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vendredi 15 décembre 2017

Au Yémen, la pénurie comme arme de guerre

15 décembre 2017

Au Yémen, la pénurie comme arme de guerre

Dans ce conflit entre les houthistes et la coalition saoudienne, les belligérants entravent l'aide humanitaire

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Le président américain, Donald Trump, a réitéré, samedi 8  décembre, un appel d'une rare -fermeté à la coalition saoudienne en guerre au Yémen, afin qu'elle lève son blocus sur ce pays. L'appel de la Maison Blanche, auquel ont fait écho le département d'Etat et le Pentagone, -signalait une inquiétude croissante des Etats-Unis, qui appuient pourtant Riyad dans ce conflit entamé en mars  2015, face à ses conséquences humanitaires.
Le blocus saoudien est en effet la principale cause d'une famine qui menace aujourd'hui 8,4  millions de Yéménites : la pire crise humanitaire au monde, -selon les Nations unies. Il étouffe le pays le plus pauvre de la péninsule arabique, qui -importait dès avant la guerre entre 80 % et 90 % de sa nourriture, notamment le blé et le riz, et comptait 4,5  millions de -personnes en situation d'" insécurité -alimentaire sévère ".
Blocus des portsAprès plus de deux ans d'un conflit qui a perturbé la production agricole, coupé les routes et tari les importations, plus de 15  millions de Yéménites (sur une -population de 27,6  millions) ont désormais -besoin d'une aide humanitaire d'urgence, selon le réseau d'alerte de -référence -Famine Early Warning Systems (Fews.net). Près des trois quarts d'entre eux vivent dans le nord-ouest du pays, sous l'autorité des rebelles houthistes, contre lesquels la coalition saoudienne mène la guerre, en appui au gouvernement légitime.
Des images difficilement soutenables de malnutrition nous parviennent du -Yémen depuis 2016  déjà : il existe des -poches de famine, estiment des humanitaires, qu'il demeure difficile de quantifier, faute d'accès. Et le réseau Fews.net mettait récemment en garde contre une aggravation de la situation : le risque que de larges parts du pays entrent dans une phase de famine caractérisée – le dernier stade de l'insécurité alimentaire – d'ici au mois de février ou mars, si les ports n'étaient pas largement -rouverts au -trafic. " Si nous avions accès au pays, il n'y aurait simplement pas de famine ", -résumait il y a peu Erin Hutchinson, -ancienne chef de mission -d'Action -contre la faim au Yémen.
L'appel de la Maison Blanche intervient alors que le conflit connaît un tournant. Le 4  décembre, les rebelles houthistes se sont rendus maîtres exclusifs de la capitale, Sanaa. Ils ont réussi à assassiner l'ex-président Ali Abdallah Saleh, avec lequel ils avaient partagé le contrôle de la ville depuis septembre  2014. Allié de circonstances, M.  Saleh avait appelé les Yéménites à se soulever contre eux et signalé sa volonté de négocier avec la coalition saoudienne.
Durant ces six jours de combats, les -Nations unies avaient échoué à évacuer 150 de leurs employés et membres d'ONG bloqués à Sanaa, et l'aide avait été -entièrement paralysée. L'ONU a appelé à une " trêve humanitaire " afin, notamment, de faire aboutir ces évacuations. Mais de nombreux observateurs craignent que le conflit ne s'intensifie. " Un verrou a sauté. Chaque camp a le sentiment d'avoir gagné du terrain et de -devoir pousser sa chance ", craint -Laurent Bonnefoy, auteur d'un livre paru en novembre, Le Yémen, de l'Arabie heureuse à la guerre (Fayard, 348 p., 23  euros).
Des humanitaires ont été directement victimes de l'épuration lancée par les -houthistes à Sanaa : le 8  décembre, des miliciens ont mené un raid contre la -résidence de Rukaya Al-Hajri, impliquée dans la défense des orphelins et -belle-sœur de l'ancien président Saleh. Pendant que les rebelles concentraient leurs efforts dans la capitale, des unités pro-gouvernementales, appuyées par les Emirats -arabes unis, principal -acteur au sol de la -coalition, ravivaient un front important sur la mer Rouge.
Elles annonçaient le 7  décembre avoir pris la ville de Khokha, située dans la province d'Hodeïda, à environ 110  km au sud de cette ville, le premier port du pays, aux mains des rebelles. Elles avançaient -depuis Moka, l'un des rares fronts où les militaires demeurés fidèles à M. Saleh étaient notablement concentrés.
La Maison Blanche a paru décourager la poursuite de ces opérations vers -Hodeïda, en déclarant samedi 8 décembre attendre une prochaine réouverture de l'accès maritime aux zones rebelles. Quinze -bateaux, transportant principalement de la nourriture et de l'essence, attendaient l'autorisation d'accoster à -Hodeida et dans le port voisin de Salif, selon Jamie McGoldrick, le coordinateur pour les -affaires humanitaires des -Nations unies au Yémen. Fin novembre, la coalition a desserré un blocus devenu total durant près de trois semaines, en réaction au tir d'un missile par les -houthistes sur -l'aéroport international de Riyad, le 4  novembre.
Mais si l'aide passe avec moins de difficultés, le trafic commercial, lui, -demeure largement bloqué. Les livraisons d'essence sont tombées cette -année à un peu plus d'un tiers des quantités enregistrées en  2014. Ce carburant est pourtant indispensable aux générateurs qui alimentent Sanaa en électricité et aux stations de pompage qui fournissent de l'eau potable.
Choléra et morts indirectesAlors que 16  millions de Yéménites manquent d'accès à l'eau, les Nations unies ont recensé plus de 900 000 cas de -choléra depuis le mois d'avril et près de 2 200 morts provoquées par cette maladie. Faute d'essence, vendeurs et habitants des campagnes peinent à se rendre sur les marchés et à se déplacer jusqu'aux centres de soin. Les morts que provoquent ces pénuries n'entrent pas dans le décompte de celles causées directement par ce conflit de relativement basse -intensité : plus de 10 000 personnes.
Depuis deux ans, les fronts au Yémen avaient peu évolué. La coalition saoudienne paraissait déterminée à étouffer les rebelles sous son blocus, espérant -retourner la population contre ses maîtres, ou du moins exacerber leurs divisions en les privant des revenus qu'ils -tirent du port d'Hodeïda.
Ces taxes, que les rebelles multiplient également sur les routes, -gênent elles aussi l'acheminement de l'aide, accusent les humanitaires. La coalition les encourage à délivrer l'aide à Aden, capitale temporaire des zones libérées, au sud. Mais ce port n'a pas les capacités de celui -d'Hodeïda, et la route qui le relie aux -zones rebelles est peu sûre.
Louis Imbert
© Le Monde

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