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mardi 11 décembre 2018

L’impact de la France sur la déforestation mondiale - le 9.11.2018

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L’impact de la France sur la déforestation mondiale
Soja, papier, cacao… la consommation de denrées importées détruit des millions d’hectares
La forêt, nous la mangeons, nous la buvons et la brûlons toujours davantage dans les moteurs de nos véhicules. Soja, huile de palme, cacao, bœuf et cuir, caoutchouc naturel, pâte à papier, bois : chaque année, des millions d’hectares de forêts tropicales et de savane arborée sont défrichés pour répondre aux nouvelles habitudes de consommation de la Chine et à celles, bien établies, des pays développés. Cette mise à nu a lieu pour l’essentiel loin des yeux des consommateurs, dans d’autres continents que les leurs. Elle est due presque aux trois quarts à l’agriculture.
L’Europe – première importatrice mondiale de cacao, par exemple – ne peut nier sa responsabilité dans cette destruction massive de la biodiversité. Pour sa part, le gouvernement français s’est lancé dans la préparation d’une « stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée », une initiative inédite par sa globalité qui a donné lieu à une consultation publique en juillet. Sa publication, qui serait imminente, aiguise l’empressement des ONG à se faire entendre.

Niveaux de corruption

C’est le cas du Fonds mondial pour la nature (WWF) qui sort jeudi 8 novembre, un rapport au titre sans ambiguïté : Arrête de scier la branche ! « Evidemment la date n’est pas due au hasard : nous voulons montrer que la France a besoin d’une politique ambitieuse, confie Arnaud Gauffier, responsable agriculture et alimentation au WWF France. Mais elle doit aussi se fixer des priorités, sinon cette stratégie ambitieuse risque de rester dans un tiroir. » Les chiffres collectés par son ONG, bien que probablement sous-estimés, donnent en effet le vertige. Approvisionner la France en matières premières dans les sept secteurs précédemment cités, a nécessité en moyenne une superficie de 14,8 millions d’hectares cultivés durant la période 2012-2016, dont 5,1 millions sont suspectés d’avoir contribué à la déforestation. L’association Envol Vert a elle aussi sorti sa calculette et parvient au même ordre de grandeur d’une empreinte globale de plusieurs centaines de mètres carrés par Français, 352 m² précisément.
Les cultures de soja, palmier à huile, cacao, hévéa sont particulièrement sur la sellette parce que situées en grande partie dans des Etats où les défaillances de gouvernance publique et foncière laissent libre cours à des défrichements dévastateurs, qui s’accompagnent souvent de malversations, voire d’accaparement de terres, de travail des enfants et autres violation des droits humains. L’étude du WWF prend en compte ces éléments – en s’appuyant notamment sur les niveaux de corruption établis par l’ONG Transparency International. Ce sont les pays où se développe telle ou telle monoculture industrielle qui sont classés « à risque », non pas la matière première considérée.
La France importe 4,8 millions de tonnes de soja (ce qui correspond à une empreinte de 2,8 millions d’hectares), aux deux tiers sous forme de tourteaux destinés à l’alimentation animale. Cependant, elle achète aussi de la viande de poulets et de porcs nourris avec cette légumineuse, auxquels il faut ajouter de l’huile de soja, des agrocarburants qui en contiennent… L’un des mérites de ce rapport tient à ses efforts pour aller chercher un éventail de données dans les registres des douanes ou de diverses organisations internationales afin de refléter au mieux l’importance de ces marchés. Ses auteurs notent que 78 % de l’ensemble du soja importé proviendraient de contrées à risque, essentiellement situées au Brésil et dans une moindre mesure en Argentine où cette monoculture a dévasté des pans entiers de l’Amazonie, puis du Cerrado et du Gran Chaco. L’attrait pour la viande grandissant, la production mondiale a triplé depuis 1990.
Le Brésil est aussi, avec la Chine notamment, un gros fournisseur de bœuf, dont chaque Français mange en moyenne 23 kg par an. Pour les lui fournir, il faut en faire venir 260 000 tonnes, soit 17 % de la consommation nationale. Quant au cuir des chaussures, sacs, sièges, il correspond à une moyenne annuelle de 100 000 tonnes de peaux originaires d’autres pays. Le rapport décline d’autres chiffres qui permettent de prendre la mesure des appétits français pour le cacao et les produits chocolatés (environ 10 % de la production mondiale), le caoutchouc (3 %), le bois, la pâte à papier.

Le cas de l’huile de palme

Il cible aussi bien sûr l’huile de palme, une sorte de championne de la déforestation. 84 % des importations françaises proviendraient de pays qui y sont exposés, Indonésie et Malaisie en tête. Avec 0,97 million de tonnes, toujours en moyenne annuelle, l’empreinte française s’élève à 410 000 ha. C’est relativement peu en superficie pour un oléagineux qui entre dans la composition de plus de la moitié des produits transformés sur les rayons des supermarchés, car un hectare produit beaucoup d’huile.
Encore récemment, un cinquième des volumes arrivant en France était destiné aux agrocarburants. Mais voilà que le gouvernement a donné, en mai, son feu vert à l’ouverture de la raffinerie de La Mède, dans les Bouches-du-Rhône, dont l’approvisionnement en huile de palme va faire bondir les importations du pays. « La Mède et la Montagne d’or – ce projet de mine qui va détruire des hectares de forêt amazonienne en Guyane – sont deux mauvais signaux, note Arnaud Gauffier. Deux symboles contre-productifs et incohérents avec l’ambition annoncée par le gouvernement. »

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