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mardi 11 décembre 2018

L’Eglise promet une enquête indépendante sur les abus sexuels - le 9.11.2018

L’Eglise promet une enquête indépendante sur les abus sexuels
 Les évêques de France ont annoncé à Lourdes, mercredi 7 novembre, la création d’une « commission indépendante » sur les abus sexuels du clergé
 La commission, composée de magistrats, d’historiens, de sociologues, de spécialistes de l’enfance et du droit canon, rendra son rapport d’ici deux ans
 Les évêques proposent également une série de mesures de reconnaissance des victimes, dont un « geste financier » lorsque les abus sont prescrits
 L’Eglise catholique allemande avait rendu publique le 25 septembre une étude comparable, mettant en cause 1 670 prêtres

Pédophilie : l’Eglise se résout à une enquête
Les évêques de France ont annoncé la création d’une commission indépendante pour faire la lumière sur les abus
Sous la pression, ils ont franchi le pas. Les évêques de France ont annoncé, mercredi 7 novembre à Lourdes (Hautes-Pyrénées), la création prochaine d’une « commission indépendante », qui sera chargée de « faire la lumière sur les abus sexuels sur mineurs dans l’Eglise catholique depuis 1950 ». Les faits anciens comme les faits récents sont donc cette fois pris en compte, et non plus mis de côté avec embarras au motif que leurs auteurs sont bien souvent décédés.
La déclaration lue au cinquième jour de leur assemblée plénière d’automne par le président de la Conférence des évêques de France (CEF), Mgr Georges Pontier, ajoute que la commission aura aussi pour mission de « comprendre les raisons qui ont favorisé la manière dont ont été traitées ces affaires ». Cela vise les évêques, dont certains sont accusés d’avoir couvert des prêtres pédophiles en ne les signalant pas à la justice.
Les prélats ont également fait savoir qu’ils souhaitaient « proposer un geste financier aux personnes victimes ». Cette formule évite soigneusement les termes « indemnisation » ou « réparation », qui ont une dimension juridique et qui sont réclamés par les associations. A leurs yeux, une telle mesure permettrait aux victimes pour lesquelles les faits sont prescrits, ou dont l’agresseur est mort, d’obtenir ainsi le signe que l’institution ecclésiastique a entendu leurs griefs.
Dans leur déclaration, les évêques ont adopté un ton nouveau. Ils insistent sur leur volonté d’associer les victimes à toutes les nouvelles démarches (de prévention, de sensibilisation…) qu’ils comptent entreprendre d’ici au printemps 2019. Ils s’engagent à entreprendre eux-mêmes un « travail de mémoire en recueillant les récits des personnes victimes afin de pouvoir mieux comprendre les raisons qui ont amené à ces actes ».

Satisfaction circonspecte

Dans son rapport qui sera rendu public d’ici dix-huit mois à deux ans, la future commission devra aussi faire des « préconisations » et « évaluer les mesures prises » par la CEF depuis les années 2000.
C’est en 2003 que, à la suite de la condamnation d’un évêque, Mgr Pierre Pican, à de la prison avec sursis pour avoir couvert un prêtre pédophile, le père René Bissey, la CEF avait édité une brochure faisant le point sur les questions d’abus sexuels et faisant obligation aux évêques qui auraient connaissance de plaintes d’en informer le procureur.
La CEF annoncera dans les prochains jours qui sera chargé de présider cette commission. Il reviendra à cette personnalité de nommer les autres membres et de définir « son périmètre ». L’idée serait d’y compter des experts de différents domaines (juristes, historiens, psychologues, sociologues…). Mais les évêques n’ont pas précisé quels seraient les moyens matériels et humains de cette commission, ni le degré de coopération demandé aux diocèses, par exemple en matière d’accès aux archives. L’un des modèles évoqués ces derniers temps au sein de l’épiscopat est la commission historique confiée au début des années 1990 à René Rémond par le cardinal Albert Decourtray pour faire la lumière sur les protections ecclésiastiques dont avait pu bénéficier Paul Touvier, l’ancien chef de la milice lyonnaise, pendant et après l’Occupation.
Les associations de victimes ont accueilli avec une satisfaction circonspecte cette annonce. « C’est une belle promesse. Il y en a eu beaucoup… et beaucoup de faux espoirs », note ainsi François Devaux, le président de La Parole libérée.
« Le passé a démontré qu’il faut rester vigilant et attendre de voir s’ils seront à la hauteur. On aura bien vite ces réponses avec les décisions organisationnelles », ajoute François Devaux, en citant, pour la présidence de cette commission, le nom d’Olivier Savignac, l’une des victimes qui a témoigné samedi devant les évêques.
La décision des prélats n’était pas acquise à l’ouverture de l’assemblée, samedi, tant certains d’entre eux sont convaincus d’avoir, depuis deux ans, pris les mesures nécessaires pour prévenir de nouveaux abus et ont le sentiment d’être injustement montrés du doigt.

« Travail de conscientisation »

« L’Eglise avance trop lentement, c’est vrai, reconnaissait Mgr Luc Crépy, le président de la cellule permanente de lutte contre la pédophilie (CPLP) de la CEF, samedi, à Lourdes. Les évêques avancent à des vitesses différentes. Il faut un travail de conscientisation. » L’appel en faveur de la constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur les abus sexuels dans l’Eglise par Témoignage chrétien, le 29 septembre, a sans doute contribué à la décision de mercredi.
Depuis près de trois ans, l’épiscopat fait face aux révélations, en France, sur des affaires de violences sexuelles sur mineurs, parfois anciennes, impliquant des prêtres.
Le déclencheur avait été l’éclatement de l’affaire Bernard Preynat, en décembre 2015. Ce prêtre lyonnais est accusé d’agressions sexuelles et de viols par d’anciens scouts dont il avait la charge avant 1991. La création par certaines de ses victimes de l’association La Parole libérée a, depuis, encouragé des victimes d’abus parfois très anciens à se manifester et a fait émerger d’autres affaires.
Les événements de l’été à l’étranger ont, eux aussi, eu raison des résistances. La publication de l’enquête d’un grand jury sur des décennies de violences sexuelles contre des enfants et des jeunes par des prêtres de l’Etat américain de Pennsylvanie, les conclusions similaires d’une commission d’experts mandatés par l’épiscopat allemand, la destitution par le pape François d’un cardinal américain, Theodore McCarrick, ancien archevêque de Washington, ont fait craindre à certains que l’institution souffre de dommages irréparables.
C’est pourquoi la CEF avait, pour la première fois, convié des victimes d’abus à témoigner devant les 118 évêques réunis à Lourdes, cet automne. Deux de ces sept personnes, entendues à huis clos, s’étaient exprimées devant la presse, samedi. Elles avaient appelé l’Eglise catholique à aller plus loin.

Une commission inspirée par les exemples européens
L’Eglise catholique allemande a mis en place une initiative similaire
Depuis les années 1990 et la multiplication des grands scandales de pédophilie un peu partout dans le monde, les Eglises des pays concernés ont réagi en ordre dispersé, et presque systématiquement sous la contrainte. Les révélations sur les abus sexuels commis par des prêtres et la façon dont leur hiérarchie a détourné les yeux ont été faites, pour l’essentiel, à l’initiative des victimes ou de la presse. C’est le plus souvent à la demande et sous le contrôle des gouvernements que des commissions d’enquête ont été mises en place.
Les initiatives les plus anciennes reviennent à l’Irlande. En 2009, le rapport Murphy, commandé par le gouvernement irlandais, dépeignait trente ans d’exactions et d’omerta dans le diocèse de Dublin, où les plaintes des familles n’ont pas été prises au sérieux par les évêques successifs, alors qu’au moins 46 prêtres avaient abusé plus de 400 enfants. La même année, le rapport du juge Ryan, fruit de neuf années d’enquêtes, concluait que, sur 35 000 enfants placés des institutions dépendant de l’Eglise, plus de 2 000 avaient subi des abus physiques ou sexuels, notamment de la part de prêtres.
En 2017, en Australie, une commission d’enquête créée quatre ans plus tôt à l’initiative du gouvernement a répertorié 4 444 cas d’abus entre 1980 et 2015 et identifié 1 900 religieux incriminés. Aux Etats-Unis, c’est la justice qui a conduit l’essentiel des recherches, à commencer par l’enquête menée après les révélations du Boston Globe au début des années 2000. Le 14 août 2018, le procureur de Pennsylvanie détaillait les violences commises sur plus de 1 000 enfants et adolescents par au moins 300 prêtres dans six des huit diocèses de cet Etat pendant cinq ou six décennies.
Aux Pays-Bas, c’est l’Eglise elle-même qui a pris les devants. En 2010, à la suite de plusieurs révélations dans la presse de cas d’abus sexuels, la Conférence épiscopale néerlandaise et la Conférence des instituts religieux néerlandais avaient annoncé vouloir une enquête « exhaustive, externe et indépendante ». Dans son rapport final, dévoilé dix-huit mois plus tard, elle estimait que « plusieurs dizaines de milliers de mineurs » avaient été abusés sexuellement au sein de l’Eglise catholique néerlandaise depuis 1945.

« Tournant » en Allemagne

Le cas allemand semble être celui qui se rapproche le plus de l’initiative annoncée mercredi par les évêques français – la création d’une « commission indépendante ». Le 25 septembre, l’Eglise catholique allemande a rendu public un rapport de 350 pages portant sur la période 1946-2014. Pilotée par une équipe d’universitaires, elle avait été commandée en 2013 après une série de révélations sur d’anciennes affaires de pédophilie dans plusieurs établissements catholiques de renom.
Elle avait démontré que, sur cette période, 1 670 membres de l’Eglise catholique avaient agressé sexuellement 3 677 mineurs, en majorité des garçons de moins de 13 ans, ce qui signifie qu’au moins 4,4 % de l’ensemble des religieux ont abusé d’enfants. Une évaluation plancher, reconnaissent les auteurs. Une victime sur six aurait été violée. L’étude met également en évidence l’impunité dont ont bénéficié les agresseurs. Sur les 1 670 religieux mis en cause, seulement 566, soit un tiers environ, ont été poursuivis canoniquement. Parmi eux, à peine une quarantaine ont été exclus de l’Eglise. La justice pénale, elle, n’a été saisie que dans une centaine de cas.
Après la publication de l’étude, l’Eglise a évoqué un « tournant » et fait part de sa « honte ». Plusieurs plaintes ont été déposées auprès des différents procureurs généraux du pays afin que la justice déclenche des enquêtes dans chacun des vingt-sept diocèses allemands. Selon le Spiegel, cinq diocèses étaient visés, fin octobre, par des enquêtes judiciaires.
L’enquête allemande n’a toutefois pas échappé aux critiques des associations de victimes : selon elles, ses auteurs n’ont pas eu accès aux archives, mais seulement aux informations fournies par les diocèses ; l’étude n’entre dans « aucun détail concernant la situation de tel ou tel diocèse ou le rôle de tel ou tel prélat » ; enfin, elle ne concerne « que l’Eglise stricto sensu », laissant donc de côté les institutions éducatives qui lui sont liées. Les mêmes questions se poseront en France quant au périmètre d’action et aux moyens dévolus à la future commission d’enquête.
En Belgique, les conclusions d’une commission d’enquête instaurée par l’Eglise pour entendre les victimes sont attendues en 2019. Ses travaux, débutés en 2009, furent très encadrés, voire entravés, y compris par le ministre de la justice de l’époque, ce qui entraîna la démission de sa présidente, une magistrate. Son successeur, le pédopsychiatre Peter Adriaenssens, a vu sa tâche facilitée par des révélations sur l’un des prélats les plus en vue du pays, Roger Vangheluwe, l’évêque de Bruges. En septembre 2010, M. Adriaenssens avait fait publier l’intégralité des témoignages.

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