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samedi 8 octobre 2016

Alep : ville-symbole de notre politique étrangère


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Alep : ville-symbole de notre politique étrangère  

Personne n’a oublié la photo choc de ce jeune garçon syrien de 5 ans, hébété, seul, couvert de poussière, dans une ambulance. Le petit Omran est devenu un symbole de la guerre en Syrie. Depuis, les images terribles se succèdent. Des images d’enfants ou d’hôpitaux frappés, notamment à Alep maintenant que l’armée syrienne a lancé l’assaut, avec l’aide de la Russie, à l’est de la ville. Les appels humanitaires et de solidarité se multiplient. Que pouvons-nous faire dans ce conflit complexe ?

Qu’est-ce qui se passe à Alep ? Qui assiège la ville ?

Depuis 2012, Alep est une ville divisée. La plus grande partie de la ville, avec plus d’un million d’habitants, est sous contrôle du gouvernement syrien. À l’est de la ville, où habitent encore environ 200 000 personnes, différents groupes rebelles combattent le gouvernement. Parmi eux, la dite « Armée syrienne libre », mais aussi des combattants d’Al Qaeda. Au nord de la ville, une petite partie est contrôlée par des forces armées kurdes.
Depuis 2012, la situation à Alep change régulièrement. À chaque fois, des civils se retrouvent entre le marteau et l’enclume. En juillet de cette année, le gouvernement syrien a commencé un siège l’est de la ville en coupant Castello Road. En août, les rebelles assiégeaient l’ouest de la ville en coupant la route de Ramouseh qui liait cette partie de la ville aux autres territoires contrôlés par le gouvernement syrien. Comme en 2013 et en 2014, les rebelles auraient coupé l’eau aux familles habitant ces quartiers.
Depuis environ deux semaines, c’est maintenant le gouvernement syrien qui a relancé une offensive contre les quartiers de l’est. Quand les médias parlent d’Alep assiégé, ils parlent donc en fait des quartiers de l’est de la ville. L’objectif du gouvernement syrien est de reprendre le contrôle de la ville entière, ce qui cadre avec son objectif de rétablir sa souveraineté sur la totalité du territoire syrien. Il s’agit donc de combattre Daech, mais aussi les groupes rebelles armés. Des frappes aériennes russes l’assistent dans cette guerre.

Faut-il arrêter l’attaque de l’armée syrienne ?

Face aux images horrifiantes qui nous parviennent, la priorité paraît spontanément un arrêt immédiat de l’offensive des forces armées russo-syriennes à Alep. En effet, utilisation d’armes prohibées, bombardements d’hôpitaux, sièges,... les accusations de crimes de guerre contre la coalition russo-syrienne ne manquent pas. Les rapports de « dégâts collatéraux », un terme horrible pour désigner les victimes civiles ou des hôpitaux détruits, ne se comptent plus.
Hélas, le carnage ne s’arrête pas là. Partout en Syrie, des civils souffrent de cette guerre affreuse. L’envoyé spécial de l’ONU Staffan de Mistura a raison de souligner : « C’est la pire tragédie humanitaire depuis la Deuxième Guerre mondiale. Je n’ai jamais vu autant d’acteurs avec autant d’agendas différents. » Autour de la ville de Hama, une offensive de rebelles djihadistes et la réaction gouvernementale font en ce moment même d’innombrables victimes. Pendant que le gouvernement syrien est accusé d’utiliser des bombes baril, les rebelles utiliseraient systématiquement des attentats-suicides. Les habitants du quartier kurde d’Alep ont dénoncé l’utilisation d’armes chimiques par les rebelles. Pendant qu’on montre à juste titre les victimes civiles des frappes russes, l’ONG internationale Airwars insiste sur le fait qu’il ne faut pas oublier les victimes civiles des frappes de la coalition occidentale, dont fait partie la Belgique.
On ne peut pas être sélectif dans l’indignation. Le journaliste britannique Robert Fisk, spécialiste de la région et correspondant au Proche-Orient depuis trois décennies pour le journal The Independent, a raison de regretter que quasiment personne n’ait pleuré quand les rebelles assiégeaient totalement l’ouest d’Alep et « tiraient des obus et des mortiers vers le secteur où des centaines de milliers de civils vivaient sous le contrôle du régime ». Toute inquiétude humanitaire doit inclure des propositions précises sur la manière d’en finir avec ces pratiques et de protéger tous les citoyens d’Alep et de Syrie. D’autant plus que les groupes armés les plus forts rêvent d’utiliser Alep pour commencer l’installation d’un État islamique. Arrêter uniquement l’armée syrienne pour renforcer ces gens-là n’est pas une option.

Les dessous de la carte. Pourquoi l’armée syrienne avance-t-elle maintenant ?

L’avancée des forces armées syriennes contre les groupes armés à l’est d’Alep semble facilitée par le coup d’État manqué en Turquie en juillet. Comme le Qatar, l’Arabie saoudite ou les États-Unis, la Turquie est depuis des années un allié précieux des rebelles à Alep. Sans les armes et l’aide de ces pays, les groupes rebelles n’auraient pas pu continuer la guerre depuis quatre ans.
La tentative de coup d’État en Turquie a un peu changé les choses. Le gouvernement turc en a profité pour réaliser sa volonté d’intervenir directement au nord de la Syrie. La Turquie veut y installer une zone de 5 000 km² sous son influence. Après le coup, le président turc Erdogan a d’abord renforcé son influence sur l’armée et réduit l’opposition interne à une intervention directe turque. Ensuite, la Turquie a aussi négocié avec la Russie. Sur le champ de bataille syrien, les deux s’opposent : la Russie soutient le gouvernement syrien, la Turquie et l’Occident soutiennent les rebelles. Suite aux négociations entre les deux, la Russie ne s’oppose plus que très peu à l’invasion turque, qui s’en prend aussi aux groupes armés kurdes. En parallèle, Ankara semble temporairement diminuer son soutien aux rebelles d’Alep. Ce contexte offre dès lors une opportunité au gouvernement syrien pour rétablir rapidement son contrôle sur toute la ville d’Alep.
Au vu de l’élection présidentielle américaine, il paraît aux yeux de Damas également très urgent de profiter de cette période. Un des conseillers en politique étrangère de la candidate favorite Hillary Clinton a en effet promis qu’une des premières priorités de celle-ci serait de chasser le président syrien Bachar el-Assad. Ce n’est pas une coïncidence que la candidate démocrate reçoive le soutien d’importants néoconservateurs américains. En 2011, Clinton avait été ardemment soutenu la guerre en Libye, où les pays occidentaux ont prétexté « sauver » la ville de Benghazi pour renverser Kadhafi. Soutenir les rebelles d’Alep pourrait constituer l’excuse rêvée pour renverser le gouvernement d’Assad, et faire de la Syrie une deuxième Libye.

Que pouvons-nous exiger de nos gouvernements ?

Cela fait cinq ans que la population syrienne est victime d’un affrontement entre grandes puissances qui aimeraient se partager le pays. Un vrai cessez-le-feu est nécessaire, le plus rapidement possible. Il n’est pas plus acceptable de mourir sous les bombes de l’un ou sous celles de l’autre. Par ailleurs, il paraît irréaliste de penser que le gouvernement syrien ou la Russie vont s’arrêter tant que nos gouvernements soutiennent des groupes armés dans le pays. La Russie est entrée en guerre en 2015, quatre ans après le début officiel du soutien occidental aux rebelles, avec un objectif clair : éviter que la Turquie et les États-Unis utilisent leurs avions pour chasser Assad, comme ils ont chassé Kadhafi. En gros, ce qui se passe à Alep aujourd’hui est le miroir à retardement de notre intervention. Faisons pression sur nos gouvernements pour qu’ils arrêtent leurs interventions et tout soutien aux groupes armés rebelles. Pour qu’ils investissent dans l’aide humanitaire des Nations unies plutôt que dans des bombes. Faisons pression pour qu’ils rompent avec des pays comme l’Arabie saoudite ou le Qatar qui soutiennent des groupes djihadistes en Syrie. Exigeons l’arrêt de l’invasion militaire de la Syrie par la Turquie, membre de l’Otan. Faisons pression pour l’organisation d’une conférence de paix, sans pré-conditions, qui puisse rendre la Syrie aux Syriens. Si l’envoyé spécial de l’ONU Staffan De Mistura y croit, nous avons le devoir d’y croire aussi.

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