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vendredi 10 janvier 2025

L'actualité littéraire HEBDO avec BIBLIOBS - Vendredi 10 janvier 2025

 



BibliObs

Vendredi 10 janvier 2025

Ça faisait bien longtemps que je n’avais pas lu Bernard-Henri Lévy. Je ne m’en portais pas plus mal, mais pas mieux non plus. Et puis voici que paraît « Nuit blanche » ces jours-ci (Grasset) et comme le livre n’est pas très épais (alors que du BHL, normalement c’est épais), je l’ouvre. En plus, pour une fois, le grand philosophe s’attaque à un sujet qui nous épargnera ses considérations géopolitiques : ses insomnies. Avec quelques questions afférentes : « comment je ne dors pas ? pourquoi je ne dors pas ? que fais-je pendant que je ne dors pas ? » Je me dis que je vais peut-être découvrir un aspect de sa personnalité – ou un champ de réflexion – que je ne connaissais pas.

Alors est-ce le cas ? Pas vraiment. Parce qu’il faut bien être conscient d’une chose : même quand il est insomniaque − un mal assez partagé dans le monde −, BHL l’est exceptionnellement. Il l’est depuis toujours ou presque, parce qu’il est traversé par les angoisses métaphysiques (alors que toi, pauvre nase, t’as juste une capsulite qui va bien finir par passer), il a essayé tous les médicaments et toutes les drogues (alors que toi, pauvre nase, tu flippes d’avaler un Xanax), toutes les méthodes (il est même allé dans une clinique du Minnesota, alors que toi, pauvre nase, t’as juste surfé sur Doctolib), a eu recours à tous les moyens, même fait changer ses rideaux (alors que toi, pauvre nase, t’aimerais bien mais t’as pas les moyens).

Et puis les raisons de son insomnie sont exceptionnelles : il en aurait « trop vu » (c’est Philippe Sollers qui le suggère à propos de toutes les zones de guerre parcourues par BHL, alors que toi, pauvre nase, c’est ton copain Philippe Toutcourt qui te dit que tu dois avoir des problèmes de digestion), il a trop de morts autour de lui (toi aussi, tu as des morts qui te hantent la nuit, mais c’est pas le commandant Massoud, pauvre nase), ce n’est pas lui qui ne dort pas mais le monde qui ne dort jamais, qui bruisse de tous ses malheurs, et lui BHL, qui ne peut faire autre chose que l’entendre depuis son appartement du 8e arrondissement (alors que toi, pauvre nase, c’est juste le camion poubelle d’en bas qui te réveille quand, à 6 heures, tu commençais à t’endormir).

Et enfin, BHL est exceptionnel dans ce qu’il fait à la place de dormir : quand il ouvre un livre chiant pour s’assoupir, c’est le tome II de la Pléiade de Mallarmé (toi, pauvre nase, c’est un roman américain qui ne demande pas trop d’effort) et quand il finit par allumer son téléphone, ce n’est pas pour regarder des vidéos sur TikTok (comme toi, pauvre nase), c’est pour discuter sur Telegram avec Emmanuel Macron, qui lui-même ne dort pas beaucoup.

Il y a un moment où Bernard-Henri Lévy concède que le commun aussi dort mal et a sans doute de bonnes raisons. Il se dit qu’il pourrait s’intéresser à ces autres gens, on y croit, on se dit qu’il va le faire… mais non, faut pas exagérer non plus, il revient à lui (mais lui dans le monde, bien évidemment, ou peut-être est-ce le monde dans lui, enfin, on ne sait plus bien tellement l’un et l’autre finissent par se confondre).

Passé ce biais de l’exceptionnalité, on ne peut pas dire que « Nuit blanche » soit déplaisant à lire. Au moins, ça n’a pas la prétention de trouver les assassins d’un journaliste américain au Pakistan ou de donner son interprétation du conflit israélo-palestinien. Bien sûr, au bout d’un moment, on en a un peu marre, parce que les récits d’insomnie, c’est un peu comme les insomnies : on passe d’un sujet à l’autre, on ne termine pas ses raisonnements, on a de vieux souvenirs qui remontent, des scènes qui bouclent, et on aimerait que ça s’arrête. Donc, une fois passés le premier matin avec A., l’énervement contre Mélenchon, les souvenirs d’une manif à Bologne, les remontées de la Bosnie ou de l’Ukraine, un dernier déjeuner avec Romain Gary, une journée à Trouville avec Duras, etc., on préférerait dormir, malgré la flamboyance de ces nuits sans sommeil qui, on l’admet comme le disait joliment un roman de Raphaële Billetdoux publié lui aussi chez Grasset en 1986, « sont plus belles que vos jours ».

Au fond, c’est ça qui est le plus étonnant chez Bernard-Henri Lévy : sa constance. Elle vaut dans tous les champs : il a toujours sa chemise blanche, sa coiffure bizarre, son teint hâlé, sa manière sentencieuse de parler, la certitude que ce qu’il dit est important, son goût pour la fréquentation des puissants, ses analyses érudites mais approximatives, son activisme mondain, médiatique et politique, etc. Le temps n’y fait rien. La critique rigolarde non plus. Les palanquées d’enquêtes qui ont documenté les erreurs, les combines financières, les stratégies de pouvoir, encore moins. Le mec est indéboulonnable, c’est fascinant, et il continue même à visser avec application de nouveaux boulons à sa statue, c’est encore plus fascinant.

Aujourd’hui, il parle de ses problèmes de sommeil, il se montre humain, fragile, « touchant » commencent à dire certains lecteurs. Jusqu’ici, il avait assez peu exploité cette veine. Elle est conforme à l’époque, c’est malin, et, après tout, ce n’est pas la pire. Quand on voit comment ont viré certains types de sa génération (FinkielkrautBrucknerOnfray, etc.), on se dit que la constance de BHL le préserve peut-être de certaines dérives et que s’il pouvait finir comme ça, justement, à raconter ses problèmes de santé et, pourquoi pas, de famille, ce serait pas si mal. Et on lui pardonne presque ses travers, comme de terminer son livre, en guise d’auto-promo anticipée, par l’évocation de ce « Journal » dans lequel il dira tout – parce que c’est vrai que jusqu’à maintenant, il a été vachement discret – et qu’il faudra attendre sa mort pour lire.

Alors souhaitons-lui – et souhaitons-nous aussi – que ce soit le plus tard possible.

Xavier de La Porte

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