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mardi 11 décembre 2018

La complexe équation calédonienne - le 9.11.2018


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La complexe équation calédonienne
ANALYSEservice France
Abien des égards, le résultat de la consultation du 4 novembre sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté a déjoué les pronostics. Certes, le non à l’indépendance l’a largement emporté : 56,7 % contre 43,3 %. Pourtant, au lendemain du scrutin, l’inquiétude est dans le camp des loyalistes. Certains dirigeants non-indépendantistes parlent même d’une « gueule de bois ». Car, à l’encontre de ce que l’ensemble des composantes de ce camp espérait, quelles que soient les divergences qui les opposent, le vote en faveur de l’indépendance n’a pas reculé.
C’est la première leçon de ce scrutin : il reproduit le même rapport de forces entre loyalistes et indépendantistes qu’il y a trente ans, si l’on se réfère au référendum d’autodétermination du 13 septembre 1987 organisé par Jacques Chirac, alors premier ministre, boycotté par le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) : 98,3 % des suffrages exprimés s’étaient alors prononcés pour le maintien au sein de la République, mais avec plus de 40 % d’abstention. Les lignes n’ont pas bougé d’un iota.
Les dirigeants loyalistes, qui tablaient sur un score de 70 % à 80 % en faveur du non à l’indépendance, se trouvent pris à revers. La droite modérée, incarnée par Philippe Gomès, le président de Calédonie ensemble, est désemparée. Son espoir de voir se dégager au sein du camp indépendantiste un courant avec lequel aurait pu se constituer un axe central a été balayé par ce scrutin. Les deux groupes indépendantistes représentés au congrès, l’Union calédonienne-FLNKS (UC-FLNKS) et l’Union nationale pour l’indépendance (UNI), ont fait le choix, pour ce référendum, de mener campagne commune, et il y a fort à parier que le résultat, considéré comme un succès, les incitera à poursuivre dans cette dynamique.
Les deux autres tendances du camp loyaliste, Le Rassemblement-Les Républicains de Pierre Frogier et Les Républicains calédoniens de Sonia Backès, sont aussi dépitées, pour d’autres raisons. Ils escomptaient, au lendemain de la consultation, être en position de force pour imposer leurs conditions. Or il n’en est rien. Dans les négociations qui vont maintenant s’ouvrir sous l’égide du gouvernement français, qui réunira dès le mois de décembre à Paris l’ensemble des forces politiques du territoire, ce sont les indépendantistes qui sont revenus au centre du jeu.
D’où le dépit exprimé par les anti-indépendantistes. « Il y a un sentiment d’amertume, reconnaît Thierry Santa, bras droit de Pierre Frogier et qui présidait le Congrès du territoire jusqu’en juillet. Trente ans d’efforts pour changer les mentalités et, finalement, nous constatons que toutes ces concessions n’ont servi à rien. Les indépendantistes lient toujours la revendication identitaire à l’indépendance. Ça pose forcément question pour l’avenir : est-ce qu’il faut continuer à faire des concessions ? »
La question de l’avenir se pose à présent en termes différents. Les déclarations d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe à l’issue du scrutin indiquent clairement leur volonté de défendre les intérêts stratégiques de la France en Nouvelle-Calédonie et, autant que faire se peut, d’éviter la tenue des deuxième et troisième référendums prévus par l’accord de Nouméa (1998) si le oui à l’indépendance n’est pas majoritaire.

Quelles réserves de voix ?

Or il paraît de plus en plus improbable que l’on puisse faire l’économie de ces nouveaux scrutins. Les indépendantistes, encouragés par leur score, sont déterminés à aller jusqu’au bout de l’application de l’accord. Quitte à jouer un jeu dangereux. Bien sûr, ils ne négligeront pas de faire pression sur le gouvernement pour obtenir de nouveaux engagements, sur les plans politique, économique et social. Mais ils ne renonceront pas pour autant à la perspective de l’indépendance, en espérant pouvoir élargir leur base électorale. Or, avec une participation de plus de 80 %, les indépendantistes comme les non-indépendantistes ont quasiment fait le plein de leurs voix.
Bien sûr, les indépendantistes peuvent estimer disposer de quelques réserves. Le courant radical représenté par le Parti travailliste de Louis Kotra Uregeï et l’Union syndicale des travailleurs kanak et exploités (USTKE), qui avait appelé à l’abstention, a essuyé un sérieux échec au vu du taux de participation. La prochaine fois, il est probable qu’ils changeront d’attitude et appelleront à voter oui. Que va-t-il en être, par ailleurs, des îles Loyauté, quasi exclusivement peuplées de Kanak, mais où la participation n’a été que de 59 %, probablement parce qu’une partie de cette population ne voulait voter ni oui ni non ? Est-ce que ces poches de voix potentielles sont de nature à combler les 18 500 suffrages d’écart de ce premier scrutin ? Pas évident. La déception risque alors d’être plus violente au terme du processus, redoute le camp loyaliste.
D’ici là, une première échéance électorale se profile : les élections provinciales de mai 2019. A l’heure actuelle, les indépendantistes comptent 25 sièges sur 54, la province Nord et les îles Loyauté étant surreprésentées par rapport à la province Sud pour favoriser le rééquilibrage politique. Potentiellement, les résultats du scrutin du 4 novembre pourraient faire basculer deux ou trois sièges en faveur des indépendantistes, ce qui pourrait engendrer une égalité de sièges ou une majorité indépendantiste. D’où la grande peur des loyalistes. Dans tous les cas, une nouvelle période d’incertitude s’ouvre, qui risque de peser fortement sur l’activité économique du territoire.

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