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mardi 11 décembre 2018

Trump menace les démocrates - le le 9.11.2018


Trump menace les démocrates
Le président accuse le journaliste de CNN Jim Acosta, au lendemain des élections de mi-mandat. KEVIN LAMARQUE/REUTERS
 Donald Trump a limogé Jeff Sessions, son ministre de la justice, pour ne pas l’avoir protégé de « l’enquête russe »
 Le président américain s’est vivement emporté, le 7 novembre, contre les journalistes
 Il somme les démocrates de renoncer à vouloir contrôler l’exécutif
P. 2, DÉBATS P. 20-21 ET CHRONIQUE P. 22

APRÈS LES ÉLECTIONS DE MI-MANDAT AUX ÉTATS-UNIS
Revanchard, Donald Trump règle ses comptes
Le président américain Donald Trump et Jeff Sessions, alors ministre de la justice, en 2017 à Quantico, en Virginie. JONATHAN ERNST/REUTERS
Le président américain défie les démocrates, la presse et le procureur spécial chargé de l’enquête russe
WASHINGTON - correspondant
La Maison Blanche avait prévu de consacrer le lendemain des élections de mi-mandat, mercredi 7 novembre, à la célébration d’un « jour incroyable », marqué par le gain d’une majorité légèrement renforcée au Sénat. La perte de la Chambre des représentants, un revers pourtant majeur, avait été éclipsée dès la veille au profit de la célébration de cet « immense succès ». Mais une autre annonce a tout bouleversé : celle, brutale, de la démission forcée de l’attorney général, l’équivalent du ministre de la justice, Jeff Sessions.
Le départ de ce dernier n’a surpris personne, compte tenu de la dégradation de ses relations avec un président qui lui reprochait de ne pas le protéger suffisamment de la curiosité du procureur spécial, Robert Mueller. Ce dernier est chargé de l’enquête sur les interférences russes pendant la présidentielle de 2016. Mais la précipitation de Donald Trump a alimenté une nouvelle fois les interrogations sur les motifs de l’exaspération que ces investigations suscitent chez lui, alors qu’il ne cesse de répéter qu’il n’a rien à se reprocher.

Un mot cruel pour chacun

Avant cette annonce, c’est sur un ton initialement posé que le président américain avait ouvert une conférence de presse en fin de matinée. Il avait longuement égrené les succès républicains, qu’il s’est personnellement attribués.
La sérénité affichée a pourtant vite cédé la place à des sentiments moins amènes. Tout d’abord lorsque le locataire de la Maison Blanche a lourdement insisté sur les défaites essuyées par les membres de son parti qui avaient refusé de lui prêter allégeance. Donald Trump a eu un mot cruel pour chacun d’entre eux, notamment pour une élue sortante de l’Utah, Mia Love, la première Afro-Américaine républicaine de la Chambre, alors que la défaite de cette dernière n’était pas encore officialisée. Puis, le président des Etats-Unis, qui conduit toujours ses conférences de presse de manière particulièrement décousue, s’est accroché à de nombreuses reprises avec des journalistes.
Il s’est montré irrité par certaines de leurs questions lorsqu’elles concernaient ses paroles outrancières tenues sur les migrants pendant la campagne, ou quand elles évoquaient le caractère incendiaire de ses propos de tribune, moins de deux semaines après l’envoi de colis piégés à des figures démocrates et, également, aux bureaux new-yorkais de la chaîne CNN, et surtout après le massacre perpétré dans une synagogue de Pittsburgh (Pennsylvanie) le 27 octobre. Son auteur, un membre de l’ultradroite, était obsédé par l’immigration et par le travail d’une association juive en faveur des réfugiés.
Après avoir écarté une première question de Jim Acosta, de CNN, Donald Trump s’est emporté face à l’insistance du journaliste, alors qu’une assistante de la Maison Blanche tentait de saisir le micro mis à sa disposition. « Vous êtes une personne grossière et une personne horrible. Vous ne devriez pas travailler pour CNN », l’a admonesté le président, l’index pointé.
Un journaliste de NBC, Peter Alexander, auquel le président venait de donner la parole, a tenté une médiation. « C’est un reporter assidu qui se bouge comme chacun de nous », a-t-il assuré à propos de son confrère. « Je ne suis pas non plus un grand fan de vous, vous n’êtes pas parmi les meilleurs », a alors rétorqué Donald Trump. L’accréditation de Jim Acosta a été suspendue en début de soirée.
Le président a ensuite qualifié de « raciste » une question d’une journaliste de la chaîne PBS, Yamiche Alcindor, une Afro-Américaine. Cette dernière venait de l’interroger sur le fait qu’il s’était revendiqué comme « nationaliste » pendant la campagne. « Certaines personnes ont estimé que cela allait enhardir les nationalistes blancs », avait-elle noté. « Ce que vous dites est tellement insultant pour moi, c’est une chose vraiment terrible que vous avez dite », a-t-il jugé.
Le président des Etats-Unis s’est montré tout aussi défiant lorsqu’il a été interrogé sur ses futures relations avec les démocrates, désormais majoritaires à la Chambre. Donald Trump a certes envisagé de travailler à des compromis sur des questions telles que le prix des médicaments ou encore la rénovation des infrastructures – un sujet en apparence consensuel, mais qui divise les démocrates et les républicains lorsque se pose la question de son financement. Mais il a assorti cet esprit d’ouverture d’une condition : que les démocrates renoncent au contrôle du pouvoir exécutif, une attribution que leur réserve la Constitution. Dénonçant cette « posture guerrière », le président a estimé qu’« on ne peut pas faire les deux simultanément (…). S’ils font cela, ils ne feront pas le reste… »

« Virer tout le monde »

Donald Trump n’a d’ailleurs pas hésité à se montrer menaçant. « Ils peuvent jouer à ce petit jeu, mais nous sommes meilleurs », a-t-il dit, en laissant entendre que le Sénat, où les républicains sont majoritaires, pourrait à son tour les mettre en difficulté. La probable future présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a immédiatement refusé de renoncer à ses prérogatives. « Nous avons une responsabilité constitutionnelle de contrôle », a-t-elle assuré, avant de rappeler le principe de « l’équilibre des pouvoirs ».
Les démocrates n’ont pu être qu’alertés par la décision du président de précipiter le départ de son ministre de la justice. Au cours de la conférence de presse, Donald Trump avait assuré à propos de l’enquête du procureur spécial avoir le pouvoir de « virer tout le monde maintenant ». « Mais je ne veux pas l’arrêter, parce que politiquement, je n’aime pas l’idée de l’arrêter », a-t-il ajouté.
L’attorney général nommé par intérim, Matthew Whitaker, considéré comme un soutien indéfectible du président, a d’ailleurs pris publiquement position contre l’enquête, sur laquelle il a toute autorité. Et il est désormais tributaire d’un calendrier politique : celui de la campagne de réélection de Donald Trump.

Le ministre de la justice, Jeff Sessions, limogé sans ménagement
Le calvaire de Jeff Sessions a pris fin dès le lendemain des élections de mi-mandat. Mercredi 7 novembre, en début d’après-midi, l’attorney général des Etats-Unis, l’équivalent du ministre de la justice, a annoncé sa démission par un communiqué. Il a précisé qu’il s’y était résigné « à [la] demande » de Donald Trump. Depuis plus d’un an, le président des Etats-Unis ne cessait de stigmatiser cet ancien sénateur de l’Alabama, aussi conservateur que peut l’être un ancien procureur de cet Etat du Deep South.
Jeff Sessions avait pourtant été le premier, au Sénat, à lui avoir apporté son soutien pendant la primaire d’investiture présidentielle de 2016, à une période où Donald Trump révulsait la majorité des élus républicains. Il avait été aussi l’un de ses principaux conseillers sur l’immigration, défenseur d’une ligne particulièrement dure, en rupture avec les positions traditionnelles du Grand Old Party.
Donald Trump ne lui avait jamais pardonné de s’être récusé dans l’enquête sur les interférences russes pendant la présidentielle, confiée au procureur spécial Robert Mueller après le limogeage du directeur du FBI James Comey. Cette décision avait été motivée par le fait que l’attorney général avait omis de rendre publiques des rencontres avec des responsables russes, pendant la même période, au cours d’auditions au Sénat. Le président avait jugé que sa récusation l’avait privé d’un rempart contre ces investigations.

« “Justice” entre guillemets »

Donald Trump ne s’est pas arrêté à ce départ, annoncé une nouvelle fois sur son compte Twitter sans le moindre contact préalable direct avec l’intéressé, selon la presse américaine. Le président a également pris soin de court-circuiter le numéro deux du département de la justice, Rod Rosenstein, pourtant nommé par ses soins, et chargé de la supervision de l’enquête. Cette fonction reviendra en fait à l’attorney général nommé par intérim, Matthew Whitaker. Jusqu’alors directeur de cabinet de Jeff Sessions, ce républicain est considéré comme un soutien indéfectible du président.
Cible régulière du compte Twitter du président, Jeff Sessions a longtemps encaissé les railleries en silence. Le 23 août, après la condamnation par la justice d’un de ses anciens directeurs de campagne, à l’instigation du procureur spécial, Donald Trump avait une nouvelle fois moqué le département de la justice. « Je mets maintenant toujours “justice” entre guillemets », avait assuré le président des Etats-Unis, au cours d’un entretien musclé accordé à la chaîne conservatrice Fox News.
« Les démocrates sont vraiment puissants au sein du ministère de la justice. (…) Jeff Sessions n’a jamais réellement pris le contrôle du ministère et c’est quelque chose d’assez incroyable », avait-il ajouté, reprenant la thèse d’un biais idéologique régulièrement reproché à l’équipe du procureur spécial, nommé lui aussi par sa propre administration. Une fois n’est pas coutume, Jeff Sessions avait décidé de riposter presque immédiatement en faisant savoir que, tant qu’il exercerait ses fonctions, « les actes du ministère de la justice ne ser[aient] pas influencés indûment par des considérations politiques ».
Si ce limogeage était jugé délicat en amont de la campagne des élections de mi-mandat, après des semaines de campagne agressive du Parti républicain contre le procureur spécial, il n’a guère tardé une fois cette échéance passée. Il reste désormais à savoir si l’éviction de Jeff Sessions n’a eu pour but que de solder un différend avec le président, ou si elle sera suivie de mesures ciblant désormais directement Robert Mueller. Au cours d’une conférence de presse tenue juste avant la nouvelle, Donald Trump avait fait savoir très clairement qu’il avait, selon lui, toute latitude dans ce dossier.


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