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lundi 30 août 2021

HISTOIRE et MEMOIRE....JE ME SOUVIENS LISE DE MON VILLAGE..par Michel Etievent....le 27.08.2021

 

HISTOIRE et MEMOIRE





JE ME SOUVIENS LISE DE MON VILLAGE
Lise et le grand noyer…
C’est un jour de clarté entre deux orages. Le soleil trace les courbes des chemins qui se hissent vers les cimes. Le bleu est immense. Prêt aux rêves ou au passage des hérons. C’est un début d’après midi, quand le village se referme sur lui même et que la brise charrie des odeurs de menthe et de marjolaine. Au long du torrent qui brouille le silence des feuillus, la scierie ne bat plus, les ronces ont effacé les murs que jadis les paysans avaient planté, pierre par pierre, dans le ciel de lit de leur misère. On ne les voit plus les murs aujourd’hui. Le bois avance et mange la mémoire des hommes. Les prés sont cernés par l’oubli. On voit maintenant la trouée de nuages que découpent les chênes du haut village. C’est là que s’installe tous les jours Lise. Elle s’assoit sous le « reposu » des coudraies, le temps de coller sa joue à la pierre, le temps de reprendre des forces pour affronter la raideur des combes.
Lise est vieille maintenant. Plus personne ne sait lui donner d’âge. Elle ne voit plus vraiment les gens. Elle vit ailleurs dans d’anciennes certitudes d’alpages. Elle parle souvent seule, Lise, comme ceux qui ne trouvent plus à qui parler. Des blés ondulants sous les rousseurs de juillet, des épis qui éclaboussaient les lisières.
Elle était jeune lise. C’est loin, ce matin de mai où les Allemands avaient pendu son frère au grand noyer. On dit au village que depuis ce jour-là, elle ne l’a plus quitté. Elle parle à l’arbre, Lise. Je l’ai surprise un matin caressant l’écorce comme s’il s’agissait d’un être aimé. Elle m’a vu. Elle ne s’est pas arrêtée. Sa main lissait les pousses du tronc tandis que ses lèvres confiaient au vent : « N’aie pas peur, Pierre, ils sont partis maintenant. Viens, Pierre, il y a les blés à rentrer…».
Lise reviendra demain sous le grand noyer. Comme tous les jours que couve l’année. Elle y restera jusqu’à ce que la nuit refroidisse les pierres chaudes. Jusqu’à ce que l’arbre parle à son tour. Des choses sans importance. Des histoires que plus personne ne veut écouter. Et que seule la brise sait encore raconter aux feuillages de grands noyers…
MICHEL ETIEVENT

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