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lundi 28 juin 2021

HISTOIRE et MEMOIRE - Michel Etiévent ( Dans l'ouvrage ambroise Croizat ou l'invention sociale)

 

HISTOIRE et MEMOIRE

Il y a pile 75 ans ambroise Croizat revenait en ministre à ses racines ouvrières à Notre dame de briançon en Savoie dans la maison de la cité ouvrière où j'ai eu le bonheur de passer mon enfance et mon adolescence.....
C’est au cours d’un de ces nombreux voyages sur le terrain qu’Ambroise reviendra aux racines. “Il s’était toujours promis de retourner en Savoie, me racontait sa fille Liliane. Il parlait souvent du pays, de son père. Quand un Savoyard venait au ministère, il y avait quelque chose comme de l’affection dans l’air. Il demandait chaque fois des nouvelles de la “cité des Maisonnettes”,” Accompagné par un groupe de patrons et d’une forte délégation CGT, il franchit les grilles de l’usine de Notre-Dame-de-Briançon. Les souvenirs reviennent.Son père devant les fours, le père licencié, les rumeurs de la grève de 1906…
“Quelques jours avant l’arrivée d’Ambroise, raconte Fernand Crey, alors secrétaire du Comité d’Entreprise, le patron nous avait fait briquer le parcours officiel dans l’usine. Ça sentait la peinture fraîche et les bleus neufs. Jamais les lieux n’avaient été aussi nets. Ambroise a surpris tout le monde : il a demandé de sortir du parcours prévu pour voir les fours, là où les hommes grattent le charbon, bouffent le feu et les gaz entre les émanations de brai. Le patron a tiqué, mais il a bien fallu exécuter. Je me souviens qu’il a touché la main des gars et qu’un jeune de seize ans lui a dit la dureté du travail. Ensemble, ils ont parlé des accidents, du bruit infernal des presses et des concasseurs, des salaires pas beaucoup plus gros que la misère. A propos de salaire, le patron a montré à Ambroise une fiche de paie de son père. Elle était de juin 1905. Six cents francs à l’époque. Juste pour les pommes de terre. Ambroise lui a fait remarquer ironiquement qu’aucune ligne n’avait été prévue pour la Sécu… La sécu à l’époque c’était la charité ou les collectes des voisins et des amis. Une histoire de solidarité pour tenter de vivre avec un bras en moins ou les poumons bouffés par la silicose.
“L’après-midi, Ambroise a voulu voir la maison de son enfance. Il y avait un monde fou avec des drapeaux et des fanfares. Beaucoup de vieux aussi, qui ne lâchaient pas la main de leur ministre. Ils venaient juste de savoir ce qu’était une retraite. Il y avait quelque chose dans leurs yeux, quelque chose qui ne se dit pas avec des mots. Ça pétillait, quoi…
“Il s’est assis à la grande table de son ancienne maison. Le locataire ne savait pas comment s’y prendre. Il bafouillait. Ambroise l’a devancé : “Du rouge, rien qu’un fond de rouge, ça ira…” Les gens ont ri. Ils ont parlé aussi, beaucoup. C’était étonnant, 40 ans après, le gamin dépenaillé qui fouillait la décharge de l’usine nous revenait en ministre et nous parlait comme à des amis ou des frères. Fallait s’y faire…
“Dans la grande salle des fêtes, il a reparlé de son père, de la route faite par les camarades pour que la dignité entre enfin dans les usines et les quartiers. “C’est peut-être ce que j’ai vécu ici ou à Ugine qui m’a poussé à prendre le chemin du père, a t-il déclaré dans la salle bondée. Le souvenir de ces vies solidaires, de ces souffrances m’accompagne chaque jour dans mon travail. Nous pouvons changer, nous l’avons montré et nous le montrerons encore. La vie n’est pas une fatalité, c’est à vous d’inventer, C’est ensemble que nous pourrons matérialiser l’espoir que nos vieux portaient en eux.”
“Quand il a quitté le village, il y avait des haies d’enfants au bord des routes. Forcément, il a dû se souvenir de son départ un jour de 1906 avec la mère et le père. Forcément, parce qu’en partant le soir, il a demandé de passer devant la gare. Comment aurais-je pu imaginer que, cinq ans plus tard, en février 1951, j’allais le raccompagner près du Mur des Fédérés…"
Michel Etiévent ( Dans l'ouvrage ambroise Croizat ou l'invention sociale)
en photo retour d'ambroise Croizat à Notre Dame de briançon. 1946
Peut être une image en noir et blanc de 7 personnes et personnes debout

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