26 février 2016
Communiqués
La Libre Pensée reçoit la Ligue de l’Enseignement à France-Culture
Emission animée par David Gozlan, Secrétaire Général de la Fédération nationale de la Libre Pensée sur France-Culture. Invité : Jean-Michel Ducomte, Président de la Ligue de l’Enseignement et auteur de nombreux ouvrages et notamment : Laïcité, Laïcité(s) ? (Ed. Privat), Anthologie de l’éducation populaire (Ed. Privat) et Jean Macé, militant de l’éducation populaire (Ed. Privat).
David Gozlan : Bonjour Jean-Michel. Nous reviendrons en fin d’émission sur l’actualité de la Ligue de l’Enseignement, mais je voudrais aborder directement avec Jean-Michel l’actualité de la laïcité. Depuis 3 semaines, le microcosme laïque a été touché par des remous, par l’affaire del’Observatoire de la Laïcité. Je vais partir d’un article de Médiapart qui date du jeudi 3 février, et qui explique : "Reçu à Matignon jeudi dernier, le Président de l’Observatoire de la laïcité Jean-Louis Bianco a été confirmé à son poste. Manuel Valls l’avait mis en cause lors d’une rencontre des Amis du CRIF. Finalement, la montagne de colère a accouché d’une souris. Le Président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco, mis en cause par Manuel Valls dix jours plus tôt, a rencontré jeudi 28 janvier le Premier ministre à Matignon"."L’entretien a été très cordial", assure Bianco à Mediapart. "Nous avons échangé sur tous les sujets qui touchent à la laïcité. La polémique est close. » Bianco, de même que son numéro deux, le Secrétaire général Nicolas Cadène, également visé par Valls, restent à leur poste. »
Jean-Michel, on voit bien que sur cette actualité de la laïcité il y a eu un couac. S’agit-il vraiment d’un couac ? Que s’est-il passé ?
Jean-Michel Ducomte : Il me semble que cet épisode est significatif de la nervosité ambiante qui domine les débats autour de la laïcité. Ce qui a été à l’œuvre lors de cet épisode de crise était déjà sous-jacent. Comme si pour certains, être laïque interdisait d’être lucide ou intelligent. Il faut être attentif à l’émergence du discours d’un certain nombre de laïques, réels ou prétendus, sincères ou opportunistes, qui portent la laïcité en bandoulière, en considérant qu’elle est là pour purger l’univers social de ce qui altère l’identité devant laquelle il faudrait que chacun fasse acte de capitulation.
Donc ce débat est un débat ancien qui me semble-t-il se traduit par le fait que pour certains la laïcité est devenue une idéologie. Alors que pour d’autres, et c’est la position à la fois de la Ligue de l’Enseignement et de la Libre Pensée et de la Ligue des Droits de l’Homme, la laïcité c’est à la fois un ordre juridique fondé sur la neutralisation confessionnelle de l’Etat, afin de garantir à chacun le droit de croire ou de ne pas croire et une attitude fondé sur un souci émancipateur. Et là, ceux qui voudraient en faire une idéologie se sont pris un peu les pieds dans le tapis essentiellement en utilisant un terme : celui d’islamophobie. Façon de dire, grosso modo, que les musulmans, globalement considérés, auraient un problème avec la République, donc avec la laïcité.
La résolution de la crise, telle qu’elle résulte de l’entretien entre le Premier ministre - qui s’était permis lui aussi d’utiliser le terme islamophobie dans un contexte que je trouve particulièrement dérangeant – et Jean-Louis Bianco, semble aujourd’hui, au moins pour un temps, avoir remis la laïcité à la place qui est la sienne : un mode d’organisation sociale qui permet précisément à chacun de croire ou de ne pas croire. Quelque chose d’assez banal, mais que certains voudraient utiliser dans une logique de purification de ce que pour eux doit être l’espace social.
DG : Tu as bien redonné le contexte. Il est vrai que nos associations, Ligue de l’Enseignement, Libre Pensée et Ligue des Droits de l’Homme, ont pris position et ont engagé un texte qui appelait à défendre le Président de l’Observatoire de la Laïcité et son rapporteur, sans par ailleurs partager les positions des uns et des autres. Chacune des associations a été, à un moment donné de l’histoire de cet Observatoire de la Laïcité depuis 2 ans, entendue sur diverses questions : le statut d’Alsace-Moselle, la laïcité en entreprise. Cet observatoire, qui travaille, qui donne des rapports annuel, des avis, a toute sa place.
Son apport juridique, pour nous, est incontestable. Ses avis et recommandations donnés, qui s’appuient sur la loi et rien que sur la loi, et c’est pour cela que là aussi la question de la laïcité est importante, sont nécessaires. Cette pétition engagée par nos trois associations a recueillie plus de 10 000 signatures. Peux-tu nous dire pourquoi la Ligue de l’Enseignement s’est engagée sur cette pétition ?
JMD. : Il y a deux raisons complémentaires. D’abord, notre démarche ne constituait pas un acte d’adhésion à la totalité des positions que l’Observatoire a pu prendre. On a dans certains domaines, l’occasion d’avoir des nuances, des réserves à l’égard de certaines de ses prises de position. Mais nous considérons, et c’est la première raison, que l’ Observatoire a cet immense mérite – dans un débat où le droit doit retrouver sa place – de dire le droit et de solliciter des avis de la part d’associations représentatives des attentes et des aspirations de la société civile afin de mieux circonscrire les conditions d’application et d’évolution du corpus juridique laïque.
Deuxième élément qui me parait important : jusqu’à ce jour l’Observatoire de la laïcité - c’est une raison supplémentaire de le défendre – n’a jamais articulé son travail sur une prise de partie concernant ce que devait être la laïcité. Il a, avec une prudence extrême et je pense une intelligence assez remarquable, toujours refusé de considérer que la laïcité dont il assurait la promotion, dont il assurait l’élucidation, était une conviction politique. Ce qui nous a permis aux uns et aux autres, me semble-t-il, d’avoir une interlocution à la fois transparente et claire avec cet observatoire. Nous aurions considéré que c’était une défaite pour la laïcité que de donner raison à ceux qui étaient à l’origine de sa mise en cause.
La crise n’est pas simplement née d’une sorte d’illumination qu’aurait eu le Premier ministre sur ce qu’aurait mal fait l’Observatoire. Ce sont trois des membres de l’Observatoire, deux parlementaires et un membre désigné à raison de ses compétences en matière de laïcité, trois personnes qui dans un geste de mépris absolu à l’égard du rapporteur général de l’Observatoire, ont considéré qu’il était aujourd’hui impossible d’articuler une démarche de critique à l’égard d’une prise de position qui pouvait apparaitre comme critiquable. Ils considéraient qu’il y avait comme une sorte de crime de « lèse-intellectuel », de « lèse-philosophe », de « lèse-Badinter ».
DG : Il y aurait en fait des bien-pensants et des mal-pensants !
JMD : Voilà tout à fait ! Et les mal-pensants devaient se taire à ce moment-là !
DG : Là on le voit bien on est au cœur du problème et de tout ce qui touche à la laïcité. Parler de la laïcité cela implique toujours, comme tu l’as déjà dit, un effort permanent d’explication et un travail constant d’éducation. Tu es revenu sur le fait que parler de laïcité cela crée toujours une nervosité. Régis Debray dit la chose suivante : « Dès qu’on touche aux questions de laïcité, il y a une nervosité générale. Entre la confusion et l’hystérie il suffit d’un mot, d’un titre pour enclencher toute une escalade de réponses plus ou moins furieuses, généralement à contresens. » Comment devons, Jean-Michel Ducomte, parler maintenant de laïcité ? Est-ce qu’il faut toujours s’énerver ? Quelle est la méthode pour la Ligue de l’Enseignement, pour toi pour parler de la laïcité ?
JMD : Je pense que la laïcité, comme beaucoup d’autres notions, doit passer par le filtre de l’Education populaire. On a aujourd’hui à notre disposition à la fois une littérature considérable et surtout, et ça me parait le plus important, des textes, des jurisprudences autour desquels on peut construire une vision sur ce qu’est la laïcité. Il suffit souvent de se référer au texte de la loi de 1905 pour avoir, sinon réponse à tout, du moins, si on retient les principes posés par deux premiers articles de la loi et que l’on se réfère à ce que disent les autres dispositions sur la police des cultes, réponse à peu près à toutes les questions. Je pense qu’il faut s’en tenir là.
Certes, la société française de 2016 n’est pas celle de 1905. Il y avait ALORS une vraie connivence idéologique reposant sur une surdétermination du catholicisme. Aujourd’hui, on a la chance de vivre dans une société diverse, plurielle, complexe. C’est précisément parce que la société a gagné en complexité que la laïcité, dans sa simplicité, dans l’épure qui résulte de l’approche de la loi de 1905, doit et peut être appliquée. Mais n’allons pas compliquer les choses par un discours idéologique qui nécessairement est par nature antilaïque. Revenons aux fondamentaux, revenons aux textes, revenons à la jurisprudence et appliquons concrètement dans le cadre de positions laïques et non pas de postures laïques, ce que nous dit la loi de 1905.
DG : Positions laïques et pas postures laïques. Je pense effectivement que c’est la question du droit qui doit être dite. Quels sont pour toi aujourd’hui les enjeux de la laïcité ? Nous sommes en état d’urgence. Est-ce que la laïcité ne peut pas être mise à mal à travers cela ? Est-ce que cette question de l’état d’urgence et même des libertés publiques ne pose pas là aussi un problème qui dépasse le cadre de la laïcité en tant que telle ?
JMD : Je pense que l’état d’urgence, comme tout état d’exception, doit toujours être manié avec une extrême prudence d’autant qu’aujourd’hui, me semble-t-il, l’état d’urgence traduit plus la volonté de répondre à un sentiment d’insécurité que celle de résoudre des problèmes réels de sécurité. Il s’agit d’apporter une réponse apaisante à l’opinion publique. Or, je pense que traiter ainsi le peuple conduit à l’infantiliser. Je pense que nos concitoyens ont la capacité à la fois de mesurer ce qui est aujourd’hui en danger et mérite un engagement clair de la puissance publique et de déterminer lucidement ce qui relève aussi de leur propre implication dans la gestion des difficultés présentes articulées, pour partie autour de la gestion la différence sociale et de la diversité culturelle.
Ne les infantilisons pas en considérant que c’est par le biais de l’intervention de la puissance publique, dans le cadre d’un « dormez tranquilles, on s’occupe de tous » qu’on résoudra le problème. Je pense que dans une société démocratique il faut en permanence demander aux citoyens de se prendre eux-mêmes en charge quitte à ce que la puissance publique apporte sa contribution à cette prise en charge. Evitons ces symboles insupportables, négateurs de la fraternité républicaine que constituent des mesures comme la déchéance de la nationalité. Evitons de rendre l’exception désirable.
DG : On voit donc bien le positionnement et cela apporte au débat. Quand je disais qu’au contact de Jean-Michel Ducomte on apprenait des choses, c’est que derrière Jean-Michel Ducomte, il y a 150 ans d’histoire. La Ligue de l’Enseignement fête ses 150 ans cette année. Je sais qu’un certain nombre d’ouvrages sont sortis, notamment L’essentiel de la Ligue de l’Enseignement, ouvrage rédigé et dirigé par Pierre Tournemire, dans la collection « Les essentiels » de Milan. Il y a aussi, sorti en février L’utopie citoyenne. Une histoire républicaine de la Ligue de l’Enseignement, écrit par Jean-Michel Djian, Ed. La Découverte. Vous avez donc une actualité extrêmement vivante même 150 ans après !
JMD : Oui, car 150 ans après, les raisons qui ont conduit à créer La Ligue sont toujours pertinentes. Pour nous, évoquer nos 150 ans cela veut dire aussi faire parler de nous et nous utilisons très largement les différents médias mis à notre disposition. Il y a effectivement toute une politique éditoriale qui aujourd’hui est à l’œuvre avec, notamment un film devrait être pour la première fois projeté sur la chaine publique «Public Sénat » le 13 mars 2016, suivi d’une diffusion sur France 5. Il y a, il y aura des émissions de radio et des émissions de télévision consacrée à la Ligue de l’Enseignement.
Nous ne souhaitons pas donner une dimension nostalgique à cette commémoration, considérant que nous avons encore beaucoup à faire dans le présent et beaucoup à dire sur l’avenir souhaitable. Nous souhaitons interroger les motifs qui ont conduit, il y a 150 ans, Jean Macé à appeler à créer la Ligue de l’Enseignement, pour vérifier si ces raisons restent pertinentes. Je pense qu’elles le sont. Il convient encore et toujours de former des citoyens libres et responsables. Il importe, encore aujourd’hui, de permettre à des individus de faire un usage cohérent, transparent, lucide, éduqué, des droits qu’ils ont conquis. La dissidence civique, le développement de votes d’adhésion à ses propositions populistes, la montée de repliements xénophobes et haineux démontrent la nécessité de ne point déserter le chantier.
Donc les 150 ans seront une occasion de reprendre en quelque sorte toutes les raisons qui ont conduit à construire la Ligue, tous les combats que la Ligue a eu l’occasion de conduire au cours de son histoire. Je pense que l’on vérifiera, sans aucune difficulté, qu’aucun de ces combats n’a perdu aujourd’hui de sa pertinence.
DG : Est-ce qu’il y a un temps fort cette année où des citoyens pourront rencontrer la Ligue ?
JMD : Il y aura un temps fort qui sera le congrès de la Ligue de l’Enseignement à la fin du mois de juin à Strasbourg et qui va nous amener à inviter toute une série de partenaires pour que nous débattions ensembles de ce qui nous rapproche et éventuellement de ce qui nous sépare. Il n’est jamais difficile d’aborder des désaccords éventuels dès lors que cela se fait honnêtement.
Ensuite, chacune de nos Fédérations est invitée à organiser des manifestations, à prendre contact avec les associations qui la constituent, à solliciter les centaines de millier de citoyens qui en sont membres, pour tisser construire un nouveau pacte civil, civique et social.
DG : Merci Jean-Michel. L’émission se termine. Je vous recommande ce mois-ci le livre« Gracchus Babeuf, pour le bonheur commun » de Jean-Marc Schiappa, aux Editions Spartacus.
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