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mardi 11 décembre 2018

Le « service de sécurité » de l’Etat islamique - le 9.11.2018

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Le « service de sécurité » de l’Etat islamique
LE LIVRE
Autant le dire d’emblée, Les Espions de la terreur n’est pas un livre d’espionnage : il y est d’abord et surtout question de terrorisme et de djihadistes. L’idée centrale n’en est pas moins originale : tenter de reconstituer, à partir des rares sources ouvertes disponibles, le fonctionnement de « l’Amniyat », ce service de l’organisation Etat islamique (EI) qui, depuis la Syrie, a planifié, ces dernières années, une grande partie des attentats commis en Europe, et particulièrement en France.
L’Amniyat, ou l’AMNI, a toujours été, par nature, l’une des structures les plus opaques et les plus redoutées de l’organigramme de l’EI. Aujourd’hui, l’effondrement du « califat » a eu raison de son existence. Mais, lors de sa pleine période opérationnelle, notamment à partir de son centre névralgique – une maison sans âme de Tall Rifaat, au nord d’Alep –, l’Amniyat était chargée des missions parmi les plus sensibles de l’organisation terroriste : la détention et l’exécution des otages, l’application des sentences issues de la charia, le repérage des tentatives d’infiltration et, surtout, la planification des attaques à l’étranger.
Le livre de Mathieu Suc, journaliste à Mediapart, se penche sur une période révolue, celle de l’apogée de l’EI dans la zone irako-syrienne. Un temps où le « proto-Etat » que l’organisation était devenue lui permettait d’avoir son propre service de sécurité. Avec ses propres hommes spécialisés dans les techniques de surveillance, le contrôle aux frontières ou l’extraction de données informatiques. Et la particularité de compter dans ses rangs nombre de figures francophones du djihad, qui ont ensuite fait parler d’elles.
Comment raconter une structure qui, par essence, se veut secrète, quand l’essentiel des informations à son sujet est réservé à la documentation classifiée des services de renseignement ? L’auteur a contourné la difficulté par une méthode classique, impressionniste, mais non moins efficace : la relecture minutieuse des dossiers judiciaires emblématiques de ces dernières années, associée à une large documentation française et internationale publiée sur le sujet. Le tout complété par des entretiens avec des magistrats, experts, policiers ou agents du renseignement.
Les spécialistes ne trouveront pas de révélations majeures dans LesEspions de la terreur. Mais l’intérêt du livre n’est pas là. Sa force est dans la qualité du récit, la précision des descriptions, l’approche psychologique des terroristes et de leur entourage. Une œuvre d’écriture de longue haleine, soignée, et l’ouvrage devrait plaire à tous ceux, néophytes ou aguerris, qui sont soucieux de lisibilité sur ces sombres années.
Parmi les piliers de l’Amniyat passés à une triste postérité : Mehdi Nemmouche, l’auteur de l’attentat au Musée juif de Bruxelles en mai 2014, le Belge Abdelhamid Abaaoud, « manageur opérationnel » essentiel des attentats du 13 novembre 2015, ou encore Mohammed Emwazi, ce Britannique surnommé « Jihadi John », auteur de plusieurs décapitations médiatiques : celle des journalistes James Foley, Steven Sotloff et Kenji Goto, ainsi que celles des humanitaires David Haines, Alan Henning et Peter Kassig.

Des méthodes éprouvées de clandestinité

Le premier des membres français de l’Amniyat qui entrera, lui, sur la liste des terroristes les plus recherchés des Etats-Unis sera Salim Benghalem. L’un des gardiens de l’hôpital ophtalmologique d’Alep, l’un des principaux centres de détention de l’organisation djihadiste, où séjourneront notamment, dans des conditions éprouvantes, les quatre journalistes français Edouard Elias, Didier François, Nicolas Hénin et Pierre Torres, entre 2013 et 2014. Les témoignages qu’ils ont rapportés de leur captivité sont, depuis, une des sources les plus complètes sur les méthodes de l’AMNI, et Matthieu Suc s’en nourrit largement.
L’autre figure française sur laquelle s’attarde, parmi d’autres, l’ouvrage, est Boubaker El-Hakim. Un enfant des Buttes-Chaumont, à Paris, proche des frères Kouachi, auteurs du massacre de Charlie Hebdo en janvier 2015. Un garçon né un jour d’août 1983 qui gravira tous les échelons de l’Amniyat, au point de devenir « le Français le plus haut gradé de l’Etat islamique », selon le journaliste de Mediapart. Un jeune homme qui déclarait déjà, en garde à vue, en 2005 : « Les attentats contre les civils sont souhaitables. »
Le fil conducteur du livre est d’essayer de démontrer que si les piliers de l’Amniyat – tous éliminés depuis dans des frappes de la coalition, selon les services de renseignement – ont réussi leurs opérations en Europe, c’est grâce à des méthodes éprouvées de clandestinité, de leurre ou de saturation de l’ennemi, tels des « espions ». Des méthodes en réalité employées par toutes les organisations criminelles. Mais qui portent nécessairement en germe un danger plus sanglant dès lors qu’il s’agit de terrorisme, et dont rien ne dit qu’il n’y a pas d’héritiers aujourd’hui.
Les espions de la terreur
de Matthieu Suc, éd. HarperCollins,  375 pages, 19,90 euros.

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