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mardi 11 décembre 2018

La monnaie virtuelle bitcoin, gouffre énergétique et péril climatique - le 9.11.2018

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La monnaie virtuelle bitcoin, gouffre énergétique et péril climatique
La généralisation de ce système d’échange conduirait la planète à dépasser le seuil fatidique des 2 °C de réchauffement en deux décennies
Le bitcoin, ce doux rêve de libertarien, va-t-il tourner au cauchemar pour le climat ? C’est ce que concluent deux études des plus sérieuses. Elles avancent que la généralisation de cette monnaie virtuelle (cryptomonnaie), par ses seules émissions, conduirait la planète à dépasser le seuil fatidique des 2 °C de réchauffement – la limite fixée par l’accord de Paris – en moins de deux décennies. Et que cet « or 2.0 » consommerait plus d’énergie que l’extraction d’or véritable, de cuivre, de platine ou de terres rares pour produire la même valeur marchande.
Ce spectre de la demande énergétique hante le monde du bitcoin – né en 2009 – depuis plusieurs années déjà. On estime que sa consommation, évaluée à au moins 58 térawattheures (58 milliards de kilowattheures) par an, équivaudrait à celle de l’Autriche ou à entre dix et vingt fois celle de l’ensemble des data centers de Google. Et qu’une seule de ses transactions engloutirait autant d’électricité qu’un ménage américain pendant une semaine.
Les deux nouvelles études, encore plus alarmistes, relancent le débat. Dans la première, publiée fin octobre dans Nature Climate Change, une équipe de chercheurs de l’université d’Hawaï a calculé que l’usage du bitcoin a émis 69 millions de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) en 2017. Cette année-là, la cryptomonnaie ne représentait que 0,03 % des 300 milliards de transactions dématérialisées effectuées dans le monde. Si le bitcoin venait à être massivement adopté par la société, il pourrait à lui seul faire grimper le thermomètre mondial au-dessus des 2 °C d’ici à seize ans, dans un scénario moyen – vingt-deux ans en cas de diffusion plus lente.
La seconde recherche, publiée lundi 5 novembre dans Nature Sustainability, a quant à elle comparé le coût énergétique de quatre des principales cryptomonnaies à celui de métaux précieux. Entre le 1er janvier 2016 et le 30 juin 2018, la fabrication (le « minage » dans le jargon des cryptomonnaies) de bitcoins, d’« ethereums », de « litecoins » et de « moneros », a nécessité respectivement 17, 7, 7 et 14 mégajoules (MJ) pour produire un dollar américain, soit davantage que l’extraction conventionnelle du cuivre, de l’or, du platine et des oxydes de terres rares avec 4, 5, 7 et 9 MJ (à l’exception de l’aluminium qui nécessite 122 MJ), selon les scientifiques du Oak Ridge Institute for Science and Education, dans l’Ohio.
De précédents travaux avaient déjà comparé le bitcoin à d’autres systèmes de paiement : l’une de ses transactions serait 460 000 fois plus énergivore que si elle était effectuée avec une carte bleue Visa, selon le site spécialisé Digiconomist.

De plus en plus de « mineurs »

Si la cryptomonnaie est si gourmande en énergie, c’est qu’elle nécessite une énorme puissance de calcul de la part d’ordinateurs, générant une très forte consommation d’électricité. Car, en l’absence d’autorité centralisée pour confirmer les transactions, comme le font les banques pour les autres monnaies, le bitcoin est soutenu par ce que l’on appelle des « mineurs ». Ils valident les échanges de la cryptodevise et les inscrivent dans un immense registre décentralisé (la blockchain), public et en théorie inviolable, en contrepartie de quoi ils sont rémunérés par ladite monnaie.
Mais, pour décrocher la récompense, les mineurs doivent s’affronter dans un concours de calcul informatique. Seuls ceux ayant résolu ces équations mathématiques en premier seront rémunérés… ce qui signifie que tous les autres auront fait tourner leurs machines pour rien.
Or, à mesure que le cours du bitcoin augmente (il est valorisé à 6 500 dollars, 5 690 euros), les mineurs sont de plus en plus nombreux à se lancer dans la compétition, et les opérations se complexifient, nécessitant des ordinateurs spécialisés qui tournent en continu. Lorsque l’on sait qu’une majorité de ces ordinateurs sont installés en Chine, où l’électricité provient essentiellement du charbon, on comprend la menace que le bitcoin fait peser sur le climat.
« Actuellement, les émissions provenant des transports, du logement et de l’alimentation sont considérées comme les principales responsables du changement climatique en cours. Notre recherche montre que le bitcoin devrait être ajouté à cette liste », estime Katie Taladay, coauteure de l’étude publiée dans Nature Climate Change.
Ces conclusions ne font pourtant pas consensus. « Elles ne tiennent qu’à une seule hypothèse, cruciale : celle que le bitcoin sera la cryptomonnaie de référence de l’avenir, dit Michel Berne, économiste à l’Institut Mines-Télécom Business School. Or, il est probable que cela ne soit pas le cas, car il en existe d’autres moins énergivores, et on peut penser que les gouvernements interviendraient pour limiter cette consommation. »
Surtout, de telles projections impliqueraient de connaître le cours du bitcoin dans le futur, une donnée « trop imprévisible », selon Jean-Paul Delahaye, professeur d’informatique à l’université de Lille. « Même si le bitcoin se généralisait, la hausse du nombre de transactions n’entraînerait pas forcément une augmentation de la consommation énergétique puisque cette dernière dépend du nombre de mineurs », explique-t-il. Or, un cours relativement bas pourrait décourager certains d’entrer dans la compétition.
D’autres facteurs, enfin, pourraient changer la donne : l’amélioration de l’efficacité énergétique des équipements et la mise au point d’une nouvelle méthode d’attribution des rétributions, moins énergivore. Mais, d’après M. Delahaye, quelle que soit son évolution, « le bitcoin est une folie totale, avec des dépenses énergétiques démentes, surtout qu’il ne sert aujourd’hui qu’à spéculer, et non à acheter son pain ».

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