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mardi 11 décembre 2018

A Bornéo, de l’art pariétal vieux de 40 000 ans - le 9.11.2018


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A Bornéo, de l’art pariétal vieux de 40 000 ans
Les dessins d’animaux découverts pourraient représenter un bœuf sauvage local, ou un ruminant aujourd’hui disparu. LUC-HENRI FAGE
Les représentations figuratives retrouvées dans une grotte indonésienne sont les plus anciennes connues
Les grottes indonésiennes redessinent la préhistoire de l’art. Il y a quatre ans, des représentations de deux animaux, dont un cochon doté de défenses, découvertes sur les parois calcaires d’une caverne de Sulawesi (Célèbes), en Indonésie, étaient datées de 35 000 ans environ – ce qui en faisait les contemporaines des gravures rupestres de la première phase d’occupation de la grotte Chauvet (Ardèche).
La même équipe de chercheurs présente, dans Nature daté du 8 novembre, de nouvelles datations de gros mammifères dessinés cette fois dans une grotte de la partie indonésienne de l’île de Bornéo : ces représentations remonteraient au minimum à 40 000 ans, ce qui en fait les plus anciens vestiges d’art rupestre figuratif connus à ce jour.
La nouveauté ne tient pas à la découverte de nouvelles peintures – elles avaient été décrites dans les années 1990 par des expéditions franco-indonésiennes, qui avaient notamment exploré la grotte de Lubang Jeriji Saleh –, mais aux nouvelles datations à l’uranium-thorium effectuées sur des échantillons de calcite. Ces coulées minérales recouvrent parfois les dessins, ou les dessins les recouvrent, ce qui permet de déduire un âge respectivement minimal et maximal. « En vingt-cinq ans, la technologie a beaucoup changé et on peut travailler sur de plus petits échantillons »,souligne Maxime Aubert (université Griffith, Australie), premier auteur de l’article publié dans Nature.

Taches et pointes

L’expédition codirigée par l’archéologue indonésien Pindi Setiawan (Institut de technologie de Bandung), pionnier de l’étude de ces grottes karstiques, a donc effectué des prélèvements qui ont permis de mieux dater les changements stylistiques qu’elles ont abrités au fil des âges.
Les animaux ocre de 40 000 ans, représentant peut-être un bœuf sauvage local ou un ruminant aujourd’hui disparu, étaient accompagnés de mains dessinées au pochoir. Difficile de dire s’ils étaient strictement contemporains, mais des dates maximales et minimales pour les mains (de 51 000 à 37 000 ans) recouvrent la période animalière, et la couleur est sensiblement la même.
Une deuxième phase – datée de 21 000 à 14 000 ans au minimum – est ensuite dominée par des mains mauves, rassemblées en différentes compositions et parfois couvertes de lignes peintes de taches et de pointes ou reliées entre elles. « Ces signes représentaient peut-être des tatouages ou des marques d’identification sociale », tandis que les lignes « auraient pu symboliser des relations parentales », avancent les chercheurs dans Nature. Cette période se caractérise aussi par des figures humaines stylisées, toujours en mauve, aux chevelures élaborées, et parfois armées de propulseurs, ou dansantes.
Enfin, une phase finale montre des bateaux et des figures géométriques, dessinées en noir, et pourrait être attribuée aux premiers agriculteurs du néolithique asiatique, arrivés dans la région il y a environ 4 000 ans, ou plus récemment.
Ces grottes du Kalimantan offrent donc un aperçu de l’évolution des thèmes picturaux adoptés par l’homme moderne. « Il semble que l’art figuratif se soit développé à peu près en même temps en Europe et en Asie du Sud-Est, et dans le même sens, souligne Maxime Aubert. Avec, au début, beaucoup de mains humaines et d’animaux. Puis, il y a à peu près 20 000 ans, ces gens se sont mis à dépeindre le monde des humains. »

Cavités escarpées

Les nouvelles datations vont poser des questions d’antériorité et de stylistique. Rappelons qu’à Blombos (Afrique du Sud), des croisillons dessinés à l’ocre sur une pierre témoignent d’une activité symbolique vieille de 73 000 ans, et que des zigzags tracés sur un coquillage à Java (avant l’apparition d’Homo sapiens) remontent, eux, à 500 000 ans…
Mais l’Asie du Sud-Est a-t-elle inventé l’art figuratif ? Les parois des grottes n’étaient pas les seuls écrans possibles des pulsions créatrices humaines : d’admirables figurines animales en ivoire de mammouth, elles aussi vieilles de près de 40 000 ans, ont été trouvées dans le Jura souabe (Allemagne). A Chauvet, l’art de l’estompe était porté à un sommet qu’on ne retrouve pas à Bornéo. « En Europe, l’art figuratif apparaît avec l’arrivée de l’homme moderne, il y a 40 000 ans. Mais Homo sapiens, présent environ 20 000 ans plus tôt en Asie du Sud-Est et en Australie, n’y a, semble-t-il, pas produit immédiatement d’art rupestre », rappelle Maxime Aubert.
Les chercheurs s’interrogent : ces premiers arrivés étaient-ils moins portés sur l’art qu’une deuxième vague de migrants ? A-t-il fallu attendre que ces groupes humains se densifient pour qu’ils en viennent à se distinguer par des signaux sociaux ?
D’autres questions se posent sur la signification et le contexte paléo-ethnographique de ces productions artistiques. Alors qu’en Europe, l’art rupestre le plus renversant se situe le plus souvent au fond de cavités impénétrables, et semble s’être épanoui à la lueur des torches et des lampes, à Bornéo, les dessins se trouvent dans les plus hauts étages des falaises karstiques, toujours à portée de la lumière du jour, au-dessus des abris rocheux occupés par l’homme, plongés, eux, dans la pénombre de la jungle.
Pour Jean-Michel Chazine, qui a participé dans les années 1990 aux premières descriptions de ces grottes, ces nouvelles datations ne constituent pas totalement une surprise. A l’époque, il avait prélevé un fragment de calcite « en grimpant sur les épaules d’un de nos porteurs », se souvient-il. L’accès lui-même à ces cavités escarpées, connues des seuls cueilleurs de nids d’hirondelles au fond d’une jungle épaisse, constituait une gageure.
Cet échantillon avait donné un âge minimal de 10 000 ans. Sa porosité, laissant circuler l’uranium naturel, pourrait avoir rajeuni les datations et expliquer la différence avec les nouvelles mesures, estime Maxime Aubert.
Jean-Michel Chazine note qu’une date de 22 000 ans avait, à l’époque, été écartée, car elle semblait trop ancienne, « mais la découverte, dans les années 1950, d’un fossile humain dans la grotte de Niah, dans le nord-ouest de Bornéo, daté depuis entre 43 000 et 52 000 ans, laissait supposer qu’un art rupestre plus ancien était tout à fait possible ».

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