, une délégation de « nuit-deboutistes ». La secrétaire confédérale Catherine Perret se rendra à une table ronde organisée par Nuit debout, le 1er mai.
La convergence souhaitée pourrait aussi être entravée par les violences et affrontements avec la police, dont l’intensité a encore augmenté, jeudi soir, lors de l’évacuation de la place de la République. Son occupation était autorisée jusqu’à minuit, mais un groupe de « nuit-deboutistes » a tenté de passer outre la convention passée avec les forces de l’ordre. Les affrontements font écho à une manifestation mouvementée dans l’après-midi, où des dégradations ont été commises par trois cents casseurs selon la police.
- Camille Romano
Journaliste au Monde
- Violaine Morin
Journaliste au Monde
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