Depuis le 1er janvier — par décision de Kiev — le gaz russe ne transite plus vers l'Ouest via l'Ukraine, privant Moscou non seulement de revenus, mais aussi d'un puissant levier d'influence en Europe centrale et de l'Est. L'UE visait déjà à s'affranchir du gaz russe, mais l'arrêt du flux par l'Ukraine a déclenché de fortes tensions en Slovaquie et en Moldavie.
« Une des plus grandes défaites de Moscou », a annoncé Kiev à propos de l'arrêt du flux de gaz russe par le gazoduc « Bratstvo » (Fraternité) à travers l'Ukraine le 1er janvier 2025, marquant la fin de décennies de domination russe sur le marché de l'énergie en Europe centrale et de l'Est. L'accord entre l'entreprise russe Gazprom et Naftogaz Ukrainy avait été signé fin 2019 pour permettre le transit du gaz russe via le territoire ukrainien. Son non-renouvellement a des conséquences négatives considérables pour la Russie. Même si l'Ukraine devrait également perdre 800 millions de dollars en revenus de transit, les pertes pour Gazprom sont estimées à 6,3 milliards d'euros annuels. Les conséquences politiques sont sans doute encore plus sérieuses, la Russie ayant fréquemment utilisé sa position de fournisseur énergétique pour exercer des pressions sur les pays d'Europe de l'Est, vulnérables aux hivers rigoureux. Ce levier est visiblement en train de disparaître.
La fin de l'accord entre Gazprom et l'Ukraine n'est pas une surprise : prévue par Kiev dès l'été 2023, elle a été étudiée à l'avance par l'UE afin d'identifier des sources alternatives d'énergie pour ses États membres potentiellement à risque. Il faut souligner que les flux de gaz russe en Europe avaient déjà diminué depuis l'invasion de l'Ukraine en février 2022. D'abord à cause du sabotage et de la faillite de Nordstream 1 & 2. Mais aussi du fait de l'inactivité du gazoduc Yamal-Europe à travers la Biélorussie, suite à un conflit entre Gazprom et la Pologne en mars 2022.
Alors que les gazoducs russes fournissaient 40 % du gaz européen en 2021, cette part était tombée à 8 % en 2023. L'Europe s'est tournée vers la Norvège (fournisseur de 30 % du gaz de l'UE en 2023) et vers les États-Unis pour le GNL (Gaz Naturel Liquéfié), visant à faire cesser complètement les importations de gaz russe avant 2027. Il ne faut donc pas exagérer l'impact immédiat du non-renouvellement de l'accord ukrainien avec Gazprom. L'objectif européen de remplir ses stocks de gaz à 90 % en prévision de cet hiver avait été atteint en août 2024 et le prix du gaz sur les marchés internationaux a peu évolué.
En 2024, seuls quatre pays (tous sans accès à l'importation de GNL par voie maritime) recevaient encore du gaz par le gazoduc « Bratstvo » : l'Autriche, la Hongrie, la Slovaquie et la Moldavie. Les livraisons à l'Autriche ont été arrêtées en novembre 2024 par Gazprom à la suite d'un différend avec son partenaire autrichien OMV ; la Hongrie a un contrat avec Gazprom jusqu'en 2036, et s'est arrangée pour recevoir du gaz par le gazoduc Turkstream. En Slovaquie et en Moldavie, en revanche, l'arrêt de l'acheminement du gaz via l'Ukraine a déclenché une crise à la fois économique et politique.
Le Premier ministre slovaque Robert Fico a réagi avec colère à la décision de Kiev. Logique, dans la mesure où la Slovaquie touchait 500 millions d'euros de droits de transit. Accusant Wolodymyr Zelensky de « sabotage », Fico a menacé de réduire l'aide aux 130 000 réfugiés ukrainiens en Slovaquie. Il a toutefois suscité de vives réactions internes de la part de ceux qui le jugent trop proche du Kremlin. Ses opposants ont été particulièrement irrités par sa visite surprise à Vladimir Poutine à Moscou en décembre et par la découverte d'une vidéo anti-Zelensky que Fico semble avoir tournée depuis la suite « Madame Butterfly » (5 470 € par nuit) dans un hôtel de luxe à Hanoï, au Viêtnam.
Le pays le plus touché par l'arrêt du gaz russe est la Moldavie, et surtout la province séparatiste de Transnistrie. Cette exclave russe au sein de la Moldavie recevait du gaz gratuitement de Gazprom, les factures étant envoyées pendant des décennies aux autorités moldaves à Chisinau. Fin décembre, sans faire référence à Kiev, le géant russe a déclaré qu'il cesserait lui-même ses livraisons de gaz à la Moldavie. La raison invoquée concerne des paiements manquants de la part de sa filiale Moldovagaz (dont Gazprom contrôle 50 %, le gouvernement moldave 36,6 % et les autorités de Transnistrie 13,4 %). La Moldavie avait déjà trouvé des sources alternatives d'énergie, mais la Transnistrie est maintenant privée de gaz ; Gazprom n'a pas proposé de l'approvisionner par le gazoduc Turkstream, et les séparatistes ont refusé l'aide de Chisinau. Même si la Moldavie ne subit pas les mêmes coupures que la province séparatiste, elle est touchée par la situation, car la majorité de son électricité provenait d'une centrale de Transnistrie alimentée par Gazprom. Le 3 janvier, le prix de l'électricité en Moldavie a augmenté de 75 %, ce qui risque de rendre le gouvernement impopulaire et d'améliorer les chances des opposants pro-russes aux élections législatives du mois de juillet. Le Premier ministre moldave, Dorin Recean, estime que cette crise a été provoquée par Moscou pour déstabiliser le pays, l'hostilité du Kremlin envers Chisinau étant connue. En décembre, l'agence de presse d'état russe TASS a accusé (sans preuve) la présidente moldave récemment réélue, Maia Sandu, de vouloir déclencher la guerre en Transnistrie. Si la fin du transit de gaz russe par l'Ukraine a réduit l'influence énergétique de Moscou en Europe de l'Est, elle ne l'a pas encore complètement éliminée.
Peter Bannister
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