| | Hadrien Mathoux Directeur adjoint de la rédaction
François Bayrou brise un tabou : merci, boomer ! Ce mercredi soir sur TF1, François Bayrou a ressuscité un vieux motif de la politique française : celui de l'homme d'Etat en fin de course qui, sachant ses heures aux manettes comptées et sa carrière derrière lui, se décide à désigner les problèmes cruciaux qui menacent l'avenir du pays. Périls contre lesquels il n'a, certes, pas fait grand-chose pour lutter pendant des décennies.
Le Premier ministre, qui devrait voir sa courte aventure à Matignon s'arrêter le 8 septembre prochain face à la défiance de l'Assemblée, a donc désigné le noeud gordien qui étouffe l'économie française : le pays, dit-il, est en train de sacrifier son avenir, et l'équilibre de ses finances publiques, « pour le confort des boomers ». Le lendemain, il réitère, ciblant « une génération très nombreuse » qui a « profité de l'aisance de l'après-guerre » et « ne pense pas à la génération suivante », situation que le Béarnais juge profondément « immorale ».
Du strict point de vue politicien, les déclarations de François Bayrou s'apparentent à un hara-kiri supplémentaire. La pléthorique génération du baby-boom pèse d'un poids écrasant sur le jeu électoral, de par son nombre et son sens civique — elle participe davantage aux consultations démocratiques. Les « boomers » fournissent de surcroît l'essentiel des bataillons qui restent au bloc centriste. Façonnés par le climat économique et social des Trente Glorieuses, beaucoup d'entre eux ont érigé la liberté en valeur cardinale, et dédaignent le sens du sacrifice de leurs aînés. La génération baby-boom est donc particulièrement hostile aux critiques qui ciblent le poids qu'elle fait peser sur l'économie française — au point d'estimer, avec une morgue sidérante, qu'elles n'émanent que de « babies-glandeurs », dans une tribune récemment publiée par notre journal.
Pourtant, François Bayrou met bien le doigt sur un problème essentiel, un tabou absolu de la vie politique nationale : le niveau des retraites — un euro d'argent public sur quatre —, qui explique la moitié de l'envolée de la dette publique depuis 2017, est une charge insoutenable, à la fois pour les actifs et pour les finances publiques. Paradoxe si français : notre pays, si attentif aux inégalités, qu'elles soient de naissance, de salaire ou de genre, a longtemps fermé les yeux sur le déséquilibre générationnel qui structure pourtant une grande partie des tensions sociales aujourd'hui. Si l'on veut redresser les comptes, donner de l'air aux entreprises et faire repartir les salaires à la hausse, il est absolument inenvisageable de ne pas demander une contribution aux « boomers » — qui pourrait par exemple prendre la forme d'une désindexation à l'inflation ou même d'une baisse des pensions des retraités les plus aisés.
Ce fait, un quasi-consensus parmi les économistes, s'impose à tous ceux qui regardent les données statistiques en ôtant leurs oeillères idéologiques. On ne pourra pas faire croire indéfiniment qu'il suffira de taxer les « ultra-riches », ou au contraire de tailler dans les services publics jusqu'à l'os, pour redresser l'économie du pays. En prenant pour cible « le confort des boomers », François Bayrou, lui-même issu de cette cohorte (il est né en 1951), a achevé de faire de la question du déséquilibre générationnel une catégorie politique légitime. Il a définitivement brisé le tabou, et peut-être gagné ses galons de Cassandre à la Pierre Mendès France, fût-ce au prix de son maintien à Matignon, qui était de toute façon illusoire. Alors pour ça, nous pouvons lui dire : merci, boomer ! Twitter @hadrienmathoux
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