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samedi 30 août 2025

Là-bas si j'y suis - J’écris ces mots, les yeux remplis de larmes - le 30..08.2025

 

 Là-bas si j'y suis
 

J’écris ces mots, les yeux remplis de larmes

Sous le choc, malgré des blessures au dos et aux mains recousues sans anesthésie, Inaya* a écrit ce témoignage que ses amis proches ont soigneusement traduit et nous ont adressé pour publication.

Un dimanche matin dont tout le monde pensait qu’il serait un jour comme un autre - le destin, cependant, en avait décidé autrement - je me suis réveillée au son de la voix de ma mère. Elle me dit : « Ma chérie, vas voir Nisrine, elle veut te voir ». Je me sentais heureuse de commencer ma journée avec elle. Je me suis rendue à leur tente et je me suis assise aux côtés de mon amie Nisrine et de ses enfants, comme chaque matin. Comme d’habitude, nous parlions des pâtisseries et des desserts que nous préparerions lorsque la famine prendrait fin - je me sentais toujours apaisée et sereine parmi eux.

Quelques minutes plus tard, ma mère m’a appelée pour préparer le petit-déjeuner. J’ai dit au revoir à Nisrine et lui ai dit : « Je reviendrai te voir, je dois aller voir maman ». Elle m’a souri et je lui ai souri en retour. Qui aurait pu imaginer que ce serait la dernière fois ? La dernière fois de son sourire, de son visage, de sa voix, comme si c’était la fin de tout ce qui la concernait...

Je suis arrivée à notre tente et je me suis assise avec ma mère. Soudain, sans que personne ne comprenne, une odeur de poudre s’est répandue et un bruit assourdissant m’a déchiré les oreilles. J’ai eu l’impression que des balles me transperçaient le corps et c’est à ce moment-là que j’ai compris qu’un missile nous avait frappés. Car ceux qui entendent le bruit des projectiles sont ceux qui survivent, et nous n’avions pas entendu le bruit du missile lorsqu’il nous est tombé dessus.

Tout le monde crie, mes sœurs sont allongées sur le sol, couvertes de sang, et ma mère... mais où est-elle ? Elle est arrivée avec une bande de tissu pour soigner l’une de mes sœurs. Mais soudain, elle a ouvert grand les yeux et elle est tombée. J’ai compris que c’était la fin, que ma mère allait mourir !

Mon visage est couvert de sang, mes doigts saignent, mais je résiste pour ne pas m’évanouir sous le choc. Je sors de la tente. La rue est pleine de sang. Il y a beaucoup de martyrs. Plus de 30 blessés gisent sur le sol. J’essaie d’appeler à l’aide les gens dans la rue, en leur disant qu’il y a des blessés à l’intérieur.

Des gens sont venus et ont porté ma mère et mes sœurs. J’ai vu mon père mettre sa main sur son cou et les gens le porter en disant « Il est encore en vie ». J’ai remercié Dieu en silence et j’ai vu un autre groupe porter un martyr... De qui s’agissait-il ? Le mari de Nisrine ! Je ne l’ai pas supporté et je me suis évanouie dans la rue.

Le chaos s’est propagé : tout le monde crie, la confusion règne. Nous avons tant perdu en une minute... Des gens versent de l’eau sur mon visage. La douleur me déchire comme si quelqu’un enfonçait vingt épées dans mon corps.

Tout le monde me prend en photo. Je n’aurais jamais imaginé qu’un jour, ce serait moi, l’évènement... Je ne peux plus marcher, la douleur me déchire, je n’en peux plus, les cris me rendent folle. Je ne comprends plus rien, arrêtez de crier, je veux du calme. Arrêtez le flot de sang qui coule dans mon dos...

L’ambulance est arrivée. Je pense à maman, à mon père, à mes sœurs... mais Nisrine, où est Nisrine ? Je demande à l’ambulancier ce qui est arrivé à Nisrine et il me dit qu’elle va bien mais il ment. Il ne me connaît pas et il ne connaît pas Nisrine.

Je commence à avoir des hallucinations et à dire des choses incompréhensibles. J’ai perdu tout contrôle. Enfin, j’arrive à l’hôpital. Tout le monde regarde, tout le monde attend. Puis on m’aide à descendre et on me soigne.

Mes doigts sont lacérés et fracturés. J’ai aussi des éclats dans le dos. On m’a recousu les doigts sans anesthésie, mes cris ont rempli l’hôpital - j’ai une phobie des aiguilles. C’est comme si Dieu testait ma force, mais peu importe, je m’en fiche, le plus important, c’est de savoir si maman est en vie, où sont papa et Nisrine, comment vont mes sœurs !

J’ai vécu tout ça toute seule, il n’y avait avec moi ni ami, ni famille. Puis les gens de l’hôpital ont appelé quelqu’un de ma famille et m’ont dit de partir. L’hôpital était rempli de blessés, des blessés venant de tout le territoire de la bande de Gaza. Mon Dieu, quelle catastrophe ! Qu’avons-nous fait pour mériter toute cette dévastation ? Ma cousine est arrivée. Dès que je l’ai vue, je lui ai raconté ce qui était arrivé à ma famille, je voulais éteindre le feu qui brûlait dans mon cœur.

Elle m’a dit : « Ta mère a retrouvé une nouvelle vie, son âme est revenue. Ton père et tes sœurs vont bien ». Mais elle n’a pas mentionné Nisrine. Je lui ai demandé, et j’étais comme folle, ce qui était arrivé à Nisrine. Elle a hésité, puis elle a dit : « Nisrine va bien, mais elle est gravement blessée ». J’ai prié Dieu en mon for intérieur pour que le mal ne nous touche pas, puis je suis retournée à la tente.

Notre tente était déchirée, toutes les assiettes étaient cassées, les matelas et le sable couverts de sang, le réservoir d’eau percé, la casserole préférée de maman était déchiquetée par les éclats, mon pétrin détruit, mes abayas et mes belles robes déchirées, c’était comme un cauchemar. Que nous était-il arrivé, mon Dieu ? La tente était vide et les dégâts étaient immenses.

Je me suis dit que cela n’avait pas d’importance, l’essentiel était que ma famille revienne saine et sauve.

Notre voisine est venue prendre de nos nouvelles et a prononcé une phrase à laquelle je ne m’attendais pas et que j’espérais ne jamais entendre : « Nous sommes à Dieu et vers Lui nous retournons, Nisrine a été tuée ». J’ai eu l’impression qu’on m’avait électrocutée, qu’on m’avait aspergée d’essence et qu’on avait mis le feu à mon corps.

Connaissez-vous le soupir des montagnes ? Savez-vous ce que c’est que d’avoir le sang qui se glace dans les veines ? J’ai crié, les larmes ne s’arrêtaient pas, impossible que tout s’arrête d’un coup ; nos souvenirs, nos rêves, notre amitié, tout était fini ! Je n’arrivais pas à y croire. La voisine a essayé de me calmer en me disant qu’elle était partie pour un endroit meilleur, qu’elle était enfin à l’abri de la famine, des bombardements et de la destruction... Mon cœur était brisé.

J’ai demandé où elle était et la voisine m’a répondu : « Ils ont prié pour elle et l’ont enterrée ». Mais moi, je ne lui ai pas dit au revoir, je ne l’ai pas serrée dans mes bras, je n’ai pas senti son odeur... Elle est partie et m’a laissée, a laissé derrière elle trois enfants : Loulou, 7 ans, Nidal, 5 ans, et Mira, 2 ans.

Qui va les élever ? Ils resteront sans père ni mère. Nisrine avait peur pour eux, peur de tout. Et si ma mère ne m’avait pas appelée, si les éclats m’avaient déchiquetée, moi et qu’elle avait survécu, elle ?... Et si, et si, et si... Mais les morts ne reviennent pas, c’est fini ! Nisrine est partie pour toujours. Peut-on dire adieu alors que son cœur a l’intention de rester ? Quelle est la prochaine étape ? Je suis encore sous le choc...

Ma grande sœur est revenue, blessée à la jambe, et m’a dit que notre petite sœur avait été blessée à la main, notre père au cou, avec une fracture à la main, et notre mère avait une plaie du péricarde avec une perforation du poumon. Ceux qui avaient vu ma mère disaient qu’elle était morte, mais qu’il y a un Dieu, et qu’il l’avait ramenée à la vie.

Je ne les croyais pas. J’ai rassemblé toutes mes forces et je suis allée voir ma mère. Je ne pouvais pas les croire tant que je ne l’avais pas vue. Elle était en soins intensifs. Je lui ai parlé, mais elle ne répondait pas, elle bougeait seulement les yeux. Je n’ai pas supporté, je suis allée m’asseoir par terre et j’ai pleuré jusqu’à ce que mes yeux soient complètement rouges. Il fallait qu’elle vive ! C’était comme si nous n’en étions qu’au début, et que tout ne ferait désormais qu’empirer. C’est à ce moment-là que j’ai compris que ma vie allait changer pour le pire, et pour toujours.

La journée s’est terminée et elle restera dans nos mémoires comme la pire journée de toutes.

Le lendemain, Nisrine n’était plus là et j’étais seule. Cette idée m’était insupportable et je ne l’accepterai jamais. Mon père voulait me voir - j’étais sa fille préférée. Je l’ai vu, il était très diminué et affaibli. Je n’avais pas l’habitude de le voir comme ça.

Dès le premier jour, j’ai senti qu’il ne survivrait pas. C’était fini. Pleurer ne changerait pas la réalité. Nous allions devenir orphelines, ma mère allait devenir veuve.

Je ne lui ai pas dit que mes doigts étaient cassés et qu’ils avaient des points de suture, ni que mon dos était déchiré par des éclats. Je lui ai assuré que mes blessures étaient légères et que je rassurerais mes sœurs à propos de son état. Je lui ai donné à manger, j’ai embrassé sa tête, nous avons parlé, puis j’ai prié pour lui et je suis partie. Le médecin m’a dit que s’il survivait, il resterait paralysé et ne pourrait plus parler. Sa blessure était grave, il avait été touché au cou, au niveau de la moelle épinière, et il souffrait de diabète. Ses chances de survie étaient faibles.

Au bout de deux jours, il a perdu l’usage de la parole et j’ai compris que les choses ne feraient qu’empirer et qu’elles ne s’amélioreraient pas. Je rassurais ma famille, ou plutôt je leur mentais, en leur disant qu’il allait bien, qu’il serait parmi nous et qu’il guérirait, mais tout cela n’était que mensonge sur mensonge.

Il avait rendez-vous avec la mort, c’était inévitable. Je lui ai rendu visite comme si je voulais me rassasier de sa présence avant qu’il ne parte pour toujours. Je les ai trouvés en train de lui mettre de l’oxygène sur la bouche, il était inconscient. Le lendemain, ils ont annoncé son décès. La perte est devenue double. La deuxième personne la plus proche de mon cœur m’a quittée cette semaine-là.

Je me suis rendue à la morgue. Mon père était enveloppé dans un linceul blanc, comme de coutume. J’ai crié, je n’acceptais pas son départ. Je l’ai serré dans mes bras, je l’ai embrassé et j’ai prié pour qu’il repose en paix. Je suis partie en pleurant dans les rues et, parfois, je criais son nom.

La séparation est dure et effrayante, d’autant plus qu’il y avait une chance qu’il survive, une chance qu’il reste parmi nous.

Ô Dieu... j’implore ta justice.
Pour chacune des larmes qu’ils nous ont fait verser.
Pour chacune des tortures qu’ils nous ont infligées.
Pour Gaza, si impitoyablement brûlée.
Ni l’incendie n’a réveillé les endormis, ni la chaleur du brasier n’a fait fondre dans leur cœur la glace de l’abandon.
Quel que soit le point de vue que tu adoptes, tu constateras que nous avons perdu et que les martyrs ont gagné.

J’écris ces mots les yeux remplis de larmes.

* Son prénom a été changé ainsi que celui de toutes les autres personnes citées.

Photo : ABDALLAH F.S. ALATTAR / ANADOLU / Anadolu via AFP

Chaque jour, chaque minute, l’assassinat d’un peuple se déroule sous nos yeux en direct, documenté, commenté, imagé, chiffré, déploré, justifié, condamné, qualifié de génocide à la quasi unanimité, dénoncé pour la famine volontairement infligée à des millions d’hommes, de femmes et d’enfants coupables d’être palestiniens. Car ce n’est plus la revanche contre les massacres du 7 octobre, c’est une variété de l’espèce humaine qui est anéantie selon un plan annoncé de destruction. Destruction d’un peuple mais aussi destruction des bornes et des limites, destruction du droit et des digues internationales déjà chancelantes.

Comme en d’autres temps, ventres mous et larmes de crocodile favorisent ces crimes et Néthanyahou n’est pas seulement soutenu par Trump, Orban ou Bardella, mais aussi par d’éminents influenceurs comme le philosophe, grand reporter et homme d’affaires français, Bernard-Henri Lévy* pour qui il n’y a ni famine, ni génocide à Gaza et en Cisjordanie.

BHL négationniste en temps réel ou complice de crime contre l’humanité ? Ou les deux ?

Mais comme le chiendent dans les fissures du béton, des brins d’humanité ont résisté. Malgré le silence calculé des médias, la répression contre toute solidarité et le chantage à l’antisémitisme, malgré les médiocres stratégies électoralistes, on dirait que le vent tourne.

Trop tard ?

Daniel Mermet

* Son installation en Israël serait prévue dans le quartier du premier ministre Benjamin Nétanyahou à Jérusalem.

P.-S. 1 Beaucoup de messages et d’infos suite à « le jour le plus con ». Merci ! On va donner suite.
P.-S. 2 Plus que quelques jours pour profiter de notre offre d’été !
P.-S. 3 Plein de sujets, plein de projets pour cette rentrée : films, reportages, nouvelles rubriques. Et le fameux retour de DILLAH dès cette semaine !

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